« À 23 ans, j’ai participé à l’université de Tel-Aviv, à un cours de l’Ecole pour la paix intitulé Dialogue entre les identités. J’ai commencé à me sentir gêné, à ressentir un sentiment de culpabilité. A percevoir une complexité dans le conflit, que je ne comprends toujours pas pleinement. Je me suis dit : « Maintenant que je suis informé, j’ai beaucoup plus de responsabilités. Un jour, j’aurai des enfants et ils me demanderont : « Vous, qui étiez au courant, qu’avez-vous fait ? » »
Des mots qui ont du poids. Ce sont ceux de Roi Silberberg, directeur depuis quelques mois de l’Ecole pour la paix Neve Shalom / Wahat al Salam (l’Oasis de paix, sur une colline à une demi-heure de Jérusalem et de Tel Aviv, où des familles juives et arabes, toutes citoyennes israéliennes, vivent ensemble par choix).
Fondée en 1979 comme le « cœur » du Village et dirigée jusqu’en septembre dernier par l’une de ses fondatrices, Nava Sonnenschein, l’Ecole pour la Paix est la première institution éducative établie en Israël à promouvoir, à travers des cours et des séminaires, des moments de rencontre et de confrontation entre juifs et palestiniens sur la gestion du conflit. Elle a récemment été visée par deux incendies criminels, dont le premier a complètement détruit le bâtiment principal. Deux enquêtes sont en cours.
A la tête de l’école
Aujourd’hui, Roi – tout juste 40 ans, titulaire d’une maîtrise en droits de l’homme et d’un doctorat en philosophie de l’éducation – a une fille d’un an et a décidé de s’installer au village avec sa famille. Il travaille avec l’Ecole pour la paix depuis des années. Il a été par exemple médiateur pour des groupes en conflit. Il fut également impliqué dans diverses autres organisations : il a fondé l’ONG Amal – l’arabe parlé pour tous, qui enseigne l’arabe aux enfants des écoles primaires de Tel Aviv et de Jaffa, il est membre du conseil d’administration de Zochrot (ndlr – qui a comme objectif de sensibiliser le public israélien à la « Nakba ») et il est un collaborateur du groupe This is not an Ulpan (une initiative pour l’étude de l’arabe et de l’hébreu qui ne craint pas les questions gênantes à traiter).
Lorsqu’il parle de son nouveau rôle de directeur de l’Ecole de la paix, il y a un véritable enthousiasme dans son ton de voix. Nous lui avons demandé de nous raconter le chemin qui l’a conduit là où il se trouve maintenant.
« Mon histoire est très courante en Israël – sourit-il -. J’ai grandi dans une famille laïque de la région de Tel Aviv, politiquement assez gauchiste. Malgré cela, il était clair dès mon plus jeune âge que je ferais mon service militaire, parce que « c’est notre devoir », ou parce que « vous ne pouvez pas faire autrement ». Enfant, mes grands-parents m’ont emmené sur la place principale de Tel Aviv (aujourd’hui place Rabin), dédiée à l’indépendance, pour me montrer une exposition de l’armée qui comprenait beaucoup d’armes et de chars ».
À l’âge de 18 ans, il effectue le service militaire obligatoire, principalement au Sud-Liban. « Pendant cette période, je n’ai jamais eu de contact personnel avec les Arabes – se souvient Roi -. A 23 ans cependant, alors que j’étais déjà étudiant à l’université, j’ai été enrôlé comme réserviste dans les Territoires occupés. Pendant ces trois semaines de service, j’ai été témoin de la réalité de l’occupation, je suis donc devenu un refuznik : j’ai dit à l’armée que je ne prendrais plus part à cette oppression ».
Déterminé à résister
Nous demandons à Roi quel est le climat actuel au Village et à l’Ecole de la Paix, suite aux menaces – et aux dégâts – apportés par les deux incendies. « Cela a porté un coup à nos établissements d’enseignement et à notre sécurité. Nous avons réussi à continuer à travailler (ndlr – par le biais de cours en ligne et dans d’autres structures), en faisant preuve d’une grande détermination et d’une grande résilience. De plus, le soutien moral que nous avons reçu a donné du courage à l’école et à toute la communauté ».
Concernant les enquêtes en cours, menées par la police israélienne, Roi répond qu’elles n’ont abouti à aucun résultat jusqu’à présent, à l’exception de la certitude qu’il s’agissait d’épisodes malveillants. Et il ajoute sans détour : « Je m’inquiète du sentiment d’abandon et du non-respect que nous constatons contre nous, et envers la gauche en Israël en général. Les seuls outils dont nous disposons maintenant sont le soutien de l’opinion publique et le soutien (public et diplomatique), venant de l’extérieur, au dehors d’Israël ».
Un regard sur l’avenir
L’avenir est plein de projets et de défis sur différents fronts : reconstruire – grâce aux dons qui arrivent principalement des Associations d’Amis à l’étranger – le bâtiment qui a été détruit, élargir le public des cours en ouvrant à de nouvelles catégories professionnelles, rendre le réseau des anciens diplômés encore plus fort et plus actif, en fournissant également des compétences spécifiques dans ce sens.
Le renforcement du lien avec la communauté du Village est vital, un point que Roi place en tête des objectifs stratégiques qu’il définit ces jours-ci avec son personnel. « La première génération est celle qui a créé l’Ecole de la paix : maintenant, nous voulons nous rapprocher de la deuxième et de la troisième génération, et des nouveaux membres du Village. Nous travaillons avec Nadi, le club des garçons, et nous lançons un groupe de dialogue judéo-palestinien pour les jeunes familles ».
Un autre grand objectif, poursuit Roi, « est de contribuer au travail d’autres organisations non gouvernementales œuvrant dans le domaine de la paix. Nous offrons des conseils à diverses ONG et proposons des temps de médiation pour le personnel mixte avec du personnel juif et palestinien. Nous avons réalisé que c’était une bonne façon d’apporter notre contribution dans le domaine du dialogue et de la recherche de la paix ».
En ce qui concerne son nouveau poste, Roi conclut par ces mots : « L’Ecole pour la paix est une institution importante, avec un rôle et une voix très spécifiques au sein du mouvement pour la paix ici en Israël. Je sens qu’on m’a confié un grand don et que je dois à cette institution et à la communauté de Neve Shalom / Wahat al Salam, mes plus grands efforts pour faire retentir cette voix ».