« Tout va bien tant qu’on ne parle pas religion. »
Terre Sainte Magazine a réuni quelques étudiants chrétiens pour parler de leur perception de l’islam et des musulmans en Palestine. Ils ont parlé sans langue de bois. Un discours qui tranche d’avec certains discours officiels.
“Pour les musulmans le Coran est un texte divin, intouchable et atemporel. Mais qu’est-ce que la société du désert du VIIe siècle a à voir avec les sociétés d’aujourd’hui ?” interroge Hanna, un étudiant de Bethléem.
Six étudiants chrétiens assis en demi-cercle échangent sur leur vécu de la relation chrétiens/musulmans en Palestine. Ils viennent des grandes villes de la Cisjordanie et expliquent, loin des paroles consensuelles des officiels, l’expérience qu’ils ont, de l’école aux bancs de l’université, et dans la vie quotidienne.
Le sujet est sensible, certains choisissent de ne pas participer. Mais ils écoutent attentivement. “Selon moi, poursuit Hanna sous le regard méfiant du groupe, il y a deux types de musulmans : d’un côté il y a le musulman libéral qui accepte tout le monde ; toutefois quand le débat touche à sa religion et aux textes sacrés, il défendra la pensée islamique quand bien même il n’en est pas personnellement convaincu. Pourquoi ? Peut-être parce que ça touche à sa famille et à ses traditions, c’est en fin de compte ses racines culturelles. Et de l’autre, il y a le musulman qui ne t’accepte pas, parce que tu adores Jésus-Christ, c’est la catégorie Daesh.” Hanna convient que parmi les chrétiens il n’y a pas forcément plus d’ouverture et que les chrétiens cultivent un sentiment de supériorité diffusé en famille. Il note cependant que le rejet de l’autre se manifeste de la part des musulmans avec plus d’humiliation et de violence.
Pour Hanna, un des principaux obstacles à franchir est celui de la doctrine en islam : “Le chrétien est une personne qui vit dans le monde, dans son temps, et qui adapte sa vie à la parole du Christ, explique-t-il, ce sont des paroles de vie. Alors que le musulman souhaite vivre au temps de Mohamed et adapter les lois du VIIe siècle au XXIe siècle.” Pour Hanna, le chrétien utilise les principes de la théologie morale dans un esprit critique pour résoudre les conflits de la vie moderne et les questions de société. “Il y a également la question essentielle de la liberté personnelle de la foi, poursuit-il, qui n’existe pas chez les musulmans, ça rend le dialogue difficile. À cela, il faut ajouter le facteur de la peur dans la religion musulmane, ce qu’on appelle ‘la doctrine de la peur’, chose qui n’existe plus chez nous.”
“Le changement serait possible si les prêches hebdomadaires du vendredi encourageaient à la tolérance et au dialogue” estime le reste du groupe.
Oser la mixité
La qualité est plus importante que la quantité. Cette idée souvent exprimée par les dirigeants et porte-paroles des Églises quand ils parlent de la présence des chrétiens en Terre sainte n’apaise pas les inquiétudes de ces jeunes. “J’ai quand même peur pour l’avenir de l’Église en Terre sainte, souligne Hanna. La basilique de la Nativité par exemple, dans laquelle je vais prier quotidiennement, risque de devenir un musée ou à usage des seuls pèlerins.”
Georges, de Beit Jala, qui se tenait en retrait, prend la parole expliquant qu’il y a quelques années son quartier était entièrement habité par des chrétiens mais que bientôt les choses allaient changer. “Les chrétiens ont vendu des terres et des musulmans ont commencé à construire des immeubles de 6 ou 7 étages où logeront bientôt des musulmans.” L’étudiant, qui a fréquenté une école du patriarcat latin, mixte garçons et filles et interconfessionnelle, convient que les relations “étaient bonnes dans tous les sens du terme. Le mercredi des Cendres nous allions à la messe et sortions avec la croix sur nos fronts. Les copains musulmans étaient curieux et posaient des questions.” Tout a changé après le lycée, il ne fréquente plus beaucoup de musulmans et consacre la plupart de son temps libre aux activités scoutes.
