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Intrusion de colons juifs dans un hôtel du quartier chrétien de Jérusalem

Christophe Lafontaine
28 mars 2022
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Intrusion de colons juifs dans un hôtel du quartier chrétien de Jérusalem
L’hôtel Petra dans la vieille ville de Jérusalem, au cœur d’une bataille juridique entre le Patriarcat grec-orthodoxe et l’organisation de colons, Ateret Cohanim, qui en revendiquent tous les deux la propriété © Israel zeller / Wikimedia Commons

Dans la nuit du 26 mars, des colons radicaux du groupe Ateret Cohanim ont pris possession dans la vieille de Jérusalem de l’hôtel Petra, bien de l’Eglise grecque-orthodoxe. Indigné, le patriarcat exige leur expulsion.


La bataille juridique qui oppose le Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem à Ateret Cohanim, organisation qui vise à judaïser Jérusalem via le rachat de maisons non-juives dans les quartiers chrétien, arménien et musulman de la vieille ville, a pris tout récemment un tournant qui place les Eglises chrétiennes en émoi et en alerte.

Dans la nuit du 26 au 27 mars 2022, des membres de l’organisation juive nationaliste se sont introduits dans l’hôtel Petra. Au premier étage, a précisé le quotidien Haaretz. Ils ont pénétré aussi dans un bureau de change qui se trouve à l’entrée de l’hôtel pour les pèlerins chrétiens. L’immeuble se trouve à la Porte de Jaffa, l’un des principaux accès qui ouvre sur les quartiers chrétien et arménien de la vieille ville de Jérusalem.

Depuis deux décennies, Ateret Cohanim revendique la propriété de l’immeuble au détriment de l’Eglise grecque-orthodoxe. L’hôtel Petra a, avec l’hôtel Impérial, été acheté à l’ancien patriarche grec-orthodoxe, Irénée Ier, dans le cadre d’un accord controversé en 2004. Mais suite à la destitution de ce dernier, le Patriarcat grec-orthodoxe n’a eu de cesse de se battre pour sa propriété en accusant la partie adverse de fraude.

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Après moult rebondissements, l’affaire est depuis deux ans à nouveau dans les mains de la Cour suprême qui devrait – selon Haaretz – rendre un avis dans les mois qui viennent. Mais Ateret Cohanim, fort de plusieurs victoires antérieures devant les tribunaux, n’en a visiblement cure.

Outré, le patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem s’est fendu d’un communiqué énergique dès le 27 mars. « Cet acte d’intrusion a été commis illégalement et constitue une agression contre des entreprises et des propriétés locales dans le quartier chrétien de Jérusalem », a-t-il accusé. « Les acteurs, a-t-il renchérit, n’avaient pas d’avis d’expulsion et se sont donc fait justice eux-mêmes et ont par conséquent commis une infraction pénale ».

« L’Eglise fait tout ce qu’elle peut pour arrêter ces actions » 

Pour les Eglises, l’enjeu est important : « les radicaux sont la véritable menace, car entre leurs mains, la communauté chrétienne de Jérusalem souffre de crimes haineux ainsi que de tactiques sournoises, d’intimidation et de tentatives systématiques visant à diminuer la capacité des chrétiens à rester dans leurs maisons et quartiers historiques », avait déclaré en décembre Theophilos III, le patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem lors d’une célébration de Noël, devant les chefs des Eglises chrétiennes de Terre Sainte et en présence des consuls généraux des pays européens à Jérusalem, dont ceux de la Grèce, de la France, du Royaume-Uni et de la Belgique.

Le Patriarcat, soutenu par les autres Eglises chrétiennes à Jérusalem, n’a eu de cesse ces dernières années de monter au créneau concernant cette affaire. « L’Eglise, vient-il de réaffirmer dans son communiqué, fait tout ce qu’elle peut pour arrêter ces agissements » et « parvenir à une résolution légale et pacifique ». Cependant, admet l’Eglise de Theophilos III, « il y a une énorme pression pour aborder ces actions de manière puissante ».

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Outre la question de la présence des chrétiens – pas seulement orthodoxes -, celle de leur patrimoine et de leurs droits dans leur quartier historique, les Eglises s’inquiètent des violations répétées du Statu Quo qui compromettent l’intégrité de la ville sainte et par conséquent, craignent de voir la coexistence des différentes communautés qui caractérisent Jérusalem voler en éclat.

