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Nourhan Ier Manougian: affermir la Fraternité arménienne

Marie-Armelle Beaulieu
8 mars 2013
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C’est à Terre Sainte Magazine que le nouvellement élu 97e patriarche arménien apostolique de Jérusalem, Sa Béatitude Nourhan Ier Manougian, a réservé sa première interview. Il succède au patriarche Torkom, décédé en octobre, à 93 ans, d’une longue maladie entraînant une certaine vacance de la charge. Le nouveau patriarche entend donc affermir sa communauté.


Béatitude, quels ont été vos sentiments votre élection comme patriarche ?

C’était un sentiment partagé. J’étais bien sûr heureux, je ne peux pas le nier. Mais d’un autre côté, j’étais un peu triste car j’aurais aimé que mes parents soient en vie pour l’apprendre. Je les ai perdus très jeune. J’avais trois ans quand mon père est mort et trois ans plus tard ma mère décéda. C’est une chose normale de souhaiter que ceux qu’on aime nous entourent en pareilles circonstances. Mais Dieu en a voulu autrement. J’étais content puis le poids de la responsabilité m’est tombé sur les épaules et j’ai commencé à réfléchir comment vais-je procéder ? Quels sont les problèmes à résoudre ? Mais je suis sûr que Dieu va me venir en aide.

Quelles vont être les priorités de votre action pour votre Église ?

Tout d’abord, je veux renforcer la fraternité. C’est ma priorité. Affermir la fraternité, ses membres. La fraternité doit s’ordonner autour de règles et de règlements clairs et y être attachée. Ensuite, réorganiser les différents monastères. Enfin et en termes de priorité, je désire voir restaurée la cathédrale Saint-Jacques.

J’ai rencontré il y a quelques années des Italiens qui se sont portés volontaires pour le faire. Mais à cette époque, notre Patriarche émettait des réserves. Je veux relancer ce projet mais il va falloir trouver de l’aide et des fonds. Il faudrait 15 millions d’euros pour restaurer l’église du sol au plafond, à l’intérieur et à l’extérieur.

Bien sûr il y a d’autres points qu’il faudra envisager. L’enseignement dans notre séminaire par exemple. Un des problèmes auquel nous devons faire face, c’est que nous ne trouvons pas de professeurs arméniens qualifiés. Il faut savoir qu’il y a deux langues arméniennes. L’une “occidentale”, c’est celle en usage dans la diaspora et tout le Proche-Orient et donc dans la fraternité et, l’autre “orientale” en usage en Arménie, Russie, Iran.

Est-ce si différent ?

Un Arménien d’Arménie à moins de connaître l’arménien classique ne nous comprend pas.

Et d’où viennent vos séminaristes ?

Ils viennent d’Arménie. Avant la guerre de 67, nous les faisions principalement venir de Syrie et du Liban. Mais depuis, comme ils venaient de pays ennemis d’Israël, c’est devenu compliqué voir impossible d’obtenir les visas. Aussi a-t-on fait venir les séminaristes d’Arménie avec les difficultés de langue que j’ai évoquées, avec la difficulté aussi d’accueillir des jeunes qui, après 70 ans de communisme, ont perdu la familiarité avec l’Église. Depuis 1992, nous avons accueilli ici quelques centaines de séminaristes d’Arménie, sept d’entre eux ont été ordonnés prêtres. Aujourd’hui, les séminaristes sont une petite quarantaine.

Quel type de relations à la Fraternité Saint-Jacques avec l’Église- mère d’Arménie ?

Le Saint-Siège d’Etchmiadzin est un centre spirituel pour tous les Arméniens. Donc nous le regardons comme tel. Seul le Catholicos (1) peut ordonner un évêque aussi nos évêques sont-ils ordonnés en Arménie. Mais nous vivons sur les Lieux Saint qui sont le pôle d’attraction de toute la chrétienté et cela nous confère une place particulière.

