Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

D’Assise à Damiette

Pietro Messa, ofm Université pontificale Antonianum, Rome
30 mai 2019
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D’Assise à Damiette
Cornelis Claesz van Wieringen, les navires chrétiens assiègent la tour de Damiette, 1628, Haarlem, musée Frans Hals.

François et les frères mineurs comprirent dès le début que leur devoir était de prêcher non seulement aux chrétiens mais à tous les hommes. C’est ainsi qu’ils se mirent en route vers les terres musulmanes. François partit en Orient voir le sultan que l’on disait passionné de culture occidentale et qui aurait même étudié à Paris…


Les noms de famille n’existant pas dans les villages et les bourgs médiévaux, les habitants étaient identifiés, en plus de leur prénom, par un patronyme, à savoir le nom du père, plus rarement par un matronyme, le nom de la mère. Ainsi, à Assise, le fils d’un marchand, né en 1182 environ, était connu sous le nom de François de Pierre Bernardone. Mais lorsqu’il se rendait ailleurs, en général dans la vallée de Spolète, on le connaissait comme François d’Assise. Ce fils de classe marchande cultivait le même désir que sa famille, gravir les échelons socialement afin de devenir noble et plus précisément chevalier. Ce rêve commun était presque un ciment entre les différentes générations dépourvues de blason bien que grandement enrichies.
Toutefois, à un moment donné, ce chemin envisagé prit un autre tournant. Quelque vingt ans plus tard, en 1226 peu avant sa mort, il affirma que ce changement de vie advint lorsqu’il prit pitié des lépreux. Cet événement transforma en douceur tout ce qu’il trouvait jusqu’alors amer, et particulièrement son regard sur les malades. La conséquence d’un tel revirement dans son existence fut qu’il abandonna le monde ; cependant, voulant vivre dans la miséricorde, il ne le méprisa pas et s’y inséra même plus profondément. On en voit l’accomplissement dans le Cantique de frère soleil, magnifique louange au Seigneur dans laquelle toutes les créatures sont nommées et valorisées.
Vite rejoint par des compagnons, frère François, comme il commençait à s’appeler et à être appelé, quitta la maison paternelle et se mit à parcourir les villages environnant Assise, surtout la vallée de Spolète, l’Apennin ombrio-marchesan et le territoire de la basse Ombrie, c’est-à-dire le bassin de Terni et les lieux avoisinants. Cette itinérance, qu’il définissait bibliquement comme le fait de se sentir “étrangers et pèlerins” (cf. 1P 2, 11), était mue par le désir de répandre le salut de la paix et par une prédication exhortative pénitentielle invitant les gens à abandonner leurs vices et à vivre vertueusement selon l’évangile. Évidemment, les terres parcourues étaient toutes chrétiennes, tout comme les régions transalpines où les frères furent envoyés les années suivantes.

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En effet, le christianisme était devenu un facteur d’unité pour différents pays européens qui avaient cependant deux points de contacts avec la civilisation islamique : à l’ouest la péninsule ibérique avec l’Andalousie arabe, et à l’est le Proche-Orient.
Ces frontières offraient rencontres, échanges mais aussi confrontations et oppositions. Des représentations d’époque montrent des chrétiens et des musulmans rassemblés autour de jeux de société, de discussions doctrinales, de commerce mais aussi de batailles. C’est dans ce contexte que prennent place ce que l’on appela les croisades, le mouvement européen de reconquête des Lieux saints et principalement Jérusalem. Honorius III, élu pape en 1216 à la mort d’Innocent III, voulut guider la croisade, par l’intermédiaire du cardinal Pelagio, qui ordonna l’attaque au delta du Nil près de la ville égyptienne de Damiette. Frère François ainsi que les frères mineurs perçurent leur devoir de prêcher non seulement aux chrétiens mais à toutes les autres personnes et ils se mirent en marche sur les terres musulmanes. François d’Assise alla en Orient, où le sultan Al-Malik Al-Kâmil était tellement passionné par la culture occidentale que l’on disait partout qu’il avait étudié à Paris. Cette attitude joua sans doute un rôle non négligeable pour que la rencontre avec François ne se termine pas en bain de sang. En revanche, la prédication que quelques frères mineurs firent au Maroc à la même époque eut une toute autre issue ; ils furent tués et leurs corps mutilés et envoyés à Coimbra émurent tant le frère canonique augustinien Fernando, qu’il voulut devenir franciscain lui aussi. Il prit le nom d’Antoine, sous lequel il est vénéré aujourd’hui encore comme saint non seulement à Padoue, mais partout ailleurs et même par les musulmans.
La rencontre entre frère François et le sultan fut racontée par les chroniqueurs de la Cinquième croisade, mais surtout par ceux qui relatèrent sa vie après sa canonisation par le pape Grégoire IX en 1228. Les hagiographes écrivent de leur point de vue et on ne s’étonne donc pas que leurs récits soient hostiles au roi Frédéric II. Celui-ci en effet, afin de ne pas interrompre les échanges commerciaux si rentables avec les différents sultans, n’entreprit pas de croisade pour libérer les Lieux saints, alors que le saint d’Assise, pour annoncer l’évangile, ne craignit pas de fouler les terres musulmanes.

François devant le sultan. Huile sur toile, Gaidano, 1898, Couvent Saint-Sauveur, Jérusalem.

 

Lecture nouvelle

On ne dispose pas de témoignages contemporains des frères massacrés au Maroc à Marrakech, mais seulement des récits hagiographiques écrits a posteriori qui soulignent surtout leur amour du Christ jusqu’à être prêts à mourir pour lui ; ils affirment aussi que l’ordre mineur tenait sa place parmi les ordres monastiques plus anciens et qu’il pouvait se vanter de martyrs comparables à ceux des premiers siècles chrétiens. Dans ce récit destiné à un auditoire intra-chrétien, on raconte évidemment aussi la méchanceté des tueurs qui dans ce cas précis étaient des musulmans. Mais le but de l’hagiographe n’était pas de pointer du doigt la méchanceté des autres au risque d’un conflit interreligieux mais, comme indiqué précédemment, de souligner la sainteté de ceux qui, plus tard, seront considérés comme les premiers martyrs franciscains.
D’ailleurs dans le cas des bienheureux martyrs franciscains Philippe et Jacques de Foligno, tués à Bevagna en 1377, les persécuteurs n’étaient sûrement pas musulmans mais bien chrétiens ! Et avec la sensibilité actuelle, on doit admettre comme inapproprié et non avenu ce que l’hagiographe fait dire aux 5 frères, puisqu’offensant la foi d’autrui et allant donc bien au-delà de la liberté de prêcher l’évangile.
La visite du pape François aux Émirats Arabes Unis (3-5 février 2019) – premier pontife à visiter la péninsule arabique – puis au Maroc (30-31 mars 2019), pendant l’Année de la rencontre du saint d’Assise avec le sultan, est l’occasion de prolonger l’épisode historique, désormais symbole de respect et de dialogue, mais aussi de commémorer les protomartyrs franciscains. Cela permettra d’entreprendre un cheminement réciproque nécessaire et essentiel de purification de la mémoire. ♦

 

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