Sans compter les facteurs de tension qui pourront apparaître dans ce lieu de passage qu’est la place de la Porte de Jaffa largement fréquentée par les chrétiens et les pèlerins souhaitant se rendre à la Basilique du Saint-Sépulcre et aux autres lieu saints de la vieille ville. 

Les Eglises appellent la police à « agir équitablement »

Pour l’heure, le Patriarcat grec-orthodoxe a demandé que la police intervienne « pour expulser Ateret Cohanim et pour rétablir la situation telle qu’elle était avant l’effraction, jusqu’à ce que la procédure judiciaire en cours se termine et soit finalisée ». Pour autant, l’Eglise, dans son communiqué, n’a pas hésité à fustiger le rôle tenu par les policiers hier. Selon certaines des informations qui lui sont parvenues, elle a rapporté que « des policiers auraient délibérément défendu le groupe radical ou fermé les yeux sur les activités illégales d’Ateret Cohanim à l’hôtel Little Petra ».

Si le Patriarcat a publié seul sa déclaration sous ses armoiries, il explique avoir pris notamment avis auprès du Conseil des patriarches et des chefs des Eglises à Jérusalem. Et c’est en leurs noms qu’il a adressé un appel à la police de Jérusalem d’« agir équitablement et conformément à son pouvoir » étant donné qu’il s’est agi d’une effraction « sans aucune procédure légale ni régulière ».

Un acte « extrêmement dangereux » 

L’incident est intervenu dans un climat de tensions croissantes à Jérusalem et en Terre Sainte. Face à ce contexte global, le patriarcat alerte sur cet acte qu’il qualifie d’« extrêmement dangereux » car « il concerne les relations communautaires sur le terrain ».

« L’Eglise craint que certaines actions ne dégénèrent rapidement et ne déclenchent un scénario très turbulent dans la vieille ville », a ainsi confié le patriarcat. Et d’ajouter : « agir de cette manière illégalement agressive contre une propriété chrétienne connue et une entreprise arabe – en particulier avant Pâques et le Ramadan – pourrait probablement déclencher des hostilités locales similaires à celles qui ont été observées l’année dernière à Sheikh Jarrah ».

De fait, les événements de ce quartier de Jérusalem-Est, liés à des menaces d’expulsions de familles palestiniennes, ont été l’un des facteurs déclencheurs majeurs du conflit qui a opposé pendant 11 jours en mai Israël et le Hamas au pouvoir à Gaza. Cette année à l’approche de Pessah, des Pâques chrétiennes et du Ramadan qui débutera début avril, la période apparaît en effet des plus volatiles.

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Au début du mois, plusieurs attaques au couteau ont eu lieu dans la Vieille Ville de Jérusalem. La Pâque juive le 15 avril et la cérémonie de bénédiction sacerdotale (Birkat Hacohanim) verront affluer de nombreux juifs au mur Occidental tandis que des milliers de musulmans se rendront sur l’Esplanade des Mosquées. La Journée commémorative israélienne pour les soldats israéliens suivra de près l’Aïd Al-Fitr, début mai.

En toile de fond, de nombreuses raisons font craindre une escalade de violences au regard des démolitions de maisons dans la zone C en Cisjordanie et dans certains quartiers arabes de Jérusalem et des menaces d’expulsion qui planent sur les familles du quartier de Sheikh Jarrah ou celui de Silwan, pour ne citer qu’eux deux.

Deux attentats en moins d’une semaine

Cela sans compter l’état d’alerte des forces de sécurité israéliennes après un attentat commis hier soir causant la mort de deux personnes et fait plusieurs blessés dans la ville de Hadera, dans le nord d’Israël. Les médias israéliens ont rapporté que des responsables de la sécurité pensaient que les deux terroristes qui ont été tués étaient affiliés à l’Etat islamique.

Cet attentat est survenu à la veille d’un sommet dans le Néguev – qualifié d’« attaque brutale contre le peuple palestinien » par le ministère des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne. Le somment doit réunir aujourd’hui les chefs de la diplomatie des Etats-Unis, de l’Egypte, des Emirats, du Bahreïn et du Maroc ces trois derniers pays arabes ayant normalisé récemment leurs relations avec Israël, dans le cadre des accords d’Abraham.

L’attentat d’hier à Hadera a eu lieu moins d’une semaine après que quatre personnes ont été tuées, mardi dernier, dans une attaque au couteau et à la voiture bélier, à Beer Sheva en Israël. Le terroriste, qui a été tué, avait été condamné en 2016 à quatre ans de prison pour avoir planifié de se rendre en Syrie afin de combattre au sein du groupe jihadiste Etat islamique.

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