Chrétiens de Syrie: deux mois après la tuerie à l’église Mar Elias, la peur persiste

Grilles de protection, baisse de la fréquentation des églises, désir d'émigrer... Deux mois après la mort de 25 personnes dans l'attaque de l'église Mar Elias à Damas, quelques franciscains décrivent les sentiments des chrétiens syriens.
Une grille a été installée à l’entrée de l’église Saint-François d’Alep. « Un gardien et quelques bénévoles se relaient pour contrôler les entrées de l’église. L’accès a été restreint. L’atmosphère est tendue… Les gens craignent de nouvelles attaques », explique Frère Bahjat Karakach, curé d’Alep dans une vidéo partagée dans la newsletter des franciscains de Syrie.
Deux mois après l’attentat suicide perpétré dans l’église orthodoxe Mar Elias, à Damas, le 22 juin dernier, qui a fait 25 morts et une centaine de blessés, la peur et l’incertitude sont les sentiments qui dominent chez les chrétiens syriens. La tension s’était encore accrue le 13 juillet dernier. À quelques kilomètres de Tartous, dans la petite ville d’Al-Kharibat, un attentat contre une autre église dédiée à Mar Elias a été déjoué. Une voiture suspecte chargée d’explosifs a été repérée avant qu’elle ne puisse exploser grâce à la collaboration entre les habitants et les forces de sécurité.

La situation de la paroisse de rite latin d’Alep reflète le climat qui règne dans toute la Syrie. « Il y a un fort sentiment d’instabilité dans le pays, explique frère Bahjat. Les chrétiens sont très inquiets. Les mesures de sécurité dans nos églises, les contrôles, les portes fermées, la peur des attentats… Tout cela instaure un sentiment d’insécurité ». Résultat, l’Église latine a réduit de manière significative ses activités. Les camps d’été annuels, rendez-vous attendu à cette période de l’année, ont été annulés.
Désir d’émigrer
Le président Ahmad al-Sharaa, qui a pris le pouvoir en décembre 2024 après la destitution de Bachar al-Assad, tente d’imposer un nouvel ordre politique et institutionnel, mais il semble être l’otage des conflits sectaires et des résurgences djihadistes, comme le rapportent les chroniques quotidiennes.
L’attaque israélienne sur Damas, qui a détruit le ministère de la Défense et les bâtiments environnants le 16 juillet fait suite à plusieurs jours de violences à Suweida, dans le sud de la Syrie, principal centre de la minorité druze qui a affrontée pendant plusieurs jours les forces de sécurité syriennes et des groupes djihadistes (sunnites). Les violences auraient commencé par des différends locaux entre combattants druzes et Bédouins arabes, qui ont ensuite dégénéré en affrontements armés. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, près de 250 personnes auraient été tuées.
« Inutile de dire que dans cette situation, le désir d’émigrer reste très fort parmi nos jeunes, ajoute frère Bahjat. Cela semble être leur seul objectif ; ils ne parviennent pas à imaginer un autre projet personnel que celui de partir. La situation est très critique et nous ne savons pas comment elle va évoluer. » L’évêque Hanna Jallouf a déclaré qu’aujourd’hui, 90 % des familles chrétiennes envisagent d’émigrer, contre environ 50 % avant l’attentat.
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À Damas, le frère Firas Lutfi, curé de la communauté latine de Saint-Paul, non loin du lieu du massacre de Mar Elias, fait écho à ses propos. « Les chrétiens de Syrie vivent dans un état d’esprit de grande insécurité. Ils attendent des éclaircissements sur leur avenir. On travaille à l’élaboration d’une nouvelle constitution et à la formation du nouveau parlement syrien. Des appels à la participation à la vie sociale et politique nous parviennent. Ce que nous espérons, c’est que les promesses se concrétisent. Jusqu’à présent, il y a eu beaucoup d’ambiguïtés. Au milieu de ces violences, nous attendons de savoir comment sera l’avenir ; nous voulons vivre dans un pays stable, démocratique, où tout le monde se sent en sécurité ».
Baisse de la fréquentation des églises
Pendant ce temps, la communauté chrétienne de Damas, dans ses différentes composantes, reste sous le choc. « Les fidèles vivent dans la panique, ajoute frère Firas, même ceux qui n’étaient pas à l’église ce jour-là sont traumatisés. On constate une baisse significative de la fréquentation des fidèles, dans un pays où la participation à la messe a toujours été très élevée. La peur est compréhensible. Les églises étaient des lieux où l’on trouvait paix et sécurité. Elles sont désormais perçues comme des lieux dangereux ».

Même pendant les longues années de guerre civile, aucun massacre de ce genre ne s’était produit contre les chrétiens. C’est l’attaque la plus grave commise contre des civils la capitale syrienne depuis la fin officielle de la guerre : « Cet espoir d’un changement positif après la chute du régime, même s’il n’a pas totalement disparu, a été en grande parti déçu. Nous essayons de poursuivre notre vie en protégeant notre peuple autant que possible« , témoigne frère Bahjat.
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Le ministère de l’Intérieur a fait état d’un seul kamikaze, mais des témoins oculaires ont rapporté la présence de deux hommes, arrivés à moto et apparemment non arabes. L’un des deux aurait ouvert le feu sur les fidèles avant d’activer une veste explosive. L’hypothèse dominante est qu’il s’agit d’un message de l’islam radical contre le gouvernement du président Ahmad al-Sharaa, qui est issu des rangs des formations combattantes djihadistes, mais semble vouloir donner une orientation modérée au pays afin de favoriser la reconstruction.
L’Assemblée des Ordinaires catholiques de Terre Sainte, dont le siège est à Jérusalem, a publié le lendemain une note de condamnation ferme et de condoléances. « Il n’existe aucune justification religieuse, morale ou rationnelle au massacre d’innocents, encore moins dans un lieu sacré », peut-on lire dans le communiqué. L’attaque a été qualifiée de « crime contre l’humanité et péché devant Dieu ».