Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

D’un alphabet à l’autre

Benjamin Huguet
2 juin 2012
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
D’un alphabet à l’autre
Dans une des parties inaccessibles pour le commun des pèlerins, non loin de la chapelle saint Vartan les Arméniens ont retrouvé un graffiti qui donne lieu à diverses interprétations.

Depuis 1997, une équipe d’archéologues passe au peigne fin la totalité des inscriptions antiques «d’Alexandre à Mahomet», (300 av.J-C. 640 apr. J.-C.) gravées sur le territoire de l’actuel Israël.
Un travail inédit par son ampleur et en ce qu’il inventorie également les inscriptions en langues autochtones, habituellement délaissées dans ce genre de corpus.


Lorsque l’on feuillette les pages du Corpus Inscriptionum Iudaeae / Palaestinae, l’existence d’un tel inventaire apparaît comme une évidence. Pourtant, il y a quinze ans, quand le projet a été initié, il relevait plutôt de la Tour de Babel : pleine de bonne volonté mais difficile à mettre en œuvre.
Hébreu, araméen, arménien, latin, grec, nabatéen… L’Antiquité dans la région est un grand brouhaha de langages et de dialectes. Des travaux avaient déjà été menés pour faire le tri dans toutes les inscriptions que toutes ces cultures nous ont laissées, mais les Français se seraient penchés sur les inscriptions latines, les Israéliens sur les documents hébraïques, les arabes etc. Une approche incomplète et faisant la part belle aux alphabets des puissances dominantes – difficile dès lors d’avoir une vue d’ensemble.

Inventaire des inscriptions

En 1997, une poignée de chercheurs israéliens et allemands décident de joindre leurs efforts pour dresser un inventaire total des inscriptions connues et méconnues originaires du territoire de l’actuel Israël, du IVe siècle av. J.-C. au VIIe siècle apr. J.-C. En fil rouge : témoigner de la coexistence et de la richesse des dialectes et des cultures à toutes les époques de l’Antiquité – Dans la préface, les scientifiques rappellent cette évidence : « Les langues autochtones ont vécu sous les empires et leur ont souvent survécu ».
Commence un long travail de porte à porte auprès des institutions religieuses et culturelles du pays. Non sans surprise, les archéologues rencontrent partout des portes grandes ouvertes. « Souvent, peut-on lire dans la préface, elles ont pris fait et cause pour notre projet ». Le Waqf, l’autorité des lieux saints de l’Islam, leur laisse libre accès au musée Haram-Al-Sharif, sur l’esplanade des Mosquées. On leur accorde une audience avec Théophile III, le patriarche grec orthodoxe de Jérusalem, qui leur donne sa bénédiction. Forts de ce soutien, les archéologues se voient ouvrir tous les fonds orthodoxes du pays.
L’une des inscriptions les plus marquantes se situe dans l’un des sous-terrains du Saint-Sépulcre. L’accès, par la chapelle arménienne, en est jalousement gardé. Conduit par un jeune prêtre, les scientifiques ont sous leurs yeux le dessin d’un navire à rames, l’emblème bien connu des pèlerins. Sous la proue, on devine une inscription « Domine Ivimus » : « Oh Seigneur, nous sommes allés ». Peut-être une référence au psaume 122.1 : « Allons à la maison du Seigneur » ? Difficile de dater ce témoignage, mais l’on sait qu’il a été dessiné avant l’édification du Saint Sépulcre au IVe siècle. Est-ce un symbole chrétien ? « Il reste des doutes… Mais tout laisse à le penser » laissent entendre les auteurs. Une trace du passé d’autant plus précieuse que les inscriptions originaires du Saint-Sépulcre de l’époque de Constantin se comptent sur les doigts de la main. Les murs d’origine étaient couverts de marbre et au fur et à mesure des conquêtes et des rénovations, les parois ont été déplacées, détériorées, recyclées… Et du marbre provenant d’autres lieux a même été réutilisé pour les nouveaux pavages de la basilique, au XIe siècle.

Une référence, des réserves

C’est ainsi que l’on a même pu retrouver, gravés sur le verso d’une dalle de marbre, des extraits de versets du Coran. Cette inscription musulmane se trouve aujourd’hui au musée l’École biblique franciscaine à Jérusalem, qui a également facilité le travail des archéologues. Son directeur, le frère Eugenio Alliata, émet cependant quelques réserves sur les analyses portant sur les ossuaires du Dominus Flevit. Le site appartient aux Franciscains, il est situé sur le Mont des oliviers et l’origine chrétienne de ses ossuaires est parfois envisagée. Sur la description de l’Ossuaire de Shelamzion par exemple, on peut voire une croix adjacente au « M » hébraïque. Les auteurs datent l’objet entre le premier siècle av. J.-C et le premier siècle ap. J.-C. Le frêre Alliatta suggère que la marque pourrait être d’origine chrétienne. « Il n’y a pas de preuve et je n’en suis moi-même pas convaincu, mais le corpus n’en parle pas et décrit platement cette forme comme ‘deux lignes superflues partant dans deux directions opposées’». Même remarque sur l’Ossuaire de Shapira, sur lequel une trainée sombre est parfois assimilée à un chrisme, un symbole chrétien. « Selon eux, c’est une marque faite par le tailleur ! Je ne dis pas que c’est un chrisme mais je dis que la question se pose. Qu’est-ce que cette marque signifie ? Pourquoi éviter les risques de l’interprétation ?»
Ce Corpus, une référence pour tous les scientifiques du monde entier, recensera un total de près de 10 000 inscriptions écrites dans plus d’une dizaine d’alphabets anciens. ♦

Dernière mise à jour: 02/01/2024 12:30