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École « Hand in Hand »: à deux voix pour préparer la paix

Hélène Morlet
19 novembre 2015
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Alors que pas un jour ne passait sans attentat à Jérusalem, l'école "Main dans la main" a fait le choix du bilinguisme : des cours en arabe et en hébreu, pour une plus grande ouverture.


Novembre 2014. Deux jeunes militants d’extrême droite incendient l’école bilingue – arabe hébreu – Yad B’Yad ou Yadan Biyad (en anglais Hand in Hand, main dans la main) de Jérusalem. Deux salles de classe sont touchées – les pompiers sont intervenus avant que le feu ne se propage – mais le geste et les graffitis sont révélateurs : “Cessez l’assimilation”, “Il n’y a pas de cœxistence [possible]” et “Kahane [homme politique israélien, fondateur d’un parti d’extrême-droite déclaré raciste et interdit par le gouvernement] avait raison”.

Un an après, la situation du pays n’est pas meilleure. Actes et discours racistes et haineux, attaques des deux côtés. Palestiniens et Israéliens ont du mal à vivre ensemble, victimes d’injustices et d’un conflit qui n’en finit pas. L’école, elle, est toujours là, et plus que jamais déterminée à poursuivre son combat.

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La première école bilingue Hand in Hand a été créée en 1998 à Jérusalem, par un groupe de parents. Palestiniens d’Israël et juifs israéliens, leur idée est simple : pour changer la société et préparer la paix, pour arriver à une meilleure compréhension mutuelle, il faut commencer par vivre ensemble et apprendre la langue de l’autre. Cela doit commencer dès l’enfance, pour que les enfants soient habitués à se rencontrer.

“Nous vivons dans une société de ségrégation” explique Inas Deeb, directrice pédagogique des écoles Hand in Hand et chrétienne originaire de Nazareth. “Juifs israéliens et Palestiniens israéliens ne se croisent qu’à l’hôpital, dans les centres commerciaux ou comme actuellement, pendant les attaques”. Chacun envoie ses enfants dans l’école qui lui ressemble : juifs ultra-orthodoxes, juifs laïcs, Palestiniens chrétiens ou musulmans… et le dialogue est très limité, laissant la part belle aux fantasmes et au racisme.

Six écoles pour 1300 élèves

Le projet débuta avec une crèche montée par les parents, qui y ajoutèrent une classe chaque année, au fur et à mesure que les enfants grandissaient. Ils ont ensuite fondé l’organisation non gouvernementale Hand in Hand, dont le but est de promouvoir cette idée de vivre-ensemble. Ils aident donc les communautés de parents qui souhaitent fonder leur crèche ou école maternelle dans différentes villes d’Israël.

On compte actuellement six écoles, scolarisant 1300 élèves et mobilisant environ 200 professeurs. Seule l’école de Jérusalem continue jusqu’au lycée. Si elles sont reconnues par l’État, elles ne reçoivent que 40 % de subvention du gouvernement. Le reste est financé par les parents, pour 30 %, et par des dons internationaux pour les 30 % restants.

La promotion de ce vivre-ensemble passe aussi par l’animation d’une communauté d’adultes juifs et palestiniens, chrétiens et musulmans confondus, parents d’élèves ou simples sympathisants. Efrat Meyer, israélienne laïque, professeur d’arts plastiques et coordinatrice de la communauté de Jérusalem, souligne : “Mettre son enfant dans notre école est un acte politique, ou du moins le signe d’une volonté de changement social. Mais faire peser le changement sur les épaules de jeunes de 6 ans est insuffisant. Les adultes aussi doivent agir pour changer la société.”

