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Daniel Munayer, la réconciliation comme engagement chrétien

Interview - Cécile Lemoine
20 avril 2023
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Daniel Munayer, la réconciliation comme engagement chrétien
Daniel Munayer est le directeur exécutif de Musalaha, une organisation chrétienne dont le nom signifie "Réconciliation" en arabe ©Musalaha YouTube

Chrétien palestinien de 31 ans, Daniel est le directeur exécutif de Musalaha, une ONG chrétienne qui a fait de la réconciliation une théorie et l’applique au conflit israélo-palestinien. Après un brillant parcours universitaire à l’étranger, il a choisi de revenir en Terre Sainte, où il estime que sa présence sera plus utile.


Voix de demain. Ils sont jeunes, chrétiens, palestiniens et/ou israéliens. Alors que beaucoup émigrent, en quête de meilleures opportunités, eux restent et s’engagent. Ils sont la génération qui pense et bâtit la Terre Sainte de demain. Leur voix vont compter.

Pourquoi lui ? Né à Jérusalem d’un père chrétien palestinien citoyen d’Israël et d’une mère britannique, Daniel a été éduqué dans une école juive israélienne avant de poursuivre des études de management à l’Université de Durham au Royaume-Uni, puis de relations internationales à l’American University de Washington D.C. Parce qu’il comprend et navigue aussi bien dans les mondes juif israélien que chrétien palestinien et international, Daniel tente de créer des ponts entre chaque. En mai 2022, il a été invité par le Conseil de sécurité de l’ONU à parler de réconciliation lors d’une réunion d’information sur la situation au Moyen-Orient.


Qu’est ce qui a motivé votre retour en Terre Sainte ?

C’est en discutant avec mes frères des différentes théologies de la libération et de la réconciliation que j’ai compris que revenir ici était la meilleure décision à prendre. Je me suis demandé : en tant que Palestinien, en tant que chrétien, en tant que personne de foi, si je veux consacrer ma vie à faire le bien, à essayer d’avoir une empreinte positive là où je suis, est-ce que je serais plus efficace ici ou à Londres ? Clairement, c’était ici. A cause de mon identité, de mon parcours, de mes compétences linguistiques, mais aussi de mon réseau. C’est ainsi que je l’ai logiquement envisagé. Il y a aussi eu un sentiment d’obligation à pratiquer le « sumud » (terme palestinien signifiant « fermeté » et se référant généralement à la résistance des Palestiniens) par la persévérance dans les pratiques, par le fait d’exister et de rester en Palestine.

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 Il y a tout de même eu un processus de réflexion, parce que j’ai eu de belles offres de travail à Londres. C’était tentant de rester. Il est plus simple de construire sa vie en dehors de la Terre Sainte : moins de difficultés sociales, financières, politiques… Mais j’ai toujours su qu’il était nécessaire de revenir, justement parce que les chrétiens partent et provoquent une fuite de cerveaux. Ma foi a évolué en engagement pour les gens qui vivent ici et l’histoire de cette terre. Les chrétiens palestiniens étaient et sont toujours une composante importante de l’identité des Palestiniens. Nous faisons partie du mouvement en faveur de la justice et de la libération pour l’ensemble du peuple palestinien.

Les chrétiens ont donc un rôle à jouer en Terre Sainte ?

La question n’est pas de savoir si nous avons un rôle à jouer : nous jouons un rôle par défaut, mais plutôt, quel type de rôle voulons-nous jouer ? Quelle position prenons-nous en tant que communauté ? Aujourd’hui, les chrétiens réagissent différemment à nos défis. Certains sont « isolationnistes » : ils limitent autant que possible les interactions avec d’autres communautés, en grande partie parce qu’ils se sentent menacés dans leur existence en tant que minorité. Cependant, l’isolement peut souvent créer un faux sentiment de supériorité à l’égard de leurs voisins musulmans. Il y a aussi les riches chrétiens laïques, qui ont souvent une conception simple de la foi et mettent l’accent sur le nationalisme. Ils affirmeront que nous sommes tous un peuple et que nous sommes tous pareils, sans reconnaître les différences entre les groupes ethno-religieux.

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D’autres chrétiens palestiniens cherchent à plaire aux puissants en coopérant avec eux. Ils peuvent en tirer des avantages ou un soulagement des difficultés de l’occupation militaire. En Israël, il y a des chrétiens Palestiniens qui rejoignent l’armée et qui gèrent les checkpoints militaires, avec le désir de s’intégrer dans la société juive israélienne. D’autres encore, se tournent vers la violence comme moyen de résistance à l’oppression israélienne. Cette approche est très éloignée des enseignements de Jésus sans être stratégique.

Je crois qu’en tant que chrétiens, nous disposons d’un cadre moral alternatif pour dialoguer avec nos voisins, et c’est la réconciliation. La réconciliation permet aux Palestiniens d’aborder l’injustice de leur réalité, de défier et d’affronter leurs ennemis avec amour, tout en revendiquant leur humanité et leur dignité. Dans le même temps, nous avons une responsabilité morale à l’égard de nos voisins juifs israéliens. Nous devons les libérer de leur racisme et de leurs idéologies.

Réconciliation. C’est la traduction du nom de l’organisation, “Musalaha”, dont vous êtes le directeur exécutif. Quel est son objectif ?

C’est un moyen de rétablir la relation. Pour qu’il y ait réconciliation, quatre éléments doivent être réunis : la vérité, la justice, la responsabilité historique et l’examen des structures juridiques et de pouvoir afin de restructurer le cadre de manière à ce que tout le monde bénéficie d’une égalité totale des chances. C’est loin d’être le cas aujourd’hui, donc nous travaillons en ce sens grâce à des cours, des programmes pour rapprocher chrétiens et musulmans, Palestiniens et Israéliens, basés sur les principes bibliques de la réconciliation. Nous visons les femmes, les jeunes, les responsables de la société civile… La réconciliation est un chemin constructif qui permet d’obtenir la justice et la libération des Palestiniens, sans que cela se fasse au détriment des Juifs israéliens. 

Quelle vision, quel rêve avez-vous pour la Terre Sainte ?

Que tous les habitants de cette terre vivent dans un cadre qui offre une égalité totale en termes de droits civils et de droits de l’homme. Que chaque communauté soit en mesure d’exprimer et de célébrer son identité, sans que cela se fasse au détriment des autres. Ce rêve doit être réalisé en collaboration avec nos voisins musulmans et juifs.

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