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Le collège des frères de Jaffa : un exemple de laïcité positive ?

Amélie Férey
30 septembre 2018
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Le collège des frères de Jaffa : un exemple de laïcité positive ?

C’est l’un des laboratoires de coexistence comme il en existe en Terre Sainte. Le collège des frères de Jaffa, au sud de Tel Aviv, mise sur le respect, la tolérance et… le français.


Dans les ruelles de la vieille ville de Jaffa, il n’est pas rare d’entendre parler le français. Lorsque le badaud demande aux intéressés d’où leur vient cette maîtrise de la langue de Molière, la réponse est invariablement la même : le collège des frères ! Ouverte en 1882, cette institution a perduré en dépit des péripéties politiques pour porter haut les couleurs du fondateur de l’ordre, saint Jean-Baptiste de La Salle. Aujourd’hui, l’établissement accueille près de 830 enfants et leur propose un enseignement allant de la maternelle à la terminale. Soutenu par les frères Lassalliens, il fait partie des écoles chrétiennes francophones en Terre Sainte. D’autres branches sont installées à Jérusalem, à Bethléem et à Beit Hanina.
Le bâtiment qui abrite le collège a été construit par les frères eux-mêmes lors de leur arrivée en Palestine ottomane à la fin du XIXe siècle. Malgré les locaux vétustes pour cette institution en expansion, qui s’est vue obligée de délocaliser faute de place sa filière israélienne dans une rue adjacente, il reste la propriété des frères. “On s’en félicite” déclare la directrice du collège, Mme Maha Abed. Cette ancienne enseignante d’arabe dirige l’établissement. Elle est la garante de la pérennité de l’institution qui fait face au défi de la gentrification et de la pression immobilière croissantes. L’hôpital français jouxtant le collège a été récemment cédé par les sœurs de Saint-Joseph à un promoteur américain qui l’a reconverti en hôtel de luxe.

 

 

Apprendre à se connaître

Le collège accueille les populations de toutes origines. Les langues et les religions se croisent : chrétiens, musulmans et juifs suivent le même enseignement hormis les cours de religion, qui se font séparément en respectant les croyances de chacun. Les enfants parlent hébreu, arabe ou russe à la maison mais dans l’enceinte du collège, le français domine. “Chacun vient avec son identité. On ne change pas l’autre mais on apprend à le connaître” nous explique la directrice. Le français représente pour cette arabisante un gage de neutralité. Au terme de leur scolarité, les jeunes bacheliers parlent couramment 4 langues : hébreu, français, anglais et arabe ou espagnol.
Outre les valeurs lassaliennes de fraternité, de coexistence et de tolérance, la visée sociale de saint Jean-Baptiste de La Salle est également défendue : le collège garantit un enseignement pour tous à des prix abordables. Cette dernière mission est rendue difficile au vu des maigres subventions accordées à l’établissement par le ministère israélien de l’Éducation. Les 47 écoles chrétiennes en Israël, dont le collège des frères de Jaffa, ont entamé une grève en 2015 : ils ont obtenu un gel de la baisse des subventions mais non la prise en charge à 100 % comme c’est le cas pour les écoles juives. Ce sont donc les participations des familles, de l’institution lassalienne et de l’État français qui complètent le manque à gagner.

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Ces difficultés de financement n’empêchent pas l’établissement de viser l’excellence scolaire. Elle passe d’abord par l’imposition d’un cadre strict aux élèves qui se rendent à l’école en uniforme. Pour Mohammed, c’est la première raison pour laquelle il a choisi de confier la scolarité de ses filles Ritaj et Houdna au collège : “Ils donnent aux enfants une discipline. Et même si je suis musulman, je suis d’accord avec les valeurs de tolérance et de respect portées par les frères.” C’est également la possibilité de poursuivre des études en France qui pousse les parents à y inscrire leurs enfants : le diplôme de baccalauréat général en filière littéraire et scientifique qui y est délivré est reconnu par l’État français. L’accès aux études supérieures en Israël reste aussi une option puisque les étudiants passent le bakrout, son équivalent israélien. “Finalement, conclut Maha Abed, le collège est à l’image de Jaffa”, des identités mixtes s’y côtoient paisiblement. Elle nous accueille dans son bureau où trône fièrement un portrait de Jean Baptiste de La Salle. La sonnerie retentit. De sa fenêtre, l’on aperçoit le terrain de jeu qui se remplit d’enfants : c’est l’heure de la récréation !♦

Dernière mise à jour: 14/02/2024 13:27

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