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Fady Noun: «Ce que le Liban attend de Benoît XVI»

Manuela Borraccino
5 septembre 2012
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Fady Noun: «Ce que le Liban attend de Benoît XVI»
Le journaliste libanais Fady Noun.

Les chrétiens libanais attendent du Pape un "fort encouragement" pour continuer à construire l'unité nationale qui reste «au cœur des problèmes du Liban.» Les deux communautés musulmanes, chiites et sunnites, attendent également de voir ce que dira ou ne dira pas le Pape sur la situation régionale et sur ​​la guerre qui est en train de détruire la Syrie, explique Fady Noun, directeur adjoint du plus grand quotidien francophone du pays L'Orient-Le Jour.


(Beyrouth) – Les chrétiens libanais attendent du Pape un « fort encouragement  » pour continuer à construire l’unité nationale qui reste « au cœur des problèmes du Liban. » Les deux communautés musulmanes, chiites et sunnites, attendent également de voir ce que dira ou ne dira pas le Pape sur la situation régionale et sur ​​la guerre qui est en train de détruire la Syrie, explique Fady Noun, directeur adjoint du plus grand quotidien francophone du pays L’Orient-Le Jour.

Dr Noun, comment l’opinion publique libanaise perçoit-elle la visite du Pape à Beyrouth du 14 au 16 septembre
Beaucoup attendent du Pape un message politique sur le Liban et la Syrie plus qu’un message pastoral. Et ceci pour deux raisons principales: parce que nous vivons actuellement une situation politique très tendue et parce que la confusion règne dans les médias au Liban, avec les télévisions et les journaux qui politisent le voyage pastoral du Pape.

Le 7 août dernier l’ancien ministre Michel Samaha a été arrêté en possession de 23 bombes, emportées de la Syrie au Liban avec sa voiture sur les ordres du régime syrien. Et ceci en vue d’organiser des attentats à un mois de la visite du Pape et pendant que le Patriarche Raï visitait la région. Que pensez-vous de cela ?
Le cas Samaha est emblématique du poids du passé et des interférences dans le Liban d’aujourd’hui: Il s’agit d’un épisode de la guerre qui oppose la Syrie et l’Iran à Israël et aux États-Unis, et ce n’est pas le premier exemple de la façon dont la Syrie continue d’affecter fortement la politique libanaise. Nous autres Libanais ne voulons pas de cela. Le Liban a cherché dès le début à se tenir à l’écart de la crise syrienne, et jusqu’à présent, d’une certaine manière, c’est réussi. Ce que fait le Liban n’a pas d’impact sur ce qui se passe en Syrie. La quantité d’armes qui passe la frontière est tout à fait négligeable par rapport aux approvisionnements qui arrivent d’Irak et de la Turquie pour les rebelles.

Pourquoi créer des tensions dans le nord du Liban? Qui en profite?
Cela fait partie de la stratégie de tension qui règne dans la guerre entre la Syrie, l’Iran et l’Occident. C’est le propre de la guerre civile selon Hafez al-Assad (père et prédécesseur de l’actuel président syrien – ndlr): « Vous voulez la paix au Liban? Vous devez venir en discuter ici à Damas. » Le Liban est la carte que le régime syrien a joué pendant des années dans les relations avec l’Occident, et il continue de le faire encore aujourd’hui. Le régime syrien est condamné. Et les Libanais ont énormément souffert à cause des Assad. Cependant, comme on le sait, des forces politiques et une partie de l’opinion publique libanaise restent en faveur du régime.

Et l’indépendance du Liban?
Nous nous posons tous la même question.

Quelle est l’importance des apparences religieuses?
L’idéologie est une chose et la religion en est une autre. Je ne nie pas qu’il y ait des racines religieuses, mais les principales raisons des litiges politiques sont d’ordre idéologique. N’oublions pas que le Hezbollah a été fondé au début des années quatre-vingt du siècle dernier en tant que mouvement de résistance contre Israël, après l’invasion de 78 et de 82 transformant le Liban en la pièce maitresse du plus ample conflit israélo-arabe. Depuis lors, le Hezbollah n’a fait que se renforcer. Il est devenu un parti politique, mais aussi l’expression de la révolution iranienne, liant presque inextricablement le sort du Liban avec celui de l’Iran. En 2005, l’assassinat de Rafic Hariri (ex premier ministre libanais – ndlr) a porté un coup à la communauté sunnite et à tout le pays, réveillant la conscience nationale et le désir d’indépendance: ce fut un moment très fort pour le Liban. Mais ce mouvement est encore à ses balbutiements et cela pour encore de nombreuses années, parce que les gens sont divisés, déchirés. Hariri n’est pas un héros national, mais son assassinat a eu le mérite de révéler à la communauté sunnite ce que signifiait l’occupation syrienne au Liban. J’ai personnellement vécu les événements de 2005 comme une vague d’enthousiasme, d’espoir, qui s’est soulevée dans tout le pays, comme un éveil. Et nous en sommes là aujourd’hui: personnellement, je suis en faveur de ce mouvement, malgré le chaos dans lequel nous nous trouvons. Ce qui est certain, c’est qu’un petit pays comme le Liban ne peut que dépendre d’autres pays, et ces autres pays font des erreurs: l’Egypte, l’Amérique … Et nous, nous procédons par tâtonnements, comme tout le monde.