Plusieurs activités sont donc organisées pour que Palestiniens et Israéliens se rencontrent et apprennent à se connaître, avec ou sans les enfants. “C’est festif et convivial lorsque nous organisons comme ce mois-ci une journée de récolte des olives, ou des concerts et activités pour fêter ensemble Hanoukka et Noël. C’est aussi un soutien à d’autres activités, comme cette équipe de basket-ball Hand in Hand, mixte et composée majoritairement de gens extérieurs à l’école, qui s’entraîne souvent dans nos locaux mais appartient à une ligue. Nous développons et relayons des initiatives. »

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« Une maman cherchait des personnes pour faire de la marche à pied, poursuit Efrat Meyer. Finalement ils se sont retrouvés à huit parents pour aller marcher, en portant un tee-shirt “on marche ensemble” écrit en arabe et en hébreu. Ce n’est pas un acte politique, c’est faire du sport, tout en disant à plusieurs ce qu’on ose moins dire tout seul. Et puis, nous rassemblons les parents quand c’est nécessaire pour aborder les difficultés liées au conflit et comment les vivre.”

Les activités visent aussi à faire entendre la voix minoritaire mais existante de ces gens qui croient en un avenir commun. Ainsi pendant la guerre à Gaza de l’été 2014, des marches étaient organisées deux fois par semaine par la communauté pour refuser le racisme et la violence.

“Voir les gens apprendre à se connaître, se sentir à l’aise et, même s’ils ne sont pas d’accord sur tout, persister à croire en cette communauté, est une grande joie”, souligne la coordinatrice. Cela ne va pas sans difficultés : “Ce n’est pas facile d’impliquer tous les parents, qui souvent ont déjà une vie bien occupée. Et il ne faut pas oublier que les deux communautés, juive israélienne et palestinienne, ne sont pas sur un pied d’égalité. Si les Palestiniens d’Israël sont par nécessité forcément en contact avec des juifs israéliens au cours de leur vie, ces derniers peuvent très bien ne pas en rencontrer un seul s’ils n’ont pas cette démarche.

« Ils sont donc plus demandeurs. Ils ont également davantage l’impression qu’ils peuvent influencer la société par leurs actions, puisqu’ils y ont un fort sentiment d’appartenance. Les Palestiniens, souvent victimes de racisme et de discriminations, ont plus de mal à croire en leur capacité à changer une société qui les rejette. Ce projet de vivre ensemble demande beaucoup plus aux Palestiniens.”

L’école met un point d’honneur à équilibrer ses effectifs. Les classes sont composées autant que faire se peut de 50 % de juifs israéliens et de 50 % de Palestiniens. Ces derniers sont musulmans en quasi-totalité, les chrétiens étant moins nombreux dans le pays. Ils ont la citoyenneté israélienne, sauf dans la ville sainte où 20 % des élèves n’ont que la carte d’identité de Jérusalem. Les cours sont dispensés dans les deux langues.

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Inas Deeb explique : “En maternelle et en primaire, il y a deux professeurs par classe, un hébréophone et un arabophone. Ils préparent le cours ensemble et le dispensent de façon fluide : il n’y a pas de traduction ni de répétition, mais une alternance des langues pendant le cours. Au collège et au lycée, chaque matière est enseignée par un professeur dans sa langue maternelle, mais les élèves peuvent utiliser le manuel scolaire dans leur langue maternelle. En revanche, l’apprentissage des langues se fait de façon séparée : les Palestiniens étudient l’arabe comme première langue vivante et l’hébreu en seconde, et réciproquement pour les juifs israéliens.

Le défi actuel est d’améliorer le niveau d’arabe classique des enfants juifs. “Le fait que l’hébreu soit la langue dominante du pays, et que l’arabe soit différent à l’oral et à l’écrit, complique l’apprentissage en réduisant les possibilités de pratique. En plus, les professeurs hébréophones ne parlent pas arabe. Donc depuis maintenant trois ans, nous leur organisons des cours dès qu’ils arrivent dans l’école”, continue la directrice pédagogique. Dans ce pays où l’apprentissage de l’arabe, deuxième langue officielle, est plus de l’ordre de la connaissance de son ennemi, que de la connaissance de son voisin, l’école se démarque nettement.

Gestion du conflit

Les violences de l’automne 2015 l’ont prouvé, l’antagonisme entre les deux camps est entretenu par les médias, les hommes politiques et les contacts superficiels ou destructeurs que vivent Palestiniens et Israéliens. Comment gérer la vie commune ? D’abord, par un programme spécifique d’études, créé par et pour l’école. “Nous enseignons les deux histoires, et ne cachons aucune information. Nous les encourageons à faire des recherches, apporter des éléments pertinents et à discuter”, raconte Inas Deeb.

