Il y a des endroits où des personnes très différentes vivent et meurent ensemble. Des endroits comme l'hôpital français Saint-Louis, à proximité de la vieille ville de Jérusalem...
Parfois, on croit la connaître, avoir à l’esprit toute son histoire et ses couleurs, être capable d’identifier les hommes qui y vivent à travers leurs yeux et leurs vêtements. Mais elle est vraiment difficile à comprendre, Jérusalem. Elle pourrait être définie comme multiculturelle et multireligieuse, mais concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il existe des endroits où des personnes très différentes vivent et meurent ensemble. Des endroits comme l’hôpital français Saint-Louis, aux portes de la vieille ville. Les patients sont juifs, musulmans, chrétiens, athées. Ils sont Israéliens, Palestiniens, bédouins ou étrangers. Ce sont des citoyens locaux, des travailleurs illégaux, des réfugiés, des sans-abris. Et ensemble, ils partagent la pièce du dernier sourire et du dernier souffle.
Sœur Monika Duellman dirige la structure depuis 13 ans et est suffisamment forte pour ne pas avoir peur des mots : « Les gens qui meurent nous enseignent qu’il n’y a pas de différence entre nous : si vous avez un cancer, vous avez un cancer. Peu importe votre appartenance ou d’où vous venez. Si vous êtes malade, vous avez besoin d’aide. » Avec cette idée, en mettant la personne humaine à la première place, Saint-Louis travaille comme centre de soins palliatifs pour les malades en phase terminale, centre pour les maladies chroniques, et comme résidence pour les personnes âgées qui n’ont pas d’endroit où aller. Et chacun est pris en charge selon sa spécificité propre.
« Nous ne voulons pas changer qui que ce soit », déclare sœur Monika. Quand une personne malade arrive, nous lui disons : « Nous allons nous occuper de vous de la manière dont vous le souhaitez, selon qui vous êtes » ».
C’est en effet une tradition que tous les malades célèbrent les fêtes de toutes les religions. La sœur raconte : « Qu’il s’agisse du nouvel an juif, des fêtes musulmanes ou de Noël, tout le monde aime préparer et célébrer ces fêtes ». Outre le respect des événements religieux, l’attention est aussi portée aux normes alimentaires. L’hôpital a une cuisine casher et respecte les lois alimentaires des juifs et des musulmans.
Pour assister les patients atteints de cancer en phase terminale, dans le coma ou les personnes âgées en fin de vie, l’hôpital compte 70 employés et 25 volontaires de l’étranger (notamment de l’Allemagne et de la France ; quelques-uns des Pays-Bas, des Etats-Unis, du Nigéria, de l’Inde). Chacun contribue, tant que faire se peut, à rendre la maladie des personnes hospitalisées plus sereine.
L’hôpital a démarré son activité en 1880 en tant qu’hôpital général, mais n’a été développé qu’en 1896. Après 1948, Saint-Louis s’est trouvé exactement sur la ligne verte de la frontière et la congrégation des sœurs qui le dirigeait a décidé d’en construire un autre de l’autre côté de la frontière. Après un vide de deux ans, l’établissement de santé est devenu un centre de soins spécialisés en oncologie intégré au système israélien. En 1970, il est devenu le premier hôpital du pays à assurer des soins palliatifs.
La vocation de sœur Monika s’est épanouie à l’hôpital qu’elle dirige depuis 2004. Jérusalem l’a conquise en 1985 quand elle était étudiante. Elle y est retournée plusieurs fois en tant que volontaire à l’hôpital. Là, elle a rencontré la congrégation des sœurs de Saint-Joseph et a décidé d’en faire partie. C’est en 1999 seulement qu’elle s’est définitivement installée à Jérusalem. Aujourd’hui, avec sa gaieté, son pragmatisme et ses cinq langues, c’est le pilier de l’hôpital. « Je cherche toujours de l’argent pour faire tourner la structure », raconte sœur Monika en souriant. Les défis pour nous ici sont d’apprendre à vivre ensemble, être conscients que nos patients vont mourir, savoir leur dire adieu lorsqu’ils partent et aider les familles à le faire ».
