
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est intensifié au cours du tragique dernier biennium : beaucoup se sentent poussés à quitter non seulement la Palestine mais aussi Israël. Les tendances ressortent d’une récente étude de l’Institut israélien pour la démocratie.
On émigre de Terre Sainte. Les Palestiniens partent, les Israéliens aussi. Pour des raisons finalement pas si différentes : la recherche de sécurité, de meilleures perspectives professionnelles ou d’un avenir plus stable pour soi-même et pour ses enfants.
Il est difficile d’obtenir des données définitives sur le nombre de départs, mais le phénomène n’a rien d’un secret.
Côté palestinien, il suffit d’entendre les prêtres de Cisjordanie qui constatent le départ de familles entières, chrétiennes ou musulmanes, surtout au cours des deux dernières années : une période durant laquelle les restrictions imposées par l’occupation militaire israélienne et la violence des colons juifs se sont faites encore plus flagrantes et brutales, en représailles aux massacres du 7 octobre 2023. Dans la bande de Gaza en ruines, la pression à partir est encore plus forte.
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Si l’émigration des Palestiniens est un résultat souhaité – et facilité – par ceux qui en Israël veulent s’en débarrasser pour avoir les mains libres, celle des Israéliens est observée avec une certaine appréhension.
Les émigrants israéliens
En octobre dernier, à la Knesset, la Commission parlementaire pour l’immigration, l’absorption (des immigrants juifs) et les affaires de la diaspora s’est réunie pour discuter de l’augmentation significative du nombre d’émigrants (juifs ou arabo-palestiniens) quittant Israël. À cette occasion, les services d’information de la Knesset ont fourni plusieurs données : déjà en 2022-2023, on avait constaté une forte hausse du nombre de citoyens israéliens partant pour de longues périodes.
En 2022, 59 400 personnes sont parties, soit une augmentation de 44 % par rapport à l’année précédente ; en 2023, ce chiffre est monté à 82 800. En octobre 2023, un nouveau bond des départs a été probablement influencé par le traumatisme du « Samedi noir » et par la guerre suivante à Gaza. La tendance à la hausse s’est poursuivie en 2024.
En 2023, le nombre d’Israéliens revenus après un long séjour à l’étranger (24 200) était inférieur à celui de 2022 (29 600). Cette tendance s’est confirmée en 2024 : 12 100 rapatriés de janvier à août 2024, contre 15 600 durant les mêmes mois de 2023.
En résumé : le nombre d’Israéliens qui partent longtemps augmente, et celui de ceux qui rentrent diminue. Ainsi, la population israélienne a diminué de 29 700 personnes en 2022 ; de 58 600 en 2023 ; et, jusqu’en août, de 36 900 en 2024.
Une enquête d’opinion
Le départ des compatriotes est mal vu par beaucoup d’Israéliens qui y voient un fléau pour l’avenir de l’État juif. C’est ce que confirme une récente étude, publiée le 23 novembre dernier en hébreu, par l’Institut israélien pour la démocratie.
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Le rapport analyse des données recueillies auprès d’un échantillon de 907 citoyens israéliens adultes (720 juifs et 187 arabes ou Palestiniens), sondés entre le 6 et le 17 avril 2025.
Le sondage montre que la majorité du public israélien considère l’augmentation du nombre de départs comme une menace pour l’avenir de l’État. C’est l’avis de 58 % des citoyens juifs, et de 64 % des citoyens arabo-palestiniens. L’inquiétude augmente lorsqu’il s’agit de la « fuite des cerveaux », ou de groupes aisés et hautement qualifiés : 64 % des juifs et 73 % des Arabes s’en déclarent préoccupés.
Ceux qui seraient prêts à partir
En ce qui concerne les motivations, on comprend plus volontiers ceux qui partent à l’étranger pour terminer leurs études ou pour un regroupement familial : 82 % des personnes interrogées l’admettent comme raison valable. Ils sont moins enclins à légitimer le départ pour défiance envers le système politique (57 % seulement l’acceptent) ou par inquiétude pour sa sécurité personnelle (65 %). Les différences entre juifs et Arabes, ici, sont minimes.
Mais combien envisagent l’idée de partir pour toujours ou seulement temporairement ? Pas peu : un juif sur quatre et un Arabo-palestinien sur trois, selon le sondage. Mais les variables sont nombreuses.
L’âge, d’abord : chez les juifs de 18 à 34 ans, 36 % envisagent un départ ; entre 35 et 54 ans, on descend à 26 %. Au-delà de 55 ans, ils ne sont plus que 16 %. Chez les Palestiniens titulaires d’un passeport israélien, les différences sont autres : la tranche 35-54 ans est la plus encline à partir (34,5 %). Les 18-34 ans atteignent 28 %, et les plus de 55 ans 26 %.
Les juifs laïcs, les plus enclins à quitter le pays
Autre variable : l’appartenance socioreligieuse. Parmi les juifs laïcs, 39 % pourraient partir ; parmi les religieux, seulement 14 %. Le taux tombe à 3 % chez les haredim (ultra-orthodoxes).
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Les perspectives sur l’avenir du pays et l’orientation politique influencent aussi : 4 électeurs juifs de gauche sur 10 envisagent de partir ; 35 % au centre ; 19 % à droite.
On est davantage tenté de partir lorsqu’on a des proches qui l’ont déjà fait. Parmi les juifs nés en Israël mais disposant d’une double nationalité, 38 % envisagent l’émigration, contre 25 % chez ceux qui n’en ont pas. Autre précision : parmi les immigrés venus des pays de l’ex-bloc soviétique dans les années 1990, seuls 21 % retourneraient dans leur pays d’origine ; 6 sur 10 iraient ailleurs.
Vers quels horizons ?
Pour tous les sondés, la destination préférée est, de manière générale, l’Europe (43 %). Le Canada et les États-Unis ne dépassent pas 27 %. Les facteurs géographiques ou climatiques pèsent peu dans le choix. Comptent surtout : la qualité des services publics, la situation économique, le niveau d’antisémitisme ou d’islamophobie.
Environ la moitié des juifs et un tiers des Arabes qui envisagent un départ ne savent pas combien de temps ils resteraient à l’étranger. Un sur dix seulement projette une émigration permanente.
Pourquoi rester ?
Nous avons déjà relevé les raisons – auxquelles s’ajoute le coût très élevé de la vie – qui pourraient pousser à partir. Qu’est-ce qui pousse au contraire à rester ?
Le facteur principal, dans tous les groupes, est la proximité familiale. Chez les Arabes qui envisagent de partir mais choisissent finalement de rester, dominent aussi des raisons pragmatiques : avenir professionnel, crainte de ne pas s’adapter ailleurs. Chez les juifs qui, après avoir pesé le pour et le contre, décident de rester, apparaissent des motifs « culturels-nationaux » : la protection mutuelle, le désir d’élever ses enfants comme Israéliens, l’appartenance à une culture et à une mentalité spécifiques, la crainte de l’antisémitisme.


