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Jérusalem : gel du transfert d’un bien orthodoxe à la Russie

Christophe Lafontaine
7 mars 2022
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Jérusalem : gel du transfert d’un bien orthodoxe à la Russie
Eglise et complexe de Saint Alexandre Nevsky dans le quartier chrétien de la vieille ville de Jérusalem, à 100 mètres du Saint-Sépulcre © Moataz Tawfik Agbaria / Wikimedia Commons

Un tribunal de Jérusalem a suspendu le 3 mars le transfert à la Russie d’une propriété orthodoxe russe dans la vieille ville. Renvoyant la décision au gouvernement israélien. Et ce, à l’heure de l'invasion de l'Ukraine.


Le verdict a été rendu suite à un recours de la Société impériale orthodoxe de Palestine, qui possédait encore jusqu’à 2020 dans la vieille ville de Jérusalem l’important complexe de l’église russe orthodoxe Alexander Nevsky. Mais le transfert de propriété à l’avantage de la Russie a finalement été suspendu la semaine dernière par une décision de justice, faisant de cette affaire une véritable « patate chaude » qu’hérite le gouvernement de Nafatli Bennett en plein conflit russo-ukrainien.

L’église en question, placée sous le vocable d’un saint de l’Eglise orthodoxe, prince guerrier du XIIIe siècle célèbre pour ses victoires contre les envahisseurs suédois et contre l’ordre Teutonique, est aussi connue sous le nom de « cour d’Alexandre » avec les bâtiments qui l’entourent, dont un musée et des vestiges archéologiques, notamment ceux issus de l’ancienne basilique constantinienne du Saint-Sépulcre. De plus, le site abrite « Le Seuil de la Porte du Jugement », le seuil d’une ancienne porte de des murs de la ville, à travers lequel, selon la tradition orthodoxe, Jésus serait passé pour être crucifié au Golgotha. La cour d’Alexandre, située au cœur du quartier chrétien, se trouve à 100 mètres de la basilique du Saint-Sépulcre.

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Le site dans son ensemble est considéré comme la plus importante propriété russe dans et autour de la vieille ville de Jérusalem. En 1859, le tsar Alexandre II avait acheté un terrain sur lequel l’église fut construite quelques années plus tard, à la fin du XIXe siècle. A l’origine le complexe devait accueillir un consulat et une maison d’accueil pour pèlerins, qui seront finalement établis en dehors des remparts de Jérusalem.

Un litige foncier vieux d’un siècle

A l’époque ottomane la propriété était enregistrée au nom du gouvernement impérial russe et gérée par la Société impériale orthodoxe de Palestine. Elle resta sous contrôle impérial jusqu’à la révolution communiste en Russie en 1917. Le conflit autour de la propriété de la cour d’Alexandre a commencé à cette date. Depuis, deux organisations aux noms très proches ont revendiqué la propriété du complexe : la Société impériale orthodoxe de Palestine, fondée en 1882 après l’approbation du Tsar Alexandre III qui a géré le complexe depuis sa construction, et la Société impériale russe orthodoxe-palestinienne, considérée comme proche du Kremlin et du président russe Vladimir Poutine.

Depuis plus d’une dizaine d’années, le Kremlin n’a cessé d’exercer des pressions pour revendiquer ses titres de propriété sur le complexe. Et en 2015, le premier ministre russe de l’époque, Dimitri Medvedev, a lancé un appel officiel à l’Etat d’Israël, cherchant à mettre fin à l’incertitude et à réglementer la propriété de la cour d’Alexandre.

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Les choses ont concrètement bougé quand, selon la presse israélienne, l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu a accepté de céder l’église à la Russie en 2020, en échange – très probablement mais rien d’officiel n’avait alors été indiqué à l’époque -, de la libération de Naama Issachar, une Israélienne qui avait été emprisonnée lors d’une escale à Moscou, accusée de trafic de drogue. Le cadastre du ministère israélien de la Justice avait alors annoncé que la propriété de l’église serait enregistrée sous le nom du gouvernement russe.

Un lieu déclaré saint

La Société impériale orthodoxe de Palestine a levé de nombreuses objections à ce transfert de propriété. Ce à quoi le commissaire au cadastre avait répondu que la Fédération de Russie avait été reconnue par les organismes internationaux et par l’Etat d’Israël comme l’« État successeur » de l’Empire russe et que la propriété ne devait pas être enregistrée au nom d’organisations représentant le gouvernement impérial russe, qui n’existe plus.

La Société impériale orthodoxe de Palestine a alors interjeté appel. De là, a été rendue jeudi dernier la décision du tribunal du district de Jérusalem d’annuler le transfert de l’église à la Russie et de renvoyer la question au gouvernement israélien, statuant que puisque Benjamin Netanyahu avait désigné dans une ordonnance la cour d’Alexandre comme un « lieu saint », le seul organe capable de décider en la matière était le gouvernement israélien. Le juge du tribunal de district de Jérusalem s’est appuyé sur la loi en vigueur sous le mandat britannique qui donne au gouvernement la compétence de trancher les litiges relatifs à la propriété des lieux saints.

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Le quotidien israélien Haaretz a rapporté que l’un des avocats représentant la Société impériale orthodoxe de Palestine, Shay Gimelstein, avait tenu la déclaration suivante suite à la décision du tribunal de district de Jérusalem : « Nous saluons la décision qui met fin à une tentative illégale de la Fédération de Russie de prendre le contrôle de [l’église] ». Affirmant ne pas douter de la bonne issue de« toute procédure de clarification objective » faisant de la Société impériale orthodoxe de Palestine« le propriétaire légal exclusif ».

Timing diplomatique impossible

Si le successeur de Benjamin Netanyahu, le Premier ministre Naftali Bennett, a mis en place un comité ministériel sur la question en juillet 2021, ce dernier ne s’est encore jamais réuni. Le comité, composé du ministre du Logement Zeev Elkin, du ministre du Tourisme Yoel Razvozov et du ministre des Services religieux Matan Kahana, n’a plus le choix et doit donc désormais trancher la question de la propriété. Le moment ne pourrait être pire pour Israël. Jusqu’à présent, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Israël a d’abord joué la neutralité, avant de tenter de se positionner en médiateur, eu égard aux liens étroits que l’Etat hébreu entretient avec Kiev et Moscou.

Le gouvernement d’Israël qui craint déjà que Poutine ne limite la liberté de Tsahal à agir contre les cibles liées à l’Iran en Syrie, où la Russie maintient une présence militaire, sait qu’il doit veiller à ne pas créer une véritable crise diplomatique avec Moscou, en retirant le « cadeau » de l’église Alexander Nevsky fait à Poutine. Si la question des deadlines n’est cependant pas claire dans l’immédiat, le calendrier diplomatique en Ukraine comme en Syrie est hautement sensible.

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