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Céramique arménienne: la famille Balian, au cœur de l’Histoire

Hélène Morlet
1 octobre 2016
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Céramique arménienne: la famille Balian, au cœur de l’Histoire
C'est une entreprise toujours à la recherche d'innovation que dirige Neshan Balian qui a repris le flambeau familial ©Nadim Asfour

C’est à l’islam que l’on doit d’avoir retrouvé à Jérusalem l’art ancestral de la céramique. Au centre de cette aventure, une famille chrétienne et arménienne : les Balian.


L’origine des céramiques arméniennes remonte au début du XXe siècle. Pour rénover les carreaux de céramique du Dôme du Rocher, les Anglais, alors puissance mandataire, font appel à des Arméniens originaires de la ville de Kütahya en Turquie, réputée pour ses céramiques depuis le XVIIe siècle.

Trois familles viennent donc s’installer à Jérusalem en 1919. À Kütahya, David Ohanessian est responsable de l’Association de céramique, Neshan Balian est maître céramiste et Megherdich Karakashian est artiste peintre. Leurs compétences complémentaires ne sont utilisées que deux ans pour le Dôme du Rocher car le Jerusalem Fund qui finançait les restaurations se retrouve rapidement à court d’argent. Les trois Arméniens ouvrent alors un studio sur la Via Dolorosa : The Dome of the Rock tile work. En 1922, Balian et Karakashian quittent la vieille ville et ouvrent leur propre studio au 14 rue de Naplouse, à l’extérieur de la Porte de Damas.

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C’est toujours au même endroit que l’on peut rencontrer Neshan Balian, petit-fils du précédent. L’entrée se fait par une petite porte, à côté du nom “Palestinian Potteries” écrit, qui l’eut cru, sur des carreaux de céramique. Les fenêtres sur la route laissent voir au passant les multiples œuvres exposées dans la boutique. À l’intérieur, de grandes fresques murales en carreaux de céramique, œuvres de Marie Balian la mère de Neshan, trônent au milieu de la pièce. Par les vitres, on voit deux femmes au travail, pots de peintures sur la table et pinceau en main, le regard concentré sur les assiettes et carreaux devant elles.

Une famille dans l’histoire

“Mon père Setrak était parti apprendre le métier de maître potier en Angleterre, raconte Neshan. S’arrêtant au retour en France pour rendre visite à de la famille éloignée – les Arméniens survivants du génocide avaient trouvé refuge partout – il rencontra celle qui deviendra sa femme, Marie Balian. Ils s’installèrent à Amman où mon père monta son entreprise de céramique lourde”.

Le style reconnaissable des céramiques arméniennes ©Nadim Asfour

La vieille ville de Jérusalem faisait alors partie, entre 1948 et 1967, de la Jordanie. En 1964, après la mort de Megherdich Karakashian, ses fils ouvrent leur studio sur la Via Dolorosa et Neshan Balian meurt peu après. C’est la guerre de 1967 qui pousse la famille à rentrer définitivement à Jérusalem, après s’être réfugiée en France. Le couple reprend l’atelier de la rue de Naplouse et Marie, diplômée des Beaux-Arts de Lyon, laisse sa créativité artistique s’exprimer.

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C’est la combinaison du savoir-faire technique et artistique au sein du couple Balian qui leur permet rapidement d’étendre leur renommée. “De 1948 à 1967, c’était l’âge d’or car il n’y avait pas de concurrence. Je me souviens de mon père qui payait le plus haut impôt sur le revenu aux Autorités jordaniennes, soit 100 dinars jordaniens sur l’année environ. Les fonctionnaires des impôts étaient aux petits oignons pour lui !” se rappelle Neshan.

Avant 1948, les clients étaient principalement anglophones et liés au mandat britannique. Puis, cela s’est élargi aux touristes de divers horizons. “Dans la boutique nous vendions, en plus des céramiques arméniennes, des petites statues en bois d’olivier, des objets en verre soufflé d’Hébron… Elle ne désemplissait pas, et il y avait même une file d’attente dehors !” C’est dans les années 1960 que le marché de la céramique s’ouvre : “Jusque là, les usines d’Hébron ne faisaient que du verre soufflé. En venant nous livrer à la boutique, les commerçants ont vu que la céramique avait du succès auprès des touristes. Ils se sont débrouillés pour apprendre les techniques et ont ouvert des usines.”

Vente sur internet

C’est ainsi qu’a commencé la production de masse qui a inondé le marché avec des poteries peu chères. “Ils les appellent aussi “céramiques arméniennes” mais ils s’appuient sur ce que l’on a bâti. De la même façon les motifs sont inspirés des nôtres, mais comme il n’y a pas de loi sur le copyright ni de sanction ici, nous n’avons rien pu faire. C’est devenu un autre marché.”

Label. Au dos des pièces le label familial qui permet aussi de les dater ©Nadim Asfour

Peu importe, Neshan Balian est un chef d’entreprise qui, loin de se reposer sur son héritage familial, se bat pour le préserver et continuer de le faire exister. “Je suis toujours à la recherche de nouvelles idées pour nous renouveler” explique-t-il. Après des études d’ingénieur mécanique et céramique en Ohio, aux États-Unis, il a monté un studio à Washington DC et l’a revendu pour rentrer à Jérusalem. Il s’est occupé de l’entreprise familiale avec ses parents avant de la reprendre pendant la maladie de son père, aujourd’hui décédé.