Quels sont vos liens avec la diaspora arménienne ?

Pour les Arméniens d’Arménie, nous sommes la diaspora. Mais dans notre message de Noël, nous les nommons la diaspora. Il est vrai que notre Fraternité a des représentations dans le monde : aux États-Unis, en Australie, en Europe. En tant qu’évêques, ils sont en premier lieu en lien avec le Saint-Siège, mais à travers eux nous avons des liens directs avec une partie de la diaspora arménienne. Certains prêtres, certains évêques organisent des pèlerinages ici. Personnellement, lors d’un voyage aux États-Unis, j’ai rencontré des Arméniens originaires de Jérusalem et eux aussi commencent à organiser des pèlerinages et des visites en Terre Sainte.

Je leur ai fait part de mon sentiment à voir durant les périodes de Pâques des milliers de catholiques et d’orthodoxes venir en Terre Sainte et si peu d’Arméniens. Je leur ai dit : “Comment croyez-vous que nous nous sentions alors ? Nous avons besoin de votre “chaleur”. Et quand des Arméniens de la diaspora viennent ici, ils sont vraiment impressionnés de constater que nous sommes présents au Saint-Sépulcre, à la Nativité, à la tombe de la Vierge et de quel patrimoine nous prenons soin.

Comment l’Église Arménienne apostolique vit-elle sa présence dans les Lieux Saints ? Comment voyez-vous votre rôle comme gardiens des Lieux Saints ?

Comme vous le savez, nous sommes une des trois plus importantes Églises dans les Lieux Saints et nous tâchons de conserver ce que nous avons. Nous n’avons pas besoin de davantage. Nous avons presque les mêmes droits que les Grecs orthodoxes et que les Latins. Nous sommes très heureux d’avoir ce que nous avons et nous tenons à conserver ce que nous avons hérité de nos pères. Dans un esprit œcuménique et fraternel, nous essaierons de résoudre les problèmes qui peuvent survenir. Dans le passé, nous avons voulu régler nos différends par la force et cela ne nous a menés à rien (2). Aujourd’hui, nous devons les résoudre en essayant de se comprendre mutuellement. Surtout en ces temps où le nombre de chrétiens dans ce pays diminue. Nous devons nous aider les uns les autres et aussi témoigner d’une certaine unité devant les juifs et les musulmans.

Précisément, comment voyez-vous l’œcuménisme dans ce pays et particulièrement dans les Lieux Saints ?

Nous avons un représentant dans les commissions œcuméniques et lors des rassemblements. Mgr Aris Shirvanian est toujours présent aux diverses rencontres. Nous faisons de notre mieux pour encourager l’œcuménisme. Dans les Lieux Saints nous avons besoin de cet œcuménisme. Nous devons nous asseoir autour de la même table et étudier ce dont nous avons besoin, sinon nous y perdrons tous. Il y a beaucoup de choses dont nous aurions à discuter, un certain nombre de problèmes que nous devrions régler ensemble. J’espère travailler dans ce sens.

On dit que les Arméniens de Terre Sainte continuent d’émigrer ? Comment se porte votre communauté ?

L’émigration ne touche pas que les Arméniens mais tous les chrétiens. Les chrétiens ont des difficultés à trouver un emploi, ils peinent à payer leurs loyers, aussi pensent-ils à quitter le pays. C’est un des problèmes majeurs du pays. Les Arméniens ne sont pas différents des autres chrétiens.

Votre Église essaie-t-elle de les aider à rester ?

Tout autour de notre couvent, les maisons sont occupées par nos fidèles. Ils y sont logés gratuitement. C’est la meilleure chose que nous puissions faire pour eux. Pendant longtemps, nous avons couvert l’intégralité des factures d’eaux et électricité et aujourd’hui encore nous en payons une partie. Mais nous devons penser à la nouvelle génération. Ils désirent se marier, avoir un logement décent. Nous avons quelques propriétés sur lesquelles nous envisageons de construire des appartements mais nous allons avoir besoin d’argent pour le faire. Et nous devrons trouver de l’aide. Récemment des russes arméniens nous ont fait quelques dons mais il en faudra davantage.

