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Ambassadeurs de Jérusalem depuis 600 ans

Emilie Rey
3 avril 2021
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Ambassadeurs de Jérusalem depuis 600 ans
Bienfaiteurs et Commissaires ont droit au registre de messes célébrées à leurs intentions. Ici au Saint-Sépulcre le supérieur tient le registre actuel. © Photos Nadim Asfour/CTS

En février dernier, c’est dans l’action de grâce que la Custodie de Terre Sainte a célébré au Saint-Sépulcre le 600e anniversaire des Commissaires de Terre Sainte. Aujourd’hui présents dans plus de 50 pays, qui sont-ils ? Quelle est leur histoire et leur rôle ?


Lundi 15 février, la messe quotidienne au Saint-Sépulcre a revêtu un caractère exceptionnel. Elle a été solennisée, présidée par le custode de Terre Sainte, en présence du nonce et Délégué apostolique. La Custodie de Terre Sainte voulait rendre grâce pour la mission qui est la sienne, pour ceux qui la lui ont confiée : les papes successifs ; pour ceux qui la rendent possible : les donateurs ; pour ceux qui suscitent ces donations : les Commissaires de Terre Sainte.

À vrai dire en ce jour, c’est surtout eux qui étaient à l’honneur au jour anniversaire ou presque de leur institution il y a 600 ans. C’est en effet le 14 février 1421, que le pape Martin V (1417-1431) institua leur fonction concédant aux franciscains de recueillir des aumônes par l’intermédiaire de “Procurateurs ou de “Commissaires” pour mener à bien la mission de la Custodie.

Un siècle auparavant, en 1342, le pape Clément VI écrivait la bulle Gratias agimus, l’équivalent de “l’acte de naissance” de la Custodie de Terre Sainte, qui approuvait et encourageait la présence des franciscains notamment au Saint-Sépulcre et au Cénacle. La même bulle prenait acte des besoins des frères tant humains que matériels, des besoins alors principalement couverts par le roi Robert d’Anjou et la reine Sanche, souverains de Naples et d’Aragon. De fait, la vie des frères sur place et leur récupération progressive des Lieux saints – alors sous domination musulmane depuis la prise d’Acre par les Mamelouks en 1291 – ne furent possibles que grâce à la générosité des princes chrétiens. Ainsi et pendant des siècles, les franciscains vont demeurer et former la seule communauté catholique latine autorisée par les pouvoirs en place. Ils vont devenir un trait d’union entre le Saint-Siège et les Églises orientales mais aussi un interlocuteur de premier plan entre les puissances européennes et les autorités musulmanes.

SURPRISE DU CHEF

Était-ce bien une lettre du pape ?

Le custode de Terre Sainte ne reçoit pas tous les jours des lettres du pape et encore moins manuscrite et transmise par des canaux non-conventionnels. Certes son contenu était particulièrement attentionné mais il a fallu s’assurer de son authenticité avant que de la publier. En voici le texte :

Le Vatican, le 2 février 2021

Cher frère,

Le 14 février prochain marquera le 600e anniversaire de l’institution des Commissaires de Terre Sainte par le pape Martin V.

Après tous ces siècles, la mission des Commissaires est toujours d’actualité : soutenir, promouvoir et mettre en valeur la mission de la Custodie de Terre Sainte en rendant possible un réseau de relations ecclésiales, spirituelles et caritatives qui ont pour point commun la terre où Jésus a vécu.

Je soutiens et bénis ce précieux service et j’espère qu’il deviendra toujours plus une semence de fraternité.

Je vous bénis tous de tout mon cœur et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi.

Fraternellement,

Francesco

 

Des procureurs laïcs aux Commissaires franciscains

Dès le XIVe siècle les chroniques des frères – celles du fr Gérard Chauvet, franciscain français de la Province d’Aquitaine ou de son compatriote fr Roger Garin, fondateur du couvent du Cénacle – témoignent de leurs relations privilégiées avec de nobles familles venues en pèlerinage à la Ville sainte. Des relations également tissées avec des marchands fortunés opérant la traversée entre la Sérénissime république de Venise et le port de Jaffa. Les frères vont être introduits au sein des cours napolitaines, vénitiennes, milanaises, anglaises ou encore françaises pour plaider la cause des Lieux saints.

VOCABULAIRE

Un terme venu d’ailleurs

Le terme “Commissaire” semble emprunté à la terminologie juridique vénitienne puisque Commissario signifiait “responsable” ou “curateur général” des intérêts d’une personne ou d’une institution. Au fil des siècles les laïcs furent progressivement remplacés par des frères franciscains et aujourd’hui, tous les Commissaires de Terre Sainte sont des religieux, nommés par leur supérieur territorial en concertation avec le custode de Terre Sainte.

