Quartier arménien: un document vieux de 450 ans pourrait annuler une vente contestée
Nous sommes en 1574, et un certain Andreas Ben Ibrahim, évêque arménien de Jérusalem se rend au tribunal de la charia de Jérusalem : il veut enregistrer une « parcelle de terrain comprenant des raisins, des figuiers, des oliviers et des grenadiers en plus de cinq citernes pour la collecte de l’eau de pluie, dans le quartier de Bnei Harath près du monastère arménien », dans une dotation « légale, permanente et éternelle » en faveur de son frère.
De cette audience, il reste un procès-verbal, (dont TSM a pu prendre connaissance) qui précise qu’après le décès du frère, ses fils hériteront de cette dotation, et après eux, « leurs enfants, les enfants de leurs enfants, les enfants des enfants de leurs enfants », et toute personne qu’ils engendreront. S’il ne restait aucun héritier, la terre serait attribuée à la communauté chrétienne arménienne de Jérusalem.
Lien entre la communauté et la terre
Retrouvé récemment par l’avocat Sami Arshid dans les archives de ces tribunaux de la charia, à Jérusalem, ce procès-verbal est devenu un document clé dans l’affaire qui oppose les habitants du quartier arménien, le patriarcat arménien et l’homme d’affaires israélo-australien Danny Rothman (également connu sous le nom de Danny Rubinstein), acquéreur du « Jardin des Vaches », aujourd’hui un parking accolée aux remparts, par l’entremise de la société Xana Gardens en 2021.
La plainte, ouverte par les avocats au nom de 380 membres de la communauté arménienne auprès du tribunal de district de Jérusalem, indique que la terre vendue par le patriarche n’était pas la sienne : elle appartient à la dotation créée par Andreas Ben Ibrahim il y a 450 ans, dont la gestion a par la suite été confiée au patriarcat.
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« Cette dotation a force de loi et le Patriarcat ne peut ni louer ni vendre le bien si la transaction ne profite pas directement à la communauté arménienne et si elle n’est pas approuvée par cette dernière. La transaction n’a pas été consentie par la communauté arménienne et elle ne lui profite pas non plus », explique Eitan Peleg, un des avocats de la communauté arménienne, convaincu que ce document peut aider la communauté arménienne à annuler la vente du Jardin des Vaches.
Des cartes du XVIe siècle ont également été jointe à la plainte. Alors que des zones sont clairement marquées comme appartenant au monastère ou au patriarcat, le jardin, lui, est exempt d’identification. « Le plus important, c’est que tous ces documents montrent un lien évident entre la communauté arménienne et la terre », détaille Eitan Peleg, en affirmant que leurs 450 ans d’existence engagent Israël : « Ces documents étaient là avant l’Etat d’Israël, ils ne sont pas connectés à la forme du régime, mais à la terre. »
Jeune génération au front
En 2021, le patriarche arménien de Jérusalem, Nourhan Manougian, a autorisé la location pour 99 ans de ce terrain – qui représente un quart de la superficie du quartier arménien à Danny Rothman. Celui-ci envisageait d’y construire un hôtel, et de transférer un pourcentage des revenus générés par cette activité au Patriarcat. Le contrat a été signé pour la miséreuse somme de 2 millions de dollars. Peu de temps après la signature de l’accord, l’entrepreneur israélo-australien a vendu la moitié des actions de la société à un homme d’affaires de Jaffa nommé George Warwar.
Les membres de la communauté arménienne de Jérusalem n’ont eu vent de l’accord que deux mois plus tard. En 2023, la découverte de nouveaux détails ont révélé que des propriétés étaient aussi concernées par le bail. Depuis, c’est la jeune génération qui mène la lutte pour faire annuler l’accord de location, inquiète que cela ne diminue la superficie du quartier arménien, et sa présence historique à Jérusalem.
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L’acharnement de la communauté, qui a organisé des manifestations hebdomadaires l’année dernière, a permis une première victoire le 26 octobre dernier, quand le patriarche Manougian a révoqué l’accord avant d’intenter une action en justice pour l’annuler. Le Patriarcat a également accusé de corruption le financier qui a géré l’affaire en son nom, le père Baret Yeretsian. Défroqué le 10 mai dernier, il a quitté Israël à la suite du tollé. En décembre, il a nié ces accusations dans un long message publié sur son compte Facebook.
La plainte est ouverte depuis le 20 février, et la défense dispose de 60 jours pour constituer son dossier.