L’exemple le plus représentatif est l’étude des événements de 1948 : indépendance d’Israël et expulsion des Palestiniens de leurs terres. Dans la région, les écoles n’enseignent qu’une partie de l’histoire, selon leur camp. “Le Jour de l’Indépendance est assez compliqué à gérer, nous commençons à l’aborder avec les élèves et les professeurs deux mois avant, pour échanger sur ce que cela évoque pour chacun. Le jour même, il y a deux cérémonies sur le campus, et nous laissons chacun libre de commémorer l’événement qu’il souhaite, avant de se rassembler pour un repas. Et le soir, nous visitons avec les familles les ruines d’un ancien village palestinien détruit par les organisations clandestines paramilitaires sionistes en 1948”, insiste Inas Deeb.

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“C’est en dehors des heures de cours, car le Ministère de l’Éducation ne nous laisserait pas l’inclure dans le programme scolaire. Et je dois dire que depuis dix ans, les parents juifs israéliens viennent plus que les parents palestiniens !” Une matière “identité” a aussi été ajoutée, pour apprendre aux jeunes ce qui fait leur identité, en hébreu et en arabe : culture, fêtes, villages, littérature… L’école est laïque mais respecte les fêtes religieuses des trois monothéismes. Le calendrier est adapté au niveau des jours fériés, et la signification de chacune des célébrations est étudiée au cours de la scolarité.

En plus du programme, l’accompagnement des enseignants et des élèves est au cœur du projet. “Nous laissons du temps et de l’espace aux jeunes comme aux professeurs, pour tous les événements qu’ils vivent. Nous organisons des groupes de dialogue dès que le besoin s’en fait sentir, et faisons appel à des médiateurs si nécessaire. Nous avons fait dernièrement une rencontre entre professeurs, pour qu’ils puissent évacuer leurs propres peurs. Les médiateurs – un arabophone et un hébréophone – les ont écoutés et leur ont donné des outils pour parler aux élèves. On s’assure que chacun se sent assez en sécurité à l’école pour pouvoir partager ses sentiments. C’est difficile mais on a de bons résultats en matière d’attitude générale des jeunes”.

Contre courant

Les familles qui choisissent d’envoyer leurs enfants à Hand in Hand sont toujours en accord avec sa ligne directrice, mais il faut rester vigilants. “Les enfants regardent des médias différents et entendent des versions différentes pour chaque fait. C’est dur pour eux de résister à ce climat extérieur de haine. Mais nous essayons de les renforcer, de leur montrer que l’équipe pédagogique sait ce qu’elle fait, que ce chemin de respect est difficile mais que c’est le bon”, ajoute Efrat Meyer. Si les élèves se comportent bien à l’école, ils peuvent avoir des propos agressifs lors de conversations sur Facebook ou Whats’app. “Dans ces cas-là, nous agissons très rapidement et généralement cela termine par des excuses”, souligne Inas.

Dans la société tant palestinienne qu’israélienne, les réticences, quand ce ne sont pas des attaques, sont fortes. “Quand j’ai choisi de mettre ma fille Omer dans cette école, raconte Elizabeth Garreault, maman franco-israélienne, j’ai dû d’abord convaincre son père, qui trouvait douloureux de l’impliquer si jeune dans le conflit. Et puis mon entourage me disait : “Ne t’étonnes pas si elle épouse un Arabe.” Comme si c’était l’insulte suprême.

Si depuis Omer a changé d’école pour se spécialiser en musique, elle y avait rencontré sa meilleure amie Rania, musulmane et palestinienne. “Je passe souvent l’Aïd el-Adha chez ses grands-parents, et elle vient aussi dans ma famille pendant les fêtes. Nos différences ne nous gênent pas et notre amitié ne devrait pas paraître étrange”. La crainte de la normalisation retient aussi de nombreux Palestiniens, qui craignent de voir oubliées les injustices dont ils sont victimes. C’est une extrême minorité qui se retrouve main dans la main, mais ils persistent à la tendre aux autres. Espérons qu’ils seront nombreux à la saisir.

Dernière mise à jour: 19/11/2023 10:57

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