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À Béthanie, l’Association Pro Terra Sancta cultive l’amitié

Cécile Lemoine
25 juillet 2025
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Savons, huiles aromatisées, en souvenir de l’onction de Béthanie, le parfum est à l’honneur dans l’artisanat développé par les femmes du village. ©Cécile Lemoine

Depuis 10 ans, l’ONG de la Custodie de Terre Sainte entreprend de réhabiliter les trésors archéologiques délaissés du sanctuaire de Béthanie, avec la conviction que pour protéger ce site, il faut y intégrer la communauté locale. Un projet dans la droite ligne du message d’amitié, d’hospitalité et de féminité commémoré sur ce lieu saint.


Si le sanctuaire de Béthanie est adossé à la colline, les bureaux de l’Association Pro Terra Sancta (ATS), sont eux, adossés au Lieu saint, dans cette synergie vertueuse propre à la Custodie de Terre Sainte. Et ça s’y active. Les effluves musqués du nard s’échappent de la petite pièce voûtée où Maïsa et Saïda s’affairent. Employées par l’ATS, ces deux habitantes d’al-’Azariya travaillent depuis quelques jours à la confection d’une commande de 30 000 bougies parfumées. Une manière de remercier les donateurs de l’ONG de la Custodie de Terre Sainte, tout en aidant la communauté locale et en mettant son patrimoine à l’honneur. L’Évangile de Jean rapporte en effet que, lors d’une de ses visites à ses amies de Béthanie, Marthe et Marie, Jésus s’est fait oindre les pieds d’une “huile au parfum de nard pur de grand prix” (Jn 12, 3).


“Puisque la tradition chrétienne a associé ce lieu à la féminité, à l’amitié et à l’hospitalité, nous avons voulu aider les femmes d’al-’Azariya, membres vulnérables de la société, en leur offrant ce travail à temps plein alors que la situation est difficile”, raconte Alessia Hamdan, coordinatrice des activités d’ATS à Béthanie. Situé à 4 km de Jérusalem, mais de l’autre côté du mur de séparation, al-’Azariya souffre des conséquences économiques de la guerre. “Mon mari a perdu son permis de travail en Israël. Nous avons quatre enfants. C’était important pour moi de pouvoir soutenir ma famille”, témoigne Saïda, 41 ans, qui travaille pour la première fois de sa vie. Elle et Maïsa sont musulmanes, et même si la tâche est répétitive, elles l’affirment : “C’est beau de pouvoir faire vivre sa culture.”

Najati Fitiani est l’architecte palestinien qui travaille avec l’ONG ATS Terra Sancta pour tous les projets de Béthanie. ©Cécile Lemoine

Projets de développement

Cette conception du développement, ancrée dans les traditions et le soutien aux communautés locales, est la valeur cardinale de l’ONG de la Custodie de Terre Sainte. Cela fait près de 10 ans qu’elle opère à Béthanie, sous la houlette de feu Osama Hamdan, architecte palestinien, et Carla Benelli, historienne de l’art. En 2014 le custode Pierbattista Pizzaballa leur a confié la réhabilitation des restes archéologiques du sanctuaire, où trois églises se sont succédées entre la période byzantine (IVe-VIe siècles) et la période croisée (XIIe siècle). “Le site était à l’abandon et en mauvais état”, raconte Carla Benelli. Très vite, Osama Hamdan conçoit un plan directeur qui repense le chemin de visite à travers ce Lieu saint qui comprend la tombe de Lazare. “Le problème, c’est que les groupes ne s’arrêtent à Béthanie que quand ils descendent ou remontent de la mer Morte. Ils restent un quart d’heure, soupire le frère Eléazar Wroński. Nous voulions créer un parcours qui leur permettrait de comprendre l’histoire du site.”


“Osama était animé par la conviction qu’il fallait intégrer la communauté locale dans le processus de réhabilitation, qu’elle soit active. Pour lui, cela assurerait la survie du site sur le long terme”, détaille l’historienne italienne. C’est ainsi que, financée par l’Agence de coopération italienne, l’ATS a déblayé et restauré une partie des ruines ; pensé des camps d’été archéologiques dès 2015 ; lancé une licence en conservation du patrimoine à l’Université voisine d’Abou Dis, en partenariat avec l’Université de Palerme en 2024 ; débuté la construction d’une salle du Patrimoine pour accueillir les pèlerins dans un espace multimédia moderne ; organisé des visites pour des groupes de jeunes et d’enfants… “Notre but n’est pas de distribuer de l’argent, mais de donner les outils pour le futur pour qu’ils puissent prendre leur patrimoine en main”, souligne Carla Benelli.

Cohabitation multiculturelle

Posé à flanc de colline, le sanctuaire s’est retrouvé encastré dans le dense tissu urbain d’al-’Azariya. Si dense que son voisin immédiat est une mosquée et que la ruelle qui les sépare est si étroite qu’elle sert d’échappatoire aux groupes de jeunes quand ils affrontent l’armée israélienne à coups de pierres. “La cohabitation n’est pas toujours évidente”, regrette frère Eléazar. Tous les ans, en célébration du message d’amitié et d’hospitalité de Béthanie, l’ATS organise un iftar (repas de rupture du jeûne pendant le ramadan), avec les dirigeants locaux. “C’est toujours un défi pour eux d’accepter quelque chose de nouveau, souligne Jawad, un des employés d’ATS à Béthanie. Mais après plus de 10 ans de présence et d’activités, la communauté a compris qu’on voulait simplement préserver leur patrimoine et les aider.”