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À Bethléem, un Noël politique, en solidarité avec Gaza

Cécile Lemoine
25 décembre 2023
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À Bethléem, un Noël politique, en solidarité avec Gaza
“La Nativité sous les décombres”, œuvre de l’artiste palestinien Tariq Salsa ©Cécile Lemoine

Douloureux, politique, médiatisé : en Terre sainte, Noël a été placé sous le signe de la solidarité avec Gaza.


Au milieu des tôles tordues, d’un amas de gravats et de barbelés, Joseph entoure de ses bras une Vierge Marie qui porte à bout de bras l’enfant Jésus emmailloté de blanc. “À la manière des mères des martyrs”, explique Tariq Salsa, l’artiste palestinien à l’origine de cette crèche installée devant la basilique de la Nativité à Bethléem.

Inaugurée le 23 décembre en présence du maire de Bethléem et de la ministre Palestinienne du Tourisme, cette “Nativité sous les décombres”, est une volonté du sculpteur d’illustrer la “souffrance de la Sainte Famille”, qu’il qualifie de “première famille de réfugiés palestiniens” en faisant référence à sa fuite vers l’Egypte après la naissance de Jésus.

Le message de solidarité et de profonde communion avec la douleur du peuple de Gaza irrigue l’édition 2023 de ce Noël en Terre sainte. Le joyeux défilé des troupes scoutes qui précède habituellement l’entrée du Patriarche latin de Jérusalem a cette année laissé place à une escorte sobre et silencieuse, faite d’une série de banderoles écrite en arabe et en anglais : “Gaza dans le coeur”, “On veut la vie pas de la mort”, “Paix sur Gaza et son peuple”, “Arrêtez la guerre maintenant”. 

Mauvais message

Les scouts de Bethléem ont aussi tenu à glisser un keffieh autour du cou du patriarche, Mgr Pierbattista Pizzaballa, avant qu’il n’entame sa remontée de la rue de l’Etoile vers la basilique de la Nativité sous protection policière et militaire largement renforcée. « Ils font de Noël un événement politique, alors que c’est loin d’être le sens de cette fête, regrette frère Sandro Tomašević, un des prêtres franciscains de la paroisse de Bethléem, dans le cortège qui suit le patriarche. 

Marche silencieuse des scouts de Bethléem pour escorter le Patriarche Latin de Jérusalem le long de la rue de l’Etoile ©Cécile Lemoine

Il n’y a pas foule pour accueillir le cardinal. La pluie a chassé les badauds. A moins que ça ne soit la polémique de la veille. Jeudi 21 décembre, les chefs des Eglises de Jérusalem ont rencontré le président israélien, comme tous les ans au moment de Noël. La photo, où ils posent tous autour d’Isaac Herzog, a suscité un tollé chez les Palestiniens. “Ils ont fait une erreur”, estime Tony Bero, responsable de projet pour SOS Village d’enfants à Gaza, à la fin de la messe de Noël à la paroisse syriaque catholique Saint-Joseph. “Je comprends que ce genre de rencontres soient nécessaires, mais pas la photo… Ça envoie le mauvais message.” Face aux critiques, les chefs des Églises se sont vus obligés de publier des éclaircissements : “La réunion n’avait pas pour but d’échanger des salutations, mais de transmettre la position de l’Eglise internationale, à savoir la fin du bain de sang à Gaza et en Cisjordanie.”

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Pris dans l’amas compact de journalistes et de photographes, le Patriarche parvient enfin sur la place de la Mangeoire aux alentours de 13 heures, où il se lance dans un discours aussi inhabituel qu’improvisé face aux caméras du monde entier : “Le message de Noël n’est pas celui de la violence, mais de la paix. Nous demandons un cessez-le-feu immédiat.” Un amuse bouche avant l’homélie de la messe de minuit.

Anticipant ce Noël douloureux, politique et médiatisé, les chefs religieux ont invité leurs fidèles à “se concentrer sur le sens profond” de cette fête. Les messes de Noël débordent. Par tradition autant que par esprit de corps : Gaza, Gaza… L’enclave, qui vit sous un tapis de bombes depuis le 7 octobre, est dans tous les cœurs et toutes les homélies.