Vous êtes encore jeune (64 ans), mais le pape Benoît XVI a renoncé à sa charge invoquant son âge et vous avez vécu la longue maladie de votre prédécesseur, se peut-il qu’un patriarche arménien quitte avant de mourir ?

Ce n’est jamais arrivé ici. C’est déjà arrivé à Istanbul. Jusqu’ici, on était patriarche de Jérusalem à vie. Mais c’est un des points que nous envisageons de revoir. À 75 ou 80 ans, le patriarche pourrait remettre sa charge. Ces six dernières années, notre patriarche n’était pas en mesure d’assumer son rôle. Or une telle responsabilité a besoin que l’on jouisse de toutes ses facultés. 80 ans pourrait être le bon âge.

 

(1) Catholicos ou patriarche suprême

(2) Le Statu Quo des Lieux Saints étant une tradition orale, la mémoire qu’en ont conservée les Églises peut parfois diverger entraînant des conflits, principalement entre les Arméniens et les Grecs qui appartiennent tout deux à la grande famille orthodoxes et suivant également le calendrier Julien.

Fiche d’identité

Nourhan Manougian est né à Alep, en Syrie, le 22 juillet 1948.

En 1961, il entra au Séminaire Théologique d’Antellias pour commencer ses études théologiques.

En 1966, il passa au Séminaire Théologique Jarangavortz du Patriarcat arménien de Jérusalem. Ordonné diacre le 27 juillet 1968, il est ordonné prêtre en 1971.
Il a été consacré comme évêque par le Catholicos de tous les Arméniens en 1999. Les quelques années qu’il a passé en Europe puis aux États-Unis ne lui ont jamais fait oublier ni Jérusalem ni l’esprit de la Fraternité Saint-Jacques à laquelle il est très attaché.

Élu le 24 janvier 2013 par 17 voix contre 15, il est conscient qu’il devra concilier avec tous les frères de la Fraternité Saint-Jacques. Le nouveau patriarche doit encore être approuvé par Israël et le roi de Jordanie.

Patriarcat et Fraternité Saint-Jacques

Le Patriarcat arménien apostolique est administré par les membres de la Fraternité Saint-Jacques qui est un ordre monastique en soi. Elle a à sa tête un patriarche élu par les membres de la Fraternité. Le patriarche choisit un Grand sacristain qui tient lieu de prieur de la communauté. La Fraternité Saint-Jacques compte aujourd’hui 33 membres.

Le monastère et la cathédrale Saint-Jacques sont bâtis sur l’emplacement de la demeure de saint Jacques, apôtre et premier évêque de Jérusalem. Dans l’église, sont vénérées les reliques de ce saint, ainsi que celles de saint Jacques le Majeur, de saint Macaire et de saint Grégoire l’Illuminateur.

www.armenianpatriarchateofjerusalem.com

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Présence arménienne en Terre Sainte

La juridiction du patriarche arménien apostolique de Jérusalem s’étend sur Israël, la Cisjordanie et la Jordanie. Les Arméniens ont un monastère à Jaffa, Saint Nicolas, et une petite communauté paroissiale ; un autre, Saint-Georges, à Ramleh. Il existe également une communauté à Haïfa, à Acre et quelques familles à Nazareth, Bethléem, Ramallah et Jéricho en Cisjordanie.

L’agence France presse estime à 2000 le nombre d’Arméniens à Jérusalem. Un chiffre à ce jour invérifiable “Nous n’avons pas de statistiques précises, explique le nouveau patriarche, mais nous songeons à en faire.” Le chiffre avoisinerait plus certainement les 1500 à Jérusalem. L’arrivée en Israël de quelques milliers d’arméniens russes pourrait contribuer à revitaliser la communauté.

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