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“Aujourd’hui nous nous appuyons sur des clients israéliens, des connaisseurs, ou des Palestiniens désireux de conserver ce patrimoine. Malheureusement depuis la première Intifada, les affaires marchent moins bien. Et depuis les violences de l’automne 2015, dont beaucoup ont eu lieu Porte de Damas, dans le quartier de notre boutique, aucun Israélien ne s’y déplace plus. Ils formaient 60-70 % de notre clientèle. Nous avons aussi des projets dans les pays du Golfe, mais la baisse du cours du pétrole nous porte préjudice. Donc nous essayons de développer la vente sur Internet, les projets pour les hôtels, les piscines… C’est difficile de gérer une entreprise dans ce pays, car les événements politiques limitent les projets à long terme.”

Technologies nouvelles

“Nous fabriquons tout de A à Z ici. On importe de l’argile blanc d’Italie et on fabrique les biscuits. Seuls les carreaux sont achetés déjà fabriqués car ce ne serait pas rentable de les faire nous mêmes. Mais ensuite, nous faisons la peinture à la main, l’émaillage et la cuisson dans les fours.”

Neshan a aussi élargi les techniques de fabrication, pour être plus abordable pour certains clients. “Nous avons également une tablette graphique, qui nous permet de faire les motifs sur ordinateur et de les imprimer sur les carreaux de céramique. Ils sont ensuite coloriés à la main par les employées. Et dernièrement nous avons investi dans une nouvelle technologie permettant l’impression d’images numériques. Cette technique indélébile utilise les couleurs des céramiques, et nous cuisons ensuite les carreaux.”

L’essentiel de la production reste artisanal et requiert autant de temps que de vraies compétences ©Nadim Asfour

Le savoir-faire technique des Balian leur permet de fournir des céramiques capables de résister aux mauvaises conditions météorologiques. “C’est nous qui avons fait les céramiques explicatives de Petra. Elles résistent à la chaleur et au sable.” Déambulant dans l’atelier, Neshan s’arrête et montre les travaux en cours. “Ces carreaux ont été fait pour une dame qui veut les mettre dans sa piscine aux États-Unis. Pour des carreaux peints à la main, c’est 15$ le carreau, mais elle en a besoin de 240 et cela dépassait son budget. Je lui ai donc proposé les carreaux de la même qualité, avec les mêmes motifs, mais imprimés, pour 7$ le carreau, et elle a accepté. Comme je ne peux produire que 30 carreaux peints à la main par jour, le prix s’en ressent. Avec la machine, c’est plus économique.”

Les clients de Neshan ne sont donc pas forcément à la recherche de céramique arménienne faite à la main par un artiste. “Cette femme m’a trouvé sur Internet. Elle cherchait simplement des carreaux de céramique pour sa piscine, avec des motifs qui lui plaisent et des prix abordables. Avec le référencement sur Internet, nous essayons d’apparaître pour ceux qui cherchent des céramiques arméniennes mais aussi pour ceux qui cherchent avec des mots-clés comme “liner/revêtement de piscine”. C’est un long travail d’optimiser son site Internet dans ce but là.”

Arménien et Palestinien

Neshan nous emmène ensuite dans une salle qu’il a transformée en un petit musée familial. Il y expose des céramiques datant d’avant 1948 ou 1967, fabriquées par les Balian, Karakashian et Ohanessian. Ces tasses ou assiettes se vendent aujourd’hui plusieurs milliers d’euros sur Internet. Elles sont signées des initiales arméniennes des artisans, accompagnées du lieu de fabrication : “Palestine”. “C’est après la guerre de 1967 que la presse et le public israéliens nous a fait connaître comme céramiques “arméniennes” et non plus “palestiniennes” raconte Neshan dans un sourire. “Mais ça me va, je suis aussi fier d’être arménien que palestinien !”

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Leurs œuvres ont été exposées dans plusieurs musées, comme le Smithsonian à Washington DC en 1992, ou actuellement le Musée des cultures islamique et du Proche Orient à Beer Sheva. “La poterie arménienne est vraiment spécifique à Jérusalem. Elle est le fruit d’influences islamique, turque et arménienne” insiste-t-il encore. Pour retrouver ces pièces et les ajouter à sa collection, il chine partout dans le monde. “Nous avons trouvé à la grande braderie de Lille deux assiettes en céramique peintes à l’époque de mon grand-père. Elles avaient été exposées au pavillon palestinien de l’exposition coloniale internationale de 1931 à Paris !”

Parmi les autres pièces exposées rue de Naplouse, une petite coupe plate, utilisée par les femmes au début du XXe siècle pour se servir à boire dans les fontaines. “C’est un cadeau que mon grand-père a offert à ma grand-mère en 1916.

Bientôt cent ans après l’installation des premiers céramistes arméniens à Jérusalem, leurs poteries sont toujours là. Bousculée par les événements de la grande Histoire au Proche Orient, la famille Balian a tracé son chemin, inspirant d’autres familles, d’autres artistes. 

Site Internet : www.armenianceramics.com

Dernière mise à jour: 21/01/2024 19:58

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