Au cours de ses nombreuses années d’expérience, sœur Monika est entrée en contact avec un grand nombre de personnes différentes. Il y a une catégorie qu’elle appelle « les grand-mères russes » : ce sont les mères de conjoints non-juifs qui viennent de l’étranger et qui sont en couple mixte. N’étant pas citoyennes israéliennes, bien qu’elles soient dans le pays pour s’occuper de leurs petits-enfants, elles ne peuvent bénéficier de droits avant deux ans. « Je pense toujours à une femme », raconte la sœur. Elle allait très mal, mais elle n’avait pas de couverture maladie et le médecin allait la voir chez elle. Il ne voulait pas lui donner beaucoup de morphine et elle souffrait beaucoup. Elle essayait donc toujours de dormir. Lorsque nous l’avons reçue à l’hôpital, nous lui avons donné le double des médicaments et elle s’est tout de suite sentie mieux. Elle dormait, s’asseyait sur le lit et parlait avec ses petits-enfants. Elle est décédée deux semaines après, elle était très malade, mais elle a eu deux semaines pour vivre sans trop souffrir et parler avec sa famille. »
Outre les personnes âgées, les réfugiés sont aussi accueillis à l’hôpital. Lorsque sœur Monika se remémore leurs histoires, c’est à une jeune fille de seize ans qu’elle pense, à la frontière entre l’Egypte et Israël, au temps où elle cherchait à la passer prenant le risque d’être tuée sur le coup. Prêtant sa voix à la jeune fille, c’est comme si c’était elle qui parlait : « Je courais à la frontière : la personne à ma droite a été touchée et est tombée, la personne à ma gauche a été frappée et est tombée. Ensuite, j’ai reçu une balle, mais j’ai continué à courir. Quand je suis tombée, j’étais à la frontière israélienne. Je me souviens seulement que des soldats israéliens sont venus me prendre et me sauver. La jeune fille a survécu et est restée un an et demi à l’hôpital Saint-Louis. Elle l’a quitté il y a trois ans après avoir appris l’anglais, avoir réappris à marcher, et reçu un ordinateur, don d’un Juif pour Yom Kippour. « C’était formidable de voir comment elle se tenait debout, et la solidarité de tous », soutient sœur Monika. On dit qu’il est difficile d’accueillir les réfugiés. Je ne fais pas de politique, mais je sais que lorsque vous avez devant vous une personne concrète, l’approche de la question change. Cette personne est là, avec un avenir devant elle, vous pouvez lui être d’une grande aide. »
Parmi les vies étant passées par Saint-Louis, il y a aussi celle d’un juif orthodoxe qui croyait beaucoup à l’avènement du Messie. Un samedi, cet homme est mort, mais à cause du shabbat, sa femme ne pouvait pas se rendre à l’hôpital. « Quand nous sommes allés lui parler de son mari le dimanche, elle nous a dit que ce n’était pas un problème qu’il soit mort là-bas parce qu’elle savait que son mari était mort en famille », raconte sœur Monika. « Vous êtes devenus sa famille », a déclaré la femme. « Vous savez combien il attendait l’avènement du Messie, et n’est-ce pas cela le temps du Messie, lorsque des personnes de différentes nationalités et religions vivent ensemble ? Une histoire forte, fruit de la vie commune à Saint-Louis, qui parle de « paix ». Sœur Monika affirme que, de même qu’elle n’a pas peur de prononcer le mot « cancer », elle n’a pas peur non plus de parler avec conviction de « paix » : « La paix que nous désirons tous est importante surtout pour nos patients. J’espère que vivre dans un environnement multireligieux et multiculturel, au centre d’une ville de conflit comme l’est Jérusalem, les aide à finalement à trouver cette paix. »