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Micah Goodman ou l’idée de « rétrécir le conflit »

Karine Eysse
4 mars 2022
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Micah Goodman ou l’idée de « rétrécir le conflit »
L'armée israélienne encadre un Palestinien alors qu'il plante un olivier, près de Naplouse en Cisjordanie ©Flash90

Micah Goodman, philosophe de la pensée juive, est sorti de son champ d’études pour s’intéresser à la question israélo-palestinienne. Il en résulte un livre. Est-ce celui d’un penseur original de la sortie du conflit ou d’un homme voulant donner un visage sympathique au statu quo à l’avantage d’Israël. Lecture.


Casquette vissée sur un visage bronzé, chemise au col ouvert ou polo décontracté, le quarantenaire ne paye pas de mine, jusqu’à devoir insister pour accéder à une conférence prestigieuse en Israël, dont il est pourtant l’un des principaux orateurs, comme le rapportait d’une plume amusée le rédacteur du journal de gauche israélien Haaretz, Hilo Glazer.

Pourtant depuis la parution de son livre Catch-67, best-seller en Israël en 2017 (en hébreu et anglais), Micah Goodman, philosophe de la pensée juive ne dédaignant pas de s’intéresser à l’actualité, bénéficie d’une aura certaine ; il murmure, dit-on, aux oreilles des décideurs, de Naftali Bennett à Yaïr Lapid : cela tombe bien, le premier est l’actuel Premier ministre, le second, son ami personnel, est ministre des Affaires Étrangères.

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Mais que contient donc ce livre de si nouveau pour que son auteur soit présenté comme l’intellectuel le plus influent du moment sur le gouvernement israélien ? Et surtout, au-delà des principes affichés, en retrouve-t-on une traduction dans la politique israélienne actuelle ? Catch-67 : le titre de l’ouvrage de Micah Goodman est directement dérivé de celui d’un classique de la littérature anglophone, Catch-22, de l’américain Joseph Heller.

Ce dernier y décrit le dilemme d’un pilote de l’armée de l’air : en stress post-traumatique, il est incapable de voler. Il peut être dispensé de vol s’il remplit un formulaire d’exemption de mission pour trouble psychiatrique mais la démarche démontre aux yeux de l’administration qu’il dispose de toutes ses facultés, et ne peut donc être dispensé de vol. Depuis, l’expression Catch-22 est devenue en anglais synonyme d’impasse, de situation absurde qui contient en elle-même les ingrédients qui empêchent de la résoudre.

Plan de « paix partielle » ou de « divergence »

C’est le point de départ du livre de Goodman : considérer le conflit israélo-palestinien sous l’angle d’une impasse qui se présenterait à Israël du fait de sa conquête des Territoires en 1967. D’un côté, quitter les Territoires signifierait se mettre en danger sécuritaire : c’est, très résumé, le point de vue de la droite israélienne actuelle selon Goodman. De l’autre, y rester signifierait se mettre en danger moral – l’occupation d’une population civile via une armée étant en soi immorale – et en danger démographique, la population juive pouvant se retrouver à terme en minorité. Ou, au mieux, en majorité trop courte pour ne pas risquer de voir remis en cause le caractère juif de l’État ou son caractère démocratique.

C’est, là encore très synthétisé, le point de vue de la gauche israélienne selon l’auteur. Or il estime qu’on ne résout pas une impasse : on tente d’en sortir pour contenir le danger. En pratique, il est possible, écrit-il, de baisser la pression exercée par Israël sur les Palestiniens, sans pour autant insécuriser les Israéliens. Une démarche qu’il résume par l’expression « rétrécir le conflit ».

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Sur cette base, Goodman imagine deux « plans ». Le premier se veut un plan de « paix partielle » : Israël conserverait un contrôle uniquement sur les colonies et la vallée du Jourdain, pour sécuriser sa frontière orientale. Le second plan, dit de « divergence », est construit sur des bases similaires mais va plus loin : il suggère qu’Israël dope la puissance symbolique de l’Autorité Palestinienne en la reconnaissant comme État de Palestine, avec une capitale située à Jérusalem-Est.

Est aussi abordée dans ce plan la question de la continuité de déplacement, car la Cisjordanie est physiquement grignotée, entre colonies et routes interdites aux Palestiniens. Goodman imagine alors, en plus de l’augmentation de la taille des zones contrôlées par l’AP, la mise en place d’ouvrages d’art (ponts, tunnels…) permettant cette continuité de déplacement là où il n’y a pas continuité territoriale.

Mais au-delà de l’exercice théorique, les politiques aux manettes en Israël, dont plusieurs ont fait savoir l’intérêt qu’ils portaient aux réflexions de Goodman, sans être nécessairement d’accord sur tout, s’en inspirent-ils vraiment ? …

 


Retrouvez l’article en entier dans le numéro 678 de Terre Sainte Magazine (Mars-Avril 2022)

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