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Palestine, le cirque comme théâtre de vie

Giulia Ceccutti
7 février 2021
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L'école de cirque palestinienne, active depuis plus d'une décennie, se développe et fait face aux défis posés par la pandémie. Ci-après, l'histoire du réalisateur Mohamad Rabah et d'un jeune élève, Rewa Boshe.


« Je suis les cours de l’Ecole du cirque depuis six ans. Je trouve que c’est une expérience incroyable. C’est comme une famille pour moi. J’aime tout : les jeux, les spectacles, le fait d’être ensemble et de rencontrer de nouveaux amis ». Rewa Boshe, 14 ans et parlant un excellent anglais, est enthousiaste au téléphone depuis Ramallah.

Chaque dimanche après-midi, elle s’entraîne dans le cirque de sa ville natale. La séance dure deux heures, et pour elle, elles passent à vitesse grand V. Elle a commencé par la gymnastique, raconte-t-elle. « Puis j’ai décidé d’essayer, pendant environ trois ans, une autre spécialité, la aerialsilk (en français : le tissu aérien, une discipline de cirque dans laquelle l’acrobate, à l’aide d’une longue bande de tissu légèrement élastique attachée à un crochet, exécute d’étonnantes figures suspendues – ndlr), alors que maintenant j’utilise principalement le cerceau. J’aime me mettre à l’épreuve avec de nouveaux outils, je n’ai pas peur de me mesurer avec une technique que je ne connais pas ».

Rewa est l’une des 250 jeunes qui, chaque année, suivent les cours de l’Ecole de cirque palestinienne, la première expérience de ce type fondée en 2007 dans les Territoires palestiniens. C’est aujourd’hui une réalité reconnue et structurée, qui emploie 13 personnes et se partage entre un vaste programme éducatif et un secteur artistique vivant, comme nous l’explique Mohamad Rabah, directeur depuis juillet 2018, depuis Birzeit, où se trouve le siège.

Avec le cirque, les protagonistes du changement

« Nous nous basons sur le concept de « cirque social » », a déclaré Rabah. « Nous essayons d’utiliser le cirque comme un outil de changement social. Dans cette optique, nous travaillons avec des enfants, des femmes, des jeunes porteurs de handicap, des communautés défavorisées, comme celles des camps de réfugiés ». D’où le choix d’être présent dans des villes et quartiers particulièrement difficiles : Jénine, Ramallah et le camp de réfugiés de Tulkarem, le quartier de Silwan à Jérusalem (site de tensions dues à l’occupation et aux démolitions de maisons).

Concernant Jérusalem, Mohamed explique : « Comme nous ne sommes pas autorisés à nous y rendre, nous formons depuis quatre ans des enseignants pour enseigner aux 30 enfants qui y sont inscrits ».

Dans chaque ville, l’école collabore également avec des associations et des partenaires locaux.

Une façon de raconter leurs histoires

L’idée de base, selon Mohamed, est de travailler sur le potentiel positif et créatif des enfants (mais pas seulement), de les impliquer afin de les faire devenir « des acteurs de plus en plus conscients, capables d’affronter les défis de manière constructive ».

Des acteurs ouverts sur le monde. Il y a trois ans, par exemple, Rewa s’est envolée pour l’Allemagne avec une quinzaine de ses camarades de classe pour participer à un spectacle intitulé « Traverser les frontières ». « A travers des acrobaties, des numéros et des jeux – dit-elle – nous avons raconté notre histoire, comment nous vivons ici en Palestine sous l’occupation. Ce fut une expérience inoubliable, également pour les amis et les personnes que nous avons rencontrés ».

Sur le web et en direct

L’une des innovations les plus importantes de ces dernières années a été la présence sur Internet, avec le développement d’une série de vidéos sur YouTube et la publication d’un manuel téléchargeable – pour l’instant uniquement en arabe. Ce dernier est un guide détaillé, destiné aux formateurs initiaux et aux professionnels, qui rassemble un éventail de méthodes de formation aux techniques du cirque.

Selon Mohamed, les avantages offerts par les outils en ligne sont indispensables, mais l’expérience en personne l’est tout autant : « Etre visible et connecté au monde extérieur à la Palestine est important et nous oblige à nous améliorer, mais rien ne peut remplacer, surtout pour les enfants, l’expérience humaine. Apprendre à « lire » le langage corporel, le sien et celui de ses compagnons, le toucher et le percevoir, sont des aspects irremplaçables ».

Les défis posés par la Covid-19

Dans quelle mesure l’école a-t-elle été touchée par la pandémie de Covid-19 ? Mohamed sourit à demi en se souvenant : « En mars dernier, nous étions en train de finaliser le plan d’activités pour les quatre prochaines années. Il est donc facile d’imaginer ce qu’ont représenté le confinement et l’interruption de tout. Nous n’avons pu retourner dans nos bureaux qu’à la fin du mois de mai. Il ajoute : « C’était la période la plus difficile car la plus incertaine, également du point de vue de la durabilité économique : en effet, 20% de l’école dépend des activités qu’elle organise. Les spectacles, les événements, les tournées et les festivals sont également une source de revenus pour nous ».

Depuis juin dernier, il y eu la reprise d’une partie des cours, avec les camps d’été et le programme de formation pour les enseignants. « Nous avons profité de ce temps pour produire de nouveaux spectacles et laisser mûrir d’autres propositions », conclut-il. « A sa manière, je peux dire qu’il a également été utile ».

Les principales sources de financement de l’école proviennent de différents gouvernements et de fondations (actuellement principalement allemandes, françaises et suédoises), dont la Fondation suisse Drosos, qui est active dans plusieurs pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

Il convient également de souligner que les frais d’inscription pour une année d’études sont de 700 shekels (177 euros), mais que seuls 40% paient cette somme dans sa totalité : les 60% restants reçoivent une bourse.

Bien plus qu’un chapiteau

Quant aux projets et aux rêves d’avenir, Mohamed n’a aucun doute : « Notre rêve ? Construire un cirque dans chaque ville et village de Palestine. Pour diffuser de plus en plus les valeurs et les idées auxquelles nous croyons. Un cirque n’est pas un simple chapiteau, une simple construction. C’est un lieu symbolique, il renvoie à beaucoup de choses : je pense en particulier à l’identité du réfugié, si vivante et ressentie pour nous, Palestiniens ».

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