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Fr Francesco Patton : “La Terre Sainte m’a changé”

Roberto Cetera
2 juillet 2025
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Fr Francesco Patton dans un récent cliché à Tabgha, sur la rive nord du lac de Tibériade. ©CTS

Au terme de ses neuf années d’expérience comme Custode de Terre Sainte, le père Patton décrit le visage qu’a pris la Custodie au fil de ce temps. Lui-même reconnaît avoir changé, notamment grâce aux relations interpersonnelles.


Avec la nomination de fr Francesco Ielpo comme nouveau Custode de Terre Sainte le 24 juin dernier, la longue mission de fr Francesco Patton s’est conclue après neuf années. Un tournant pour les plus de trois cents frères qu’il a soutenus, guidés et conseillés. L’intéressé, quant à lui, est plutôt serein…

« Je suis un frère mineur, explique fr Patton, et je considère donc qu’il est important que le service d’autorité soit vécu dans la conscience qu’il est temporaire et qu’il est bon de revenir à la vie de frère “simple”. Saint François disait aux frères que, lorsqu’un frère cesse d’exercer un service d’autorité, il doit être heureux, car la valeur de la personne ne dépend pas de la charge. Permettez-moi de citer ce texte dans son intégralité, car je m’y reconnais totalement : “Heureux le serviteur qui ne se croit pas meilleur quand il est loué et exalté par les hommes que lorsqu’il est tenu pour vil, simple et méprisable, car l’homme vaut autant devant Dieu qu’il vaut, et pas davantage. Malheur au religieux que les autres placent en haut et qui ne veut pas descendre de son propre gré. Et heureux le serviteur qui n’est pas placé en haut de son propre gré et qui désire toujours être sous les pieds des autres” » (Amonition XIX).

Dans un long entretien accordé à Roberto Cetera et publié le 25 juin par L’Osservatore Romano (dont nous proposons ici de larges extraits), fr Francesco Patton revient sur quelques moments essentiels de son service à la Custodie de Terre Sainte, à l’Ordre des Frères mineurs et à l’Église universelle.

Jordanie, Chypre, Syrie, Liban, Rhodes, Égypte, Israël et Palestine. Ce sont les territoires de présence de la Custodie. Pourriez-vous nous livrer un souvenir pour chacun de ces pays et des frères qui y vivent ?

La Jordanie signifie surtout pour moi le mont Nébo, le lieu d’où Moïse voit la Terre promise avant de mourir. C’est pour moi le lieu où l’on peut regarder la terre avec détachement et le Ciel de près. Chypre, ce sont les deux jours passés avec le pape François dans notre couvent de la Sainte-Croix à Nicosie, entourés de barbelés et faisant partie d’une Église multiethnique et multiculturelle qui exprime le visage de Pentecôte de la catholicité ; c’est aussi saint Barnabé, pour moi la plus belle figure de disciple racontée dans les Actes des Apôtres.

La Syrie, c’est mon premier choc avec la guerre, en août 2016, et donc l’admiration pour la fidélité à la mission des “mes” frères qui sont restés auprès des gens sans fuir, sans se préoccuper d’eux-mêmes, pendant les longues années de guerre : des pasteurs, pas des mercenaires. Le Liban, c’est un peuple de grande culture et de dignité, où les frères mineurs ont su dialoguer avec tous : avec les chrétiens de je ne sais combien de dénominations, avec les musulmans chiites au Sud, les sunnites au Nord et les autres minorités, se mettant au service de tous durant ces années de guerre, de crise économique et d’instabilité politique.

Rhodes, c’est un phare d’accueil et de dialogue, une porte ouverte à tous et surtout une parole bienveillante qui reconnaît la dignité de chaque personne, y compris des réfugiés et des déplacés, grâce à un frère anglais très méditerranéen nommé John Luke. L’Égypte me rappelle la belle expérience de dialogue que nous avons eue avec le plus important centre culturel musulman sunnite d’Al Azhar en 2019, à l’occasion du huitième centenaire de la rencontre entre saint François et le sultan à Damiette.

