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Quirico Calella : « Au Liban, il est difficile de refuser d’aider des gens »

Propos recueillis par Cécile Lemoine
12 août 2021
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Une semaine de tests sérologiques au Couvent Saint François début décembre 2020 grâce ai Docteur Fiorella Gosetto venue spécialement du célèbre hôpital de Cottolengo, Turin- Italie. ©Saint-Francis Convent Tripoli

Moine franciscain, Quirico Calella a passé 38 de sa vie en Israël avant de partir pour le couvent de Tripoli-Mina où il est installé depuis 5 ans. Un brin hyperactif, il mène de front toute une série de projets pour venir en aide à une population usée par les crises. Interview.


Quelle est la situation au Liban aujourd’hui ?

Les dévaluations de la livre libanaise ont causé d’énormes dommages. La plupart des produits de consommation étant importés, leur prix est fixé sur le dollar. Comme la monnaie libanaise a perdu 93% de sa valeur, les gens n’ont plus les moyens de s’acheter à manger. Les rayons des pharmacies sont vidés de leurs médicaments. Pendant la pandémie, certaines familles n’avaient même pas l’argent pour se procurer des masques. Ces dernières semaines, deux enfants, l’un piqué par un scorpion et l’autre mordu par un chien, sont morts, faute d’antidotes à disposition. Et tragédie dans la tragédie, le système scolaire est au bord de la rupture : certaines écoles privées ne payent plus leurs enseignants depuis 16 mois. 

Quelles actions avez-vous mises en place au couvent Saint-François de Tripoli-Mina, pour venir en aide à la population ?

Nous organisons des activités sportives pour les enfants majoritairement chrétiens du quartier, ainsi que pour les migrants philippins et éthiopiens. Je collabore aussi avec des jeunes volontaires français qui sont venus m’aider dans l’organisation d’un camp cet été. Sur le plan sanitaire, nous faisons venir d’Italie tous les deux mois un docteur qui s’occupe des réfugiés syriens. Depuis l’explosion du port, et grâce aux dons récoltés par l’association Pro Terra Sancta nous distribuons également tous les mois 150 kits sanitaires avec des médicaments pour le diabète et d’autres maladies graves, ainsi que 150 kits alimentaires contenant des produits de première nécessité. En octobre prochain, nous ouvrirons un dispensaire au couvent, avec deux ou trois docteurs et une infirmière. J’organise également une collecte de fonds pour aider les écoles à payer les salaires. Enfin, nous montons un opéra pour célébrer les 800 ans de rencontre entre Saint-François et le sultan Melek al-Kamel.

Fr. Quirico Calella en plein plantation de cèdres avec les enfants du camp d’été 2021 ©Saint-Francis Convent Tripoli

Faites-vous tout cela seul ?

Oui. Nous étions deux au départ, mais l’autre frère a attrapé le Covid-19 et il a dû repartir. J’ai tout de même des liens avec les couvents Franciscains de Beyrouth et de Tyr et je suis aussi en relation avec les pères carmes.

« Beaucoup de chrétiens ne sont pas venus lors des premières distributions alimentaires, probablement mus par un sentiment de déclassement. »

Ces aides sont-elles uniquement réservées aux chrétiens ?

En ce qui concerne la distribution des kits alimentaires et sanitaires, j’ai d’abord demandé aux curés d’inscrire leurs paroissiens les plus démunis, qu’ils soient catholiques ou orthodoxes. Nous avons également ajouté une dizaine de familles musulmanes par l’intermédiaire d’un mufti et d’un cheikh que je connais, ainsi que des réfugiés syriens et palestiniens. Lors de notre deuxième distribution, où les gens pouvaient s’inscrire pour la suivante, nous avons rencontré des problèmes : la queue était impressionnante et il y a eu des bousculades. Près de 300 musulmans étaient venus s’inscrire, mais très peu de chrétiens. Beaucoup ne sont pas venus, mus par un probable sentiment de déclassement. Ils sont passés de la richesse à la pauvreté en seulement quelques mois. Faire la charité reste très difficile. C’est dur de refuser d’aider des gens.

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Voyez-vous des chrétiens quitter Tripoli ?

Oui. Avant la guerre civile des années 1970-1980, les chrétiens étaient plus de 250 000 à habiter la ville. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 25 000. Seulement 10% sont restés. A Tripoli, il y a une rue qui s’appelle rue des églises : on en trouve huit ! A Mina, il y en a cinq rien qu’autour du couvent. Les structures sont là. Ce sont les fidèles qui sont partis. Aujourd’hui quitter le Liban est compliqué car plus personne n’a d’argent pour acheter des billets d’avion.

« En tant que chrétien et Franciscain, je dois être optimiste »

La crise actuelle crée-t-elle des tensions intercommunautaires ou religieuses ?

Non pas vraiment. Le patriarche maronite, qui se veut proche de la population, dénonce clairement et régulièrement la corruption des hommes politiques. Peut-être que c’est aussi une grâce que l’Eglise passe par ces épreuves et ces crises sociales. Les conditions matérielles dans lesquelles vivaient une partie des autorités religieuses du pays avant la crise étaient scandaleuses. Après l’explosion, le pape a demandé à l’Eglise de bouger. Cela commence par ne pas vivre dans le luxe. 

Distribution de 200 kits alimentaires à Noël, une action coordonnée par l’ambassade des Philippines et la communauté locale du Nord du Liban ©Saint-Francis Convent Tripoli

Comment peut-on vous aider ?

Faire un don à travers l’association Pro Terra Sancta est déjà un beau geste. Le problème, en ce qui concerne les dons, ce sont les dévaluations. Depuis deux ans, on ne peut pas utiliser les dollars de la banque : une fois convertis en livre libanaise, il ne reste plus que ⅕ de leur valeur. Ce qu’il nous faudrait, c’est du cash, apporté par les gens qui viennent au Liban. 

Quel regard portez-vous sur l’avenir ?

L’espérance est la dernière à mourir, dit-on en italien. En tant que chrétien et Franciscain, je dois être optimiste. Je pense que l’homme a les ressources nécessaires pour aider son prochain. La crise n’est que temporaire. Une solution va émerger car le Liban et les Libanais ne méritent pas d’être laissé dans la pauvreté.

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