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Lattaquié gère les conséquences de la guerre

30 juillet 2019
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Lattaquié gère les conséquences  de la guerre
L'injonction est claire, il faut reprendre le chemin de l'école afin de relever les hommes et le pays.

La ville portuaire de Lattaquié a en partie échappé aux ravages de la guerre mais elle en subit aujourd’hui les contrecoups. Affluent vers elle des réfugiés et des personnes évacuées de diverses parties du pays lui-même. Rencontre avec le curé franciscain frère Atef.


Si on ignore les photos aériennes prises par la base russe qui fouille le ciel en permanence et les va-et-vient des convois de camions militaires, il semblerait que la guerre n’a jamais commencé à Lattaquié. Les hôtels affichent complet, les magasins sont bien approvisionnés et des passants emplissent les rues… La vie semble normale.
“Mais ici aussi le poids de la guerre s’est fait sentir. Impossible de savoir combien de dizaines de milliers de réfugiés vivent aujourd’hui en ville. Il s’agit de familles de la région chassées de chez elles par les bombes et par l’Isis (État islamique en Irak et dans le Cham, appelé aussi Daech) qu’elles tentent de fuir. Chaque jour des centaines de personnes frappent à la porte de la paroisse. On aide 600 familles, presque toutes chrétiennes, avec les rations alimentaires et les aides aux soins médicaux. Le tout grâce aux fonds qui arrivent des bienfaiteurs dont ATS Pro Terra Sancta (1).” Frère Atef al Falah raconte sa journée devant un thé bouillant, pendant qu’à travers les fenêtres du couvent donnant sur le port, on aperçoit les bateaux porte-container et quelques vedettes militaires.

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“La ville est très sollicitée, explique Eva Makoyan qui gère avec sa collègue Henriette le bureau d’ATS. Notre travail consiste surtout à écouter les gens pour leur offrir de l’aide. Les prix augmentent chaque jour, et a fortiori pour les réfugiés, il est devenu impossible de boucler la fin du mois.”
Les locaux de la paroisse Saint-Antoine sont l’unique oasis pour beaucoup d’enfants qui y passent des après-midis entiers. “Avec beaucoup de simplicité – ajoute frère Atef –nous cherchons à aller à la rencontre des plus faibles et de ceux qui en ont le plus besoin, pour témoigner de la miséricorde de Dieu.”
Pendant notre séjour à Lattaquié (2), des colonnes de pick-up armés et de véhicules blindés se dirigent vers les zones encore contrôlées par les forces anti-Assad, concentrées dans le district d’Idlib. On entend dire que le règlement de compte est proche et que ça ne serait plus qu’une question de semaines ; l’armée gouvernementale, les Russes, les Iraniens (certains parlent même des Chinois) vont lancer l’attaque finale.

Un moment de repos pour ces femmes de Lattaquié dont l’épuisement est bien compréhensible.

“Si c’est vraiment le cas, explique frère Atef, nous ferons face à une nouvelle vague de réfugiés. Et cela aggravera fortement l’urgence humanitaire. Et qui, alors, nous viendra en aide ?” La Syrie compte aujourd’hui des millions de réfugiés et de personnes déplacées au sein-même de leur propre pays. Les estimations évoquent au moins un demi-million de morts et six millions-et-demi de réfugiés, dispersés entre le Liban et la Turquie. La Jordanie (avant la guerre), comptait vingt millions d’habitants…♦

(1) ONG de la Custodie de Terre Sainte.
(2) 27 janvier – 3 février 2019

 


Frère Hanna parmi les drapeaux noirs

Dîner au couvent Saint-Antoine à Lattaquié. Frère Hanna Jallouf est de passage. Il a quitté la vallée de l’Oronte, dans la province d’Idlib, profitant d’une ouverture temporaire de la route pour visiter quelques proches. Frère Hanna vit dans une zone contrôlée par Jahbat Al-Nosra (Le Front Al-Nosra) et risque sa vie tous les jours, avec son confrère Luai Bisharat.

“Quand cette situation sera finie, j’écrirai un livre”, dit-il en souriant. Pour l’instant, il vaut mieux ne rien dire ni écrire… “Nous vivons une situation vraiment difficile, et sommes sans cesse sur le fil du rasoir”. La vallée de l’Oronte, jouxtant la Turquie, est attaquée depuis des années par divers groupes de djihadistes ou de mercenaires islamistes qui viennent de différentes parties du monde. Parmi les moments les plus tragiques on retient surtout l’assassinat de frère François Murad à Ghassaniyeh le 23 juin 2013. Frère Hanna a lui aussi été l’objet de plusieurs détentions et abus de pouvoir, au cours des huit années de guerre. Le religieux habite la vallée de l’Oronte depuis aujourd’hui presque 20 ans.
Les drapeaux noirs du califat flottent sur toute la province d’Idlib et quelque 30 000 rebelles (certaines sources parlent même du double), n’attendent qu’un ordre pour déclencher la bataille finale. Dans les couvents franciscains, aujourd’hui habités par des familles de réfugiés pour la plupart musulmanes, frère Hanna accueille tous ceux qui en ont besoin et distribue des rations alimentaires et des biens de première nécessité. La situation dans la région pourrait bien s’aggraver, si a bien lieu l’offensive finale de l’armée gouvernementale et de son alliée russe que l’on dit imminente. L’accord russo-turc conclu entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan lors du sommet sur la Syrie (à Sochi le 17 septembre 2018) semble en effet s’être complètement évaporé. Il fut question à cette occasion des zones démilitarisées, du désarmement des djihadistes, de la réouverture des autoroutes, et d’une coopération plus étroite entre l’Iran, la Russie et la Turquie pour amorcer un cessez-le-feu.
“Mais on n’a pas beaucoup avancé depuis tout cela”, fait remarquer frère Hanna. Certains parieraient même qu’avec la belle saison, nous nous retrouverons face à une nouvelle vague de conflits. Conflits dont les plus fragiles feront les frais, comme d’habitude.

Dernière mise à jour: 02/04/2024 13:25

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