Israël et la Palestine, je ne peux les séparer : ce sont ces portions du monde où se concentrent presque tous les lieux saints que nous gardons et qui me permettent de reconnaître la profondeur des racines des chrétiens locaux qui portent dans leur ADN tous les peuples évoqués par le Nouveau Testament : juifs, samaritains, grecs et païens de la Décapole, romains venus avec les cohortes, libanais et syriens qui fréquentaient la Galilée des nations pour écouter Jésus et le rencontrer. Israël et la Palestine, c’est la terre de Jésus, de Joseph, de Marie et des apôtres, et chaque pierre, chaque paysage, chaque odeur me renvoie à l’Évangile et permet de faire vivre une expérience tridimensionnelle de l’Évangile. C’est la terre où, pendant neuf ans, j’ai pu célébrer les pages de l’Évangile en disant chaque fois hic, ici : le Verbe s’est fait chair, il est né, il a prêché, il a guéri, il est mort et il est ressuscité…

Entre Covid et guerre, les années de votre mandat ont été particulièrement mouvementées et difficiles. Quelle Custodie de Terre Sainte laissez-vous ?

Au-delà de la guerre et du Covid, je pense que la Custodie, en neuf ans, a grandi dans sa multiculturalité, s’est ouverte de manière significative à l’Asie et à l’Afrique et est ainsi devenue un excellent témoignage de catholicité : nous sommes des frères de près de 60 nationalités différentes, de tous les continents. Cet élargissement toujours plus catholique de la Custodie est sans doute ce dont je suis le plus heureux. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas l’intention de quitter la Custodie ; et si je devais, par force majeure, la quitter, elle restera toujours en moi.

Quelle a été votre expérience personnelle des relations interreligieuses ? Aviez-vous, au-delà des devoirs institutionnels, des relations régulières avec des juifs et des musulmans ?

J’ai surtout eu des relations personnelles significatives. Je pense par exemple à l’architecte Osama Hamdan, musulman, architecte de confiance de la Custodie, prématurément disparu. C’était un homme doté d’une grande sensibilité et spiritualité, qui, en tant que musulman, aimait beaucoup Jésus et témoignait qu’il peut y avoir une véritable harmonie, collaboration et amitié fraternelle entre chrétiens et musulmans. Côté juif, je veux rappeler un de nos collaborateurs pour la communication, Amir, avec qui il y a eu un chemin non seulement de collaboration, mais encore une fois d’amitié fraternelle et, dans des moments difficiles, de réconfort pour ne pas perdre l’espérance face à l’expérience du mal.

Et vos relations avec les représentants des autres confessions chrétiennes ?

Je dirais très bonnes, même si la relation la plus marquante a été avec le patriarche grec-orthodoxe Théophile III, qui m’a beaucoup appris sous de nombreux aspects et qui, bien des fois, m’a encouragé et aidé dans mon service de Custode. C’est un évêque qui croit beaucoup au dialogue et — pour reprendre son expression — sait que nous devons tous travailler pour que vienne le jour où nous pourrons lever ensemble le calice lors de la célébration eucharistique dans le lieu le plus saint de la chrétienté, c’est-à-dire au Saint-Sépulcre.

Votre mandat a largement coïncidé avec le pontificat du pape François. Celui-ci vous a fait l’honneur d’une magnifique préface au livre relatant votre expérience de Custode. Quel souvenir gardez-vous de François ?

Le plus beau souvenir, ce sont les jours passés avec lui à Chypre en décembre 2021. Je me rappelle la simplicité, l’humilité et l’humanité avec lesquelles il a accueilli ma demande d’enregistrer avec mon téléphone un message pour les jeunes de Terre Sainte. Et en cette occasion, il nous a offert un message d’espérance, l’invitation à relever la tête et à croire qu’en cette Terre Sainte nous n’avons pas seulement un passé à commémorer, mais aussi un avenir à construire.

Sur le plan humain et personnel, que gardez-vous de ces neuf années ?

Je crois être devenu un peu plus patient humainement, en apprenant des chrétiens locaux que, pour rester ici, il faut aimer cette terre, être résilient et comprendre qu’appartenir à cette terre n’est pas une malédiction, mais une vocation.

(synthèse de l’entretien par Giuseppe Caffulli)

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