 

Bien conscients qu’ils ne peuvent être à la fois en Europe et en Terre Sainte, ces missionnaires vont confier à des laïcs le soin de gérer les aumônes qu’ils reçoivent. Ils utilisent alors et pour la première fois, l’expression de “Procureur” de Terre Sainte. L’idée d’une personne dédiée à cette fonction est née. Et le premier laïc dont il est fait mention, en 1392, est le marchand Ruggero Contarini secondé dans sa tâche par son frère puis son neveu. Proche du fr Gérard Chauvet, devenu custode de Terre Sainte (1387/1388-1398), il est nommé “procureur pour le territoire de la république vénitienne” et entretient avec ce dernier, comme avec son successeur le fr Jean de Rochefort, une correspondance fournie.

Fallait-il encore que ce rôle soit accepté par l’Ordre franciscain en permanentes réflexion et division (Spirituels, Conventuels, Observants…) autour de l’interprétation de la pauvreté et de l’aumône érigées en règle par leur fondateur : “Quand ce sera nécessaire […] que les frères aillent demander l’aumône” (Première Règle de saint François 7, 8) à la manière de Jésus-Christ “qui fut pauvre et pèlerin, qui vécut d’aumônes, lui et la bienheureuse Vierge et ses disciples” (Première Règle 9, 5). C’est certainement ce qui poussa le pape Martin V à spécifier la même année dans la bulle Salutare Studium au sujet de ces Procureurs ou Commissaires de Terre Sainte : “Nous décidons que n’y font pas obstacles les Constitutions, les ordonnances apostoliques, les statuts, les coutumes de leur Ordre, même tout jurement ou confirmation apostolique”.

À l’occasion de la messe du 6e centenaire de la création des Commissaires de Terre Sainte, la bulle du pape Martin V était sortie des archives et apportée au Saint-Sépulcre. © Photos Nadim Asfour/CTS

 

Diffusion des Commissariats dans le monde et missions

Il serait bien difficile d’établir une chronologie fine de l’institution des Commissaires notamment en Europe où ils sont les plus anciens. Nous savons par exemple que les Commissariats de Naples, de Paris ou encore de Vienne furent fondés durant la première moitié du XVIIe siècle. Fait plus surprenant, mais témoignant de la vitalité missionnaire de l’Ordre de saint François, un Commissariat vit le jour, au début du XVIIIe, à Buenos Aires. Et si les Commissaires ont longtemps assumé la fonction “d’ambassadeur” de la Terre Sainte, ils ont aussi servi les intérêts de l’Ordre dans son ensemble. Ainsi le rétablissement d’un Commissariat à Paris permit le retour des franciscains après l’expulsion des religieux de 1880. C’est à la même époque que fut fondé à Washington le Commissariat des États-Unis (1882) et à Trois-Rivières celui du Canada (1888) par le bienheureux fr Frédéric Janssoone. Cette riche histoire des Commissariats de Terre Sainte n’a pas fini de surprendre : avec l’ouverture des Commissariats de Bangalore en Inde et de Poznan en Pologne, au cours de l’année 2020.

D’HIER À AUJOURD’HUI

Faire connaître la Terre Sainte

La mission première des Commissaires est d’être un pont entre la Terre Sainte et leur église d’appartenance. À travers eux, les fidèles du monde entier peuvent exercer leur solidarité envers Jérusalem. Dès le XVIIe, le Saint-Siège recommandait aux fidèles d’offrir, le jour de la Passion du Seigneur, une aumône en faveur des chrétiens de Palestine et des Lieux saints. Le pape Léon XIII établit le 26 décembre 1887 la Collecta pro Locis Sanctis, quête impérée dans toutes les églises paroissiales de la catholicité. Elle représente la principale source de subsistance de la vie autour des Lieux saints (vie des sanctuaires et des paroisses, œuvres sociales et éducatives, accueil et aménagements pour les pèlerins). Cette année la Collecte pour les Lieux saints devrait se dérouler le vendredi 2 avril 2021 et mobilise déjà l’énergie de tous les Commissaires.

Si l’animation de la quête du Vendredi saint auprès des évêques et du clergé local représente une part importante de leur mission, les Commissaires ont aussi à cœur de promouvoir une pastorale des Lieux saints. Elle s’exerce à travers l’organisation de pèlerinages, de journées de prière, de conférences ou de colloques et tout un travail d’érudition et de vulgarisation allant de la publication de guides de pèlerinages au soutien des revues de la Custodie – La Terre Sainte – devenue pour le monde francophone Terre Sainte Magazine. Et si la revue fête son centenaire c’est aussi grâce au méticuleux travail des Commissaires francophones qui, pendant des décennies, ont tenu à jour les listes des abonnés, veillant à l’encaissement des abonnements et à la bonne distribution de la revue.

Dernière mise à jour: 03/04/2024 12:56

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