Des clés pour comprendre l’actualité du Moyen-Orient

Syrie, le retour des chrétiens à Ghassanieh

Ordo Fratrum Minorum et Custodia.org
12 novembre 2025
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable

Un événement d’une portée humaine, ecclésiale et franciscaine extraordinaire. 13 ans après en avoir été chassés par Daesh, les chrétiens de Ghassanieh retrouvent leur village.


Le samedi 8 novembre 2025, une foule immense s’est rassemblée dans le village syrien de Ghassanieh, dans l’ouest du pays, dans la vallée de l’Oronte. Elle a accueilli, au son des klaxons et des tambours, l’évêque latin de Syrie, Mgr Hanna Jallouf OFM, l’évêque grec-orthodoxe de Lattaquié, Mgr Athanasius Fahed, et le président du Synode évangélique de Syrie et du Liban, le pasteur Ibrahim Nuseir. Avec eux, une dizaine de frères de la Custodie de Terre Sainte — dont dépendent les présences franciscaines en Syrie — étaient venus des villages voisins ainsi que d’Alep, Lattaquié et Damas. Parmi eux, le frère Firas Lutfi, dernier franciscain qui a demeuré dans le village, se souvient parfaitement de l’assassinat du père François Mourad (le 23 juin 2013) par des djihadistes, de la fuite des chrétiens, des frères et des sœurs du Rosaire, et des bombardements qui ont ensuite ravagé le village tout entier.

À lire bientôt dans Terre Sainte Magazine → Pour vivre avec les musulmans, il faut être chrétien – Hanna Jallouf, vicaire apostolique d’Alep des latins

On comprend ainsi mieux la joie débordante qui enveloppait la foule lors de ce retour au village. Parmi les ruines, le cortège œcuménique s’est déplacé d’église en église pour bénir les lieux et les fidèles, comme pour exorciser le mal et les multiples profanations commises ici. La prière du Notre Père a été récitée avec ferveur : « Il n’y a plus de Grecs, de Latins ou de Protestants ; nous sommes un seul peuple, nous avons souffert la même douleur », témoigne Gisèle, tenant sa plus jeune fille dans les bras.

Le rythme des tambours s’intensifie à mesure que le cortège s’approche de l’église latine consacrée à saint Antoine de Padoue et du couvent franciscain. Tony, un jeune homme d’une vingtaine d’années, ne tarit pas d’éloges envers les franciscains : « C’est grâce à eux que nous pouvons aujourd’hui rentrer chez nous. »

Lire aussi → Mgr Jallouf : « S’ils continuent sur cette voie, il y a de l’espoir » pour la Syrie – Décembre 2024

En effet, les frères Louai Bsharat et Khukaz Mesrob, prêtres des villages voisins de Yacoubieh et de Knayeh, n’ont ménagé aucun effort depuis la libération de la Syrie, le 8 décembre dernier. Soutenus par l’évêque latin Jallouf, ils ont plaidé la cause de tous les chrétiens de la région auprès des autorités locales et nationales. Les chrétiens ont ici été expropriés de leurs biens, maisons comme terres agricoles. Ceux qui sont restés ont enduré humiliations, privation de droits et, pour certains, prison et torture.

Face à l’aggravation de la situation, la Custodie de Terre Sainte avait choisi de demeurer dans les villages de Yacoubieh et de Knayeh. Les franciscains furent les seuls religieux à partager toutes ces épreuves avec leurs frères chrétiens, les servant comme prêtres, infirmiers, enseignants, avocats et bien plus encore. Dans les cris de joie, les fidèles n’hésitent pas à les porter sur leurs épaules en signe de reconnaissance.

Dans l’église franciscaine, où croix, vitraux, statues et autel ont disparu, l’évêque latin conduit la prière. Après le Notre Père et le Je vous salue Marie, les frères entonnent le Salve, Sancte Pater en chant grégorien — un hymne franciscain du XIVᵉ siècle —, invoquant la protection et l’aide de saint François d’Assise, prophète du dialogue et de la réconciliation. La tâche est immense, mais la nouvelle génération de frères entend bien la relever.

Dans le discours prononcé au nom du Custode de Terre Sainte par le Père Bahjat Karakash, l’accent a été mis sur la résilience, la fraternité et une foi inébranlable. Pour beaucoup, dont le Père Raimondo Girgis, membre discret du Custode de Terre Sainte et enfant du village, cette journée symbolisait un retour aux sources : « Ghassanieh est de retour. L’espoir renaît. La foi a triomphé. »

Les premières prières ont résonné dans les rues de la ville autrefois martyre ©CTS

Depuis Jérusalem, le Custode de Terre Sainte a rappelé avec gratitude l’engagement et la persévérance des frères de la Custodie de Syrie, notamment Mgr Hanna Jallouf et Frère Anton Louxa, qui « ont gardé avec foi et courage la présence chrétienne en une terre blessée, mais toujours vivante dans le cœur du Christ ».

Dans une lettre adressé aux frères de la Custodie à la veille de l’évènement, il les avait invité à la prière et à l’unité spirituelle : « J’invite chaque fraternité de la Custodie à s’unir spirituellement aux frères de Ghassanieh dans la prière et la reconnaissance, afin que ce signe d’espérance devienne pour nous tous un appel à la fidélité et à la persévérance au service de l’Évangile, même dans les situations les plus difficiles. » 

Le frère Elias Giorgios, un Syrien en formation à Rome, regarde le jour même les nombreuses vidéos qui affluent sur son téléphone. « Ghassanieh est mon village natal. J’ai l’impression de rêver, je n’y crois pas. Je suis sans voix, je pleure… Ma mère et mes frères sont là. Je suis envahi d’une joie profonde et, en même temps, conscient de l’ampleur de la destruction… Mais j’ai confiance en l’avenir : au fil des années d’exil, les gens ont développé un très fort sentiment d’appartenance à notre terre. Ils attendent le retour de leurs frères pour pouvoir rentrer ; ils nous font confiance. »

Tandis que les festivités battent encore leur plein sur les marches de l’église Saint-Antoine de Padoue, de nombreuses familles ont déroulé des tapis, et les rires des enfants s’élèvent parmi les ruines. On prépare le café ou le maté, et, aussi fou que cela puisse paraître, aujourd’hui, tous sont revenus chez eux.

Il s’agit, selon les mots du Custode de Terre Sainte, le frère Francesco Ielpo, d’« un événement historique pour la Custodie de Terre Sainte, un événement d’une portée humaine et ecclésiale extraordinaire ».

Sur le même sujet
Le numéro en cours

La Newsletter

Abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire

Cliquez ici
Les plus lus