Au milieu de la nuit, un feu brûle pourtant, celui allumé par les Syriaques catholiques après la lecture de l’Evangile sur le parvis de leur église. Une manière d’incarner concrètement la naissance de Jésus, “Prince de la Paix et lumière du monde”. 

« Mentalité du oui »

La messe de minuit, célébrée en grande pompe par les franciscains de la Custodie de Terre dans l’église Sainte-Catherine qui jouxte la basilique de la Nativité, a quant à elle été ouverte à tous. Une première quand un système de tickets, distribués principalement aux pèlerins, régit habituellement les entrées. C’est donc face à une assemblée largement composée de la communauté chrétienne locale que le cardinal Pierbattista commence son homélie. Il salue d’abord les hôtes présents : “Monsieur Ramzi Khoury représentant de l’Etat de Palestine, Abou Mazen n’ayant pu être présent cette année” et le cardinal Konrad krajewski, envoyé spécial du pape François. “A travers vous Eminence, nous voulons remercier le pape François pour ses intentions, pour sa proximité envers notre terre et spécialement nos fidèles de Gaza que le saint Père appelle presque tous les jours”. Après avoir salué les diplomates présents, il enchaîne sur une bonne nouvelle : “Grâce aux efforts du Roi Abadallah de Jordanie, nous avons pu approvisionner aujourd’hui notre paroisse de Gaza.” Les applaudissements sont nourris. Soulagés. 

Messe de Noël à la paroisse syriaque catholique de Bethléem, dont le rite inclue l’allumage d’une feu, symbole de la naissance de Jésus ©Cécile Lemoine

Puis, avec des mots, soigneusement pesés, le patriarche s’adresse autant aux habitants de la Terre Sainte qu’au reste du monde : “Mes pensées vont à tous, sans distinction, Palestiniens et Israéliens, à tous ceux qui sont touchés par cette guerre, à tous ceux qui sont en deuil, qui pleurent et qui attendent un signe de proximité et de chaleur. (…) Il me semble qu’aujourd’hui, tout le monde est enfermé dans son chagrin. La haine, le ressentiment et l’esprit de vengeance occupent tout l’espace du cœur et ne laissent pas de place à la présence de l’autre. Pourtant, l’autre nous est nécessaire. Car Noël, c’est justement cela, c’est Dieu qui se rend humainement présent et qui ouvre nos cœurs à un nouveau regard sur le monde”, lance Mgr Pizzaballa avant d’appeler à “créer une “mentalité du oui” contre la “stratégie du non””.

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“Dire oui au bien, oui à la paix, oui au dialogue, oui à l’autre ne doit pas être une simple rhétorique mais un engagement responsable, une volonté de faire de l’espace et non de l’occuper, de trouver une place pour l’autre et non de la nier. Noël a été rendu possible par l’espace que Marie et Joseph ont offert à Dieu et à l’enfant qui venait de Lui. Il n’y aura pas de justice, pas de paix sans l’espace ouvert par notre « oui » volontaire et généreux.”

À la fin de l’homélie, le Patriarche demande à se faire traduire vers l’arabe, pour s’adresser à la communauté de Gaza, qu’il connaît bien grâce à des visites annuelles : “Nous ne vous abandonnons pas. Vous êtes dans nos cœurs et nous vous embrassons.” Les applaudissements crépitent à nouveau, emprunts d’émotions.

La voix du patriarche se fait plus forte alors qu’il lâche ses notes pour une tirade plus politique : “Il est temps de mettre fin à ce non-sens. Nous voulons une fin des hostilités ainsi qu’une solution politique qui permettra d’apporter la paix et la sécurité autant aux Israéliens qu’aux Palestiniens.”

Et reprenant le rôle de pasteur de sa communauté, sa voix se fait plus chaleureuse : “Noël, c’est la lumière de Dieu qui est venue à nous. Alors rejoignez vos maisons avec le sourire aux lèvres et la vie au cœur, car Jésus est parmi nous et il est notre joie !”


L’intégralité du texte de l’homélie (pas complètement prononcée) est consultable ici.

Les images de la célébration sont visibles ici.

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