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Le trésor du Saint-Sépulcre

Marie-Armelle Beaulieu
11 février 2013
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Du 16 avril au 14 juillet se tiendra au Château de Versailles une exposition exceptionnelle intitulée « Le trésor du Saint-Sépulcre ». Fruit de deux ans de travail, elle permettra aux visiteurs  de découvrir un trésor jamais exposé au public et qui pourtant demeure un patrimoine on ne peut plus vivant. La Terre Sainte vous conduit dans les coulisses des préparatifs.


« Z couronné 1668. Poinçon I-H-B avec lion rampant. » Michèle a l’œil rivé à sa loupe. Elle me regarde et ajoute à mon intention : « Chaque orfèvre était obligé de signer son travail engageant ainsi sa responsabilité sur l’utilisation des métaux précieux qui lui étaient confiés pour la réalisation de l’œuvre. La fleur de lys couronnée et ses deux points de part et d’autre sont la marque de fabrique des maîtres orfèvres parisiens. I-H-B avec un lion rampant, c’est Jean Hubé. Vu la qualité du travail, c’est probablement un présent du roi. » Comprenez Louis XIV puisque la pièce est signée de 1668. Je contemple le ciboire démantelé. Il a perdu toute sa superbe et pourtant… C’est un bijou d’orfèvrerie, une pièce unique, un bout de France, un souvenir de la royauté, une page d’histoire et accessoirement une valeur d’assurance qui n’hésite pas à jouer avec des montants (en euros) à six chiffres. Je reste muette et lance un regard circulaire. Sur une table devant moi, des dizaines de lampes, calices, chandeliers, patènes, ciboires, croix, ostensoirs et aussi ce que j’apprends être des aiguières – « l’appellation aiguière casque est impropre, on doit dire aiguière à crosse » – « Ah ? ! » Intérieurement je pense que si j’avais dû nommer l’objet je me serais bornée à dire pichet pour ne pas appeler cruche un objet dont j’apprends qu’il est du XVIIe. On peut être inculte mais respectueux ! Tous sont d’or ou d’argent, tous attendent de parler et de dévoiler des pans d’histoire de l’art, de l’Europe, des Lieux Saints.

Devant moi, sous l’œil gourmand des spécialistes, s’étale une partie du trésor du Saint-Sépulcre. Ce calice est un cadeau de Charles VI de Habsbourg. « N’écrivez pas d’Autriche, c’est ridicule, ce sont les armes du Saint Empire romain », lance Jacques. Celui-là d’un roi d’Espagne, cette lampe par terre, c’est un cadeau de Henri V de France. Mes lacunes en histoire doivent se lire sur mon visage, j’en étais restée à Henri IV, la poule au pot et Ravaillac, on vient donc au secours de mon désarroi manifeste. « C’est Henri d’Artois, comte de Chambord, petit-fils de Charles X qui a abdiqué en sa faveur en 1830. En fait il n’a régné fictivement que quatre jours. »… Je ne suis pas beaucoup plus avancée. J’apprendrai plus tard que les Légitimistes ont voulu restaurer avec lui la monarchie en 1873. Un plan qui échoua notamment à cause du refus d’Henri V d’accepter le drapeau tricolore. « La lampe n’a pas grand intérêt mais c’est qu’elle soit ici, qu’elle ait été offerte en 1867 et son inscription Henry de France qui en font une pièce intéressante. »

Le ballet des experts

Nous sommes à Jérusalem, dans une pièce sans fenêtre, aux murs épais. Il a fallu montrer pattes blanches pour entrer et voir tous ces objets, sortis quelques heures de leur coffre-fort pour être inventoriés par des experts. L’inventaire, la Custodie l’avait déjà fait et refait. Il y eut des années durant tout le travail du frère Michele Piccirillo qui, tout archéologue qu’il était, s’est intéressé à l’art de toutes les époques et n’a eu de cesse de faire connaître l’histoire et le patrimoine de la Custodie. Et le travail d’Alfonso Bussoli, volontaire à la Custodie, qui a photographié et référencé systématiquement tous les objets et vêtements de culte et tous les tableaux du patrimoine franciscain.

En ce mois de mars 2010, on complète l’inventaire de l’orfèvrerie. Alfonso prend en note tout ce que lui dit Michèle Bimbenet-Privat, aujourd’hui conservateur en chef du département des Objets d’art du musée du Louvre. Il est assis derrière son ordinateur, elle se tient des heures durant, debout – « parce que debout on travaille mieux et on est plus assuré dans le maniement des objets ».

À ses côtés, Jacques Charles-Gaffiot, historien de l’art ; c’est à lui que la Custodie doit ce ballet de spécialistes. Le trésor du Saint-Sépulcre, il en avait entendu parler dans un article (1), soigneusement mis de côté, jamais oublié, et qui lui fit concevoir le rêve, longtemps tenu secret, d’exposer un jour en France quelques-unes de ces pièces.

Le rêve est en train de se concrétiser. Avec Bernard Degout, directeur de la Maison de Chateaubriand, un des trois musées départementaux des Hauts-de-Seine, il travaille à convaincre le Conseil