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La shoah chuchotée

Fanny Houvenaeghel
31 janvier 2012
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La shoah chuchotée
La couleur bleu ciel de l’ONU identifie les écoles de l’Unrwa en Palestine. Leurs programmes aussi. © Ridvan Yumlu-Schiessl

Les Palestiniens ignorent largement l’histoire du génocide des juifs. Ils ne veulent en retenir qu’une seule chose : il est l’alibi à l’existence d’un État qui les opprime et veut les anéantir pour célébrer sa survie. Aussi quand il est question d’enseigner la Shoah dans les camps de réfugiés, les boucliers se lèvent.


Depuis août 2008, de fortes tensions se font sentir entre le Hamas et l’Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les Réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). La pomme de discorde ? L’éventuel enseignement de la Shoah aux réfugiés palestiniens fréquentant les écoles de l’agence de l’ONU.
L’UNRWA a été créée suite aux conséquences de la guerre de 1948 et au déplacement de plus de 700 000 Palestiniens de leur territoire d’origine. Elle opère à Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, en Syrie et au Liban. Tous les autres réfugiés dans le monde sont pris en charge par le Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. Devenue opérationnelle en 1950, l’agence avait pour priorité d’assurer un niveau de vie décent aux réfugiés. Peu à peu, l’accent a été mis sur l’éducation, qui est aujourd’hui le secteur le plus important en termes de financement et de personnel. Au total, l’UNRWA administre près de 700 écoles accueillant environ 500 000 élèves. Dans la Bande de Gaza, le nombre d’écoliers inscrits dans ses écoles pour l’année 2011/2012 a atteint 222 000 élèves. L’enseignement est principalement donné sur la base du programme scolaire des autorités éducatives du pays hôte.

Renouveau des programmes

Depuis 2002, les enseignants de l’UNRWA ont intégré dans leur programme scolaire les droits de l’homme, la tolérance et le règlement des conflits. Or, les cours portant sur le sujet se fondent sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Le texte est dans une large mesure une réponse aux atrocités commises pendant la Seconde Guerre Mondiale, et notamment aux crimes perpétrés par les Nazis. Il est donc difficile de passer sous silence l’Holocauste de 6 millions de Juifs. Or l’idée d’enseigner la Shoah ne plaît pas à tout le monde, et surtout pas au Hamas (Mouvement de résistance islamique). Arrivé au pouvoir dans la bande de Gaza en 2006, le mouvement a également remporté la victoire aux élections du syndicat des enseignants de l’UNRWA, en mars 2009. En août de la même année, le Hamas a violemment réagi aux rumeurs quant à l’enseignement de l’Holocauste dans les écoles de l’UNRWA. Un de leurs communiqués stipule que « l’étude de l’Holocauste dans les camps de réfugiés est un complot méprisable et sert l’entité sioniste dans le but de raconter des histoires afin de justifier des actes criminels contre le peuple palestinien ».
Les employés des écoles palestiniennes de l’UNRWA (dont le personnel est composé à 99 % de réfugiés palestiniens et de nationaux des pays d’accueil) ont quant à eux annoncé leur opposition catégorique à l’enseignement de l’Holocauste aux enfants palestiniens. Le syndicat des professeurs estime que cette mesure brouillerait les esprits des enfants.
« Nous ne pouvons pas accepter un programme qui est destiné à empoisonner les esprits de nos enfants », indique un second communiqué du ministère des affaires des réfugiés.
Dans la conscience collective palestinienne, les puissances mondiales ont réagi à la Shoah en soutenant davantage encore la création de l’État d’Israël en 1948.

Shoah versus Naqba

Ce tournant dans l’histoire est malheureusement synonyme du déplacement de centaines de milliers de Palestiniens (les Palestiniens parlent de la Naqba, l’année de la catastrophe), et beaucoup d’entre eux éprouvent un profond mécontentement à l’égard d’un enseignement qui, selon eux, sert à légitimer les actions de l’État hébreu contre la population palestinienne. De plus, ils estiment que la Shoah s’est déroulée sur le territoire européen et n’a par conséquent pas à être enseignée dans le programme de l’histoire locale.
John Ging, le directeur des opérations de l’UNRWA à Gaza, estime pourtant « qu’aucun programme portant sur les droits de l’homme ne peut être complet s’il n’inclut les faits de l’Holocauste et les leçons à en tirer ». L’enseignement évoquerait aussi d’autres sujets sur le même thème comme le génocide au Rwanda, l’épuration ethnique dans les Balkans ou encore l’apartheid en Afrique du Sud. Cependant, suite aux menaces reçues de la part du Hamas, les représentants de l’agence ont déclaré avoir cessé l’enseignement de la Shoah dans la bande de Gaza.
Le sujet est tabou, et l’on prie l’UNRWA de se concentrer sur le droit des réfugiés palestiniens. Pour le moment, chaque partie se considère comme la victime et voit son ennemi comme le bourreau responsable de tous les maux. Cependant, si à l’école les enfants apprennent à nourrir la haine de l’autre, comment l’avenir pourrait-il s’éclaircir ? Dès le plus jeune âge, les jeunes sont porteurs de préjugés et de stéréotypes qui sont aussi des éléments de conflit. Essayer de comprendre la souffrance de l’autre permettrait d’avancer d’un grand pas vers une tentative de résolution du conflit israélo-palestinien ? ♦

Dernière mise à jour: 01/01/2024 00:28

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