Le Hezbollah refuse de remettre ses armes à l’État. Comment un pays peut-il survivre avec deux armées?
C’est le nœud du problème. L’autorité suppose la hiérarchie. Un État doit disposer d’un centre de commandement unique: ce mouvement autonome de la résistance doit parvenir à un accord avec le gouvernement libanais. Il faut qu’il soit incorporé dans le système de défense nationale, si nous voulons vraiment l’indépendance du Liban. Il n’existe aucun moyen de survivre avec deux armées indépendantes. Il s’agit ici de guerre froide entre ces deux systèmes de pouvoir, et il y a une grande crainte que le Hezbollah tente de prendre le contrôle complet du pays par l’infiltration de l’armée, et aussi avec le consentement électoral. Mais personne, au Liban, ne peut avoir le plein contrôle, parce qu’aucune communauté ne peut l’emporter sur l’autre, comme la guerre l’a amèrement démontré. Il faut toujours se réconcilier avec les autres communautés. La seule solution est de construire une conscience nationale unifiée qui intègre ces différents individus.

Jean-Paul II a qualifié le Liban de «message». Que cela signifie-t-il exactement? S’agit-il d’un slogan? Est-ce de la rhétorique? Est-ce du passé ou quelque chose qui tend à se réaliser dans le futur?
Ce sont toutes ces choses ensemble, en même temps. Il s’agit d’une déclaration rhétorique, d’une vision à atteindre, c’est quelque chose qui a eu lieu dans le passé, mais qui se passera encore dans le futur. Il y a du vrai dans tous ces éléments. La guerre a amené avec elle la malédiction de l’identité : l’identité, beaucoup d’entre nous l’ont vécu comme un cauchemar, pour ce qu’elle a comporté. Il est temps de dépasser tout cela. Nous devons aller au-delà de ce qui était connu jusqu’à présent, avec les moyens à notre disposition: l’État, la prière, les médias, les partis politiques, le message que le Pape va nous donner. C’est aussi ce que nous demandons au Pape, en tant que chrétiens libanais: de nous apporter des moyens moraux, spirituels, des efforts diplomatiques pour construire l’unité nationale, qui peut se bâtir avec l’aide de Dieu. Je crois en l’action de Dieu dans l’histoire. La situation s’est déjà améliorée par rapport à quelques années. Et je crois que l’Église, les communautés, les individus, chacun peut faire beaucoup pour cela.

Le Pape demande aux chrétiens de ne pas émigrer. Comment voyez-vous ce problème?
C’est aussi notre inquiétude. Ces dernières décennies, nous avons vu la présence chrétienne diminuer au Moyen-Orient: en Turquie, en Irak, en Palestine, au Liban. Et nous ne voulons pas qu’il en soit de même en Syrie. Pour cela, les Patriarches des Églises chrétiennes ont pris une position très prudente à l’égard de la Syrie. Une position qu’on ne peut comprendre sans prendre en compte ce qui s’est passé dans la région ces 60 dernières années: au moins la moitié des 500.000 Libanais qui ont quitté le pays pendant la guerre étaient des chrétiens. C’est pourquoi, aujourd’hui, je dis que nous ne sommes pas pour ou contre Assad, mais nous sommes pour que les chrétiens restent dans le pays: c’est notre priorité. Tout le reste, ce ne sont que des moyens. Les Libanais ont énormément souffert du jeu syrien. Nous sommes contre les violations des droits de l’homme perpétrées par le régime syrien. Nous désirons plus que jamais la démocratie. Mais à quoi bon obtenir la démocratisation de la Syrie si le prix à payer est la disparition totale des chrétiens?

Quels seront, à votre avis, les résultats de la visite du Pape?
Je pense que le Pape Benoît XVI, avec la Parole de Dieu, éclairera notre situation si compliquée: je voudrais qu’il nous encourage à la lumière de l’Evangile sur le plan spirituel, politique, social et même économique, sur nos problèmes et sur le manque de justice sociale. Nous savons par exemple que le Patriarcat maronite vient de publier un document important sur l’écart économique trop important qui existe entre les riches et les pauvres au Liban, et sur la pression fiscale trop forte pour les classes les plus pauvres. La guerre est une défaite pour l’humanité, la paix est une victoire pour l’humanité. J’espère que le Pape nous donnera des outils moraux, spirituels, politiques et sociaux pour surmonter ces problèmes.