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Quartier arménien: « Résister a renforcé notre identité »

Cécile Lemoine
30 avril 2024
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Quartier arménien: « Résister a renforcé notre identité »
Le Jardin des Vaches représente 25% du quartier arménien ©Cécile Lemoine

Depuis près d'un an, les jeunes de la communauté arménienne de Jérusalem se battent pour récupérer la propriété du Jardin des Vaches et assurer la continuité de leur présence millénaire. Un combat qui les reconnecte à leur identité, et les pousse à la partager.


Les tables débordent de falafels, salades, houmous, et d’alléchantes boulettes de boulgour et lentilles. C’est le « Grand Carême », traditionnel diner de la mi-carême chez les Arméniens, et rite orthodoxe oblige, le régime végétarien est de rigueur durant les 40 jours qui précèdent Pâques.

Cette année, les jeunes de la communauté arménienne ont voulu partager cette fête non seulement avec leur quartier, mais aussi avec les gens qui soutiennent leur combat pour la préservation du Jardin des Vaches depuis près d’un an. Grandes tablées, large buffet, lumignons de guinguette, musique traditionnelle et drapeaux arméniens : l’ambiance est conviviale sur ce fameux parking dont la cession par le Patriarcat arménien à un entrepreneur juif australien en 2021 est combattue par la communauté, qui considère la transaction comme illégale.

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« Il y a des chrétiens, des juifs, des musulmans, des diplomates… C’est comme ça qu’on aime Jérusalem, et qu’on la souhaite : multiculturelle, multi-ethnique, respectueuse des religions », lance Setrag Balian, l’un des fils du célèbre céramiste arménien, en regardant la petite foule se délecter du buffet.

Le buffet de spécialités arméniennes préparé par les membres de la communauté pour le traditionnel diner de la mi-carême, le 17 avril dernier ©Cécile Lemoine

Catogan bien serré et lunettes fines, Setrag fait partie, avec Hagop Djernazian des visages de cette lutte. Ensemble, et soutenu par le reste de la communauté, ils ont fondé le mouvement « Save the Arq » (Sauver le quartier arménien). Depuis six mois, ils consacrent une partie de leur vie à cette cause, mobilisant des avocats, montant le dossier nécessaire pour le tribunal, multipliant les interviews, organisant des tours de garde sur le parking, avec le même slogan : « Préserver les 1600 ans d’histoire de la présence à Arménienne à Jérusalem ».

Protéger la patrie spirituelle

« À Jérusalem, on se bat pour chaque mètre carré et chaque droit, explique Hagop Djernazian. Cette lutte a uni une communauté autour d’une idée : la protection de notre patrie spirituelle, Jérusalem. Ce ne sont pas seulement les Arméniens qui sont menacés, mais la présence chrétienne en général dans la ville qui a vu le Christ être crucifié et ressuscité. »

Cette bataille pour exister a poussé les Arméniens à faire du Jardin des Vaches un lieu de vie et de partage de leurs traditions. « La peur de perdre notre place et notre histoire a créé un mouvement de résistance qui a renforcé notre identité et nous a reconnecté à notre culture », estime Setrag Balian.

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Ainsi, la fête de Diarnntarach, qui correspond à la présentation de Jésus au Temple, 40 jours après Noël dans le calendrier arménien, a fait un retour en grande pompe le 26 février dernier, après plusieurs années d’absence du fait de la rénovation du parking du Jardin des Vaches. Un post sur les réseaux sociaux invitait tous les curieux à y passer.

La fête implique un grand feu de joie par dessus lequel les hommes sont invités à sauter, héritage d’un rite païen resté après l’adoption du christianisme comme religion de l’Arménie au IVe siècle. « On a voulu faire revivre cette tradition, un peu morte ces dernières années, et la participation a dépassé nos attentes, se félicite Setrag. C’était dix fois plus que grand que ce que c’était auparavant. »

Rendre la communauté plus accessible

Diarnntarach, chasse aux œufs, commémoration du génocide arménien… Le Jardin des Vaches trouve sa place au cœur de toutes les festivités arméniennes récentes. Un moyen d’occuper l’endroit et de le faire vivre, quand des groupes de colons ont tenté d’en prendre le contrôle plusieurs fois ces six derniers mois.

Setrag Balian, co-fondateur du mouvement « Save the Arq » ©Cécile Lemoine

« On s’est dit que c’était le moment de rendre la communauté plus accessible au monde. Ouvrir nos fêtes à tous, c’est pouvoir expliquer qui on est, ce qu’on fait là, et pourquoi notre présence est essentielle pour le tissu social et religieux de Jérusalem », explique Setrag Balian, qui est toujours le premier à lancer les danses traditionnelles.

Tapant du pied en rythme avec la musique, les jeunes du club de danse s’élancent dans un long serpent entre les tables, faisant résonner leur identité et celle de leur quartier le long des remparts de la vieille ville de Jérusalem, drapée dans une nuit scintillante.

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