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À la faculté, il est “contraint et obligé” d’être en relation avec les musulmans pour des raisons pratiques. “Il faut bien échanger des cours et des résumés. Naturellement on s’ajoute les uns les autres sur les réseaux sociaux. Sur mon compte Facebook je n’avais aucun contact musulman mis à part mes enseignants de l’école. Pourquoi ? Parce que je n’étais pas à l’aise, je partageais des prières et un contenu chrétien sur mon mur Facebook et sur Instagram. Je ne voulais pas être jugé.” Pour Georges, la difficulté du dialogue vient de l’interdiction d’avoir dans l’islam une lecture critique ou même symbolique de tout texte religieux ou toute idée en rapport avec la religion. “Hier par exemple dans un des cours nous sommes arrivés, je ne sais comment, à parler d’Adam et Ève, raconte-t-il, et la question de l’historicité du récit s’est posée. Moi, je soutenais que c’est une histoire symbolique, j’ai vexé une fille musulmane qui soutenait que c’est une histoire vraie, qu’Adam et Ève sont réellement nos ancêtres.”
Pour Shireen les musulmans sont aujourd’hui la majorité et utilisent leur nombre comme outil de force et de pression dans la vie quotidienne. “Je suis de Ramallah, explique Shireen, mais j’habite dans un couvent à Bethléem pour poursuivre mes études. Toutes les autres filles au foyer sont musulmanes, la plupart d’Hébron. Nous, chrétiens, reconnaissons aujourd’hui désespérés qu’il y a une majorité musulmane et que nous sommes une minorité et qu’il n’y a plus rien à faire.” Marie, assise à sa gauche, explique qu’elle ne participe plus aux fêtes chrétiennes de Bethléem. “L’entrée du patriarche à Noël ? Ça fait plus de 3 ou 4 ans que je n’y mets plus les pieds. Il n’y a plus de place pour nous, ils sont plus nombreux que nous même à nos propres fêtes. Je ne participe plus surtout en raison du harcèlement sexuel, physique et verbal, que les filles subissent.” Georges nuance : “La question du harcèlement sexuel n’est pas spécifique aux musulmans parce que nous avons aussi ce comportement parmi les jeunes chrétiens de Palestine.”
Et si on parlait de laïcité ?
Marie explique avoir suivi des cours de religions comparées, christianisme et islam, et avoir beaucoup appris, le débat structuré souligne-t-elle était intéressant. Cependant, en en parlant avec sa famille et avec ses amis, tous accusent les musulmans d’avoir un double discours : pacifiste dans les échanges et le dialogue mais oppressant dans le quotidien. “Mes parents et amis me disent qu’ils te feront entendre ce que tu voudras mais feront ce qu’il y a dans le Coran.” Un argument réitéré dans les commentaires sur les réseaux sociaux lors des interventions du cheikh Ahmed Mohamed el-Tayeb, imam de la mosquée al-Azhar, lors de la visite du pape François aux Émirats. Marie, par conséquent, décide de faire la part des choses : “J’ai des amies musulmanes et ma meilleure amie est musulmane, mais on ne discute jamais de religion. C’est la condition sine qua non pour que notre relation reste bonne.”
La solution pour Hanna est de voir l’humanité de l’autre avant toute chose. “Je suis un être humain avant d’être chrétien ou palestinien. Mais plus concrètement, explique-t-il, il faut séparer les religions de l’État ; opter pour un état laïc qui garantisse la justice à tous.”
Le groupe s’est également accordé sur la sensibilisation et l’éducation dès le plus jeune âge, afin que les différences, similitudes, et les richesses des religions dans le quotidien soient exposées et traitées avec sincérité. L’éducation tant scientifique que religieuse selon eux, est l’une des clés d’un problème qui divise la société palestinienne. Une division qui touche de près à l’émigration chrétienne et musulmane, la qualité du tissu social d’une population sous occupation, et la préservation d’une richesse culturelle et humaine de la Terre Sainte.♦
Dernière mise à jour: 20/03/2024 14:53