Des clés pour comprendre l’actualité du Moyen-Orient

Ruth: des deux rives du Jourdain

Claire Burkel, enseignante à l’École Cathédrale-Paris
14 mai 2025
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Booz réveillé. “Alors Ruth s'en alla tout doucement, dégagea une place à ses pieds et se coucha. Au milieu de la nuit l'homme eut un frisson ; il se retourna et vit une femme couchée à ses pieds.” -Rt 3, 7b-8 ©IA ChatGPT-DALL.E/MAB-TSM

Vous êtes invités aujourd’hui à lire un livre entier ! Rassurez-vous il ne compte que quatre chapitres. C’est le joli roman de Ruth, une histoire d’amour entre une femme et un homme qui ne sont pas du même pays, et une véritable histoire d’amour pour Dieu.


Le récit du livre de Ruth commence par un voyage de Bethléem jusqu’aux steppes de Moab de l’autre côté du Jourdain, et se termine par un retour en Judée. C’est l’histoire de deux femmes que la pauvreté poussera à s’exiler et qui vont ainsi accomplir un projet voulu par Dieu. On est au temps des Juges en Israël, autour des XIIIe-XIIe siècles av. J.-C., un régime précédant la royauté qui n’est pas encore instaurée. Les tribus israélites ont pris possession de Canaan, un territoire habité, et s’arrangent plus ou moins bien avec les populations locales et, sauf cas de guerre, chacune vit séparément sur ses terres.

Quand une famine est survenue dans la région de Bethléem, une petite famille est partie trouver de meilleurs pâturages “dans les champs de Moab”, c’est le centre de la Jordanie actuelle : Élimélek, dont on ignore la profession, et sa femme Noémi avec leurs deux fils Mahlôn et Kilyôn. Après la mort de leur père les deux jeunes hommes épousent deux femmes du pays, Orpa et Ruth. Mais ils meurent eux aussi avant d’avoir engendré des enfants.

Noémi, alors veuve et sans descendance, décide de retourner dans sa patrie car “elle avait appris que Dieu avait visité son peuple pour lui donner du pain”, c’est-à-dire que la période de disette était terminée. Elle invite ses belles-filles à la quitter pour, elles, demeurer là où elles sont nées. Orpa, dont le nom signifie “nuque”, regarde en effet en arrière et “retourne vers son peuple”. Mais Ruth fait montre d’un attachement indéfectible à sa belle-mère et prononce une magnifique profession de foi : “Où tu iras, j’irai ; où tu demeureras, je demeurerai. Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu.” Il est dit ensuite, à la fin du chapitre premier, que Ruth est “revenue des champs de Moab”.

Jeune païenne, Ruth devient l’épouse d’un Israélite. La tradition en fait l’arrière-grand-mère du roi David, et donc une ancêtre de Jésus. © MAB/CTS

Il serait grammaticalement plus juste de dire qu’elle en est seulement partie puisqu’elle n’a pas d’autre point de départ, mais le verbe choisi signale un mouvement spirituel de conversion, un vrai retournement, qui n’est pas une nostalgie, mais une espérance. Pour ce geste et cette déclaration de foi, Ruth comptera parmi les “Mères en Israël”, que l’on nomme aussi matriarches. Fin du chapitre 1.

À Bethléem

De retour dans son village, après avoir traversé le Jourdain qui toujours fait frontière, Noémi dit sa tristesse et son amertume, au point qu’elle demande à être appelée Mara (qui signifie “amère” ou “amertume”), tant la vie a été dure avec elle. Partie fière mère de deux fils, elle revient sans famille et sans soutien. On nous dit que c’était “le début de la moisson des orges”, donc un mois d’avril.

Ruth, qui ne manque pas de forces, va s’engager à glaner derrière les moissonneurs afin de gagner leur subsistance à elles deux. Les ouvriers remarquent qu’elle est vaillante “depuis le matin elle s’est à peine reposée”. Et en effet, “le soir, lorsqu’elle eut battu ce qu’elle avait ramassé, il y avait environ une mesure d’orge”, ce qui fait 35 litres de grain ! Au chapitre 2, “elle resta à glaner dans les champs de Booz jusqu’à la fin de la moisson des orges et des blés”, c’est-à-dire jusqu’en juillet ou fin juin.

Durant toute la saison la jeune femme a été remarquée par le propriétaire terrien, un notable du village qui se trouve du même clan que son beau-père, feu Élimélek. Booz, aussitôt qu’il l’a vue avec ses moissonneurs, l’a remarquée et lui a montré de l’intérêt et même une certaine prévenance : “J’interdis aux serviteurs de te frapper”. Il a entendu parler de son acte généreux de ne pas abandonner sa vieille belle-mère et il fait sa louange. Le chapitre 2 se déroule entièrement dans les champs.

Noémi, en bonne mère, songe à marier sa belle-fille et se renseigne sur ce généreux propriétaire : “N’est-il pas notre parent ?” -Rt 3, 2. Elle lui propose de se rapprocher de lui, nuitamment, et de lui faire comprendre, par le désir et par les lois, qu’il peut prendre soin d’elle encore plus tendrement : “Étends le pan de ton manteau sur ta servante, car tu as droit de rachat.”

Assis à la porte

C’est aux portes des villes que se réglaient les transactions, les litiges, les achats de bestiaux. Car on ne ferait jamais entrer des troupeaux poussiéreux dans les murs d’une cité ! Et, on le voit ici, sont parfois conclus les mariages arrangés entre familles.

Ce propriétaire foncier sera habile au moment de régler la situation des deux femmes : dans un beau discours il n’évoquera d’abord que la pièce de terre à son parent, qui est le premier en droit de racheter selon la coutume, puisque “Noémi qui est revenue des champs de Moab la met en vente”. Ensuite, seulement, mentionne-t-il que les deux femmes y sont contractuellement attachées, notamment une “à marier”. Quelle chance que lui soit encore célibataire ! alors que le “cousin” est marié, déjà chargé de famille.

À ce moment est insérée une histoire de sandales : “C’était la coutume en Israël, pour valider toute affaire, l’un ôtait sa sandale et la donnait à l’autre, c’était un témoignage” -Rt 4, 7. Il est possible de lire en arrière-fond des paroles de Jean le Baptiste : “Je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales” -Mc 1, 7- en plus de l’humilité dont elles font preuve, une indication qu’il se porte témoin de ce qui est en train de se passer : une alliance va se nouer, que le Précurseur est chargé d’annoncer.

Les “anciens” de Bethléem valideront la transaction et l’union : “Que le Seigneur rende la femme qui va entrer dans ta maison semblable à Rachel et à Léa qui, à elles deux, ont édifié la maison d’Israël. Deviens puissant en Ephrata et fais-toi un nom dans Bethléem” -Rt 4, 11. La jeune Ruth, heureusement mariée, enfanta alors un fils, consolation pour la vieille Noémi et soutien de son grand âge. “Les voisines l’appelèrent Obed” -Rt 4, 17.

Puisqu’étrangement ce n’est pas le père qui nomme cet enfant, mais les commères, on comprend que tout le village est concerné par l’aventure de Noémi et de sa belle-fille Moabite et tous font corps autour d’elles.
Ce livre dans son ensemble est un magnifique plaidoyer pour l’accueil de l’étranger. Le peuple d’Israël ne peut se dire ethniquement “pur”, ni soutenir une théorie raciale, il a de tous temps inclus en son sein d’autres groupes, à la suite d’Abraham l’ancêtre “Araméen errant” -Dt 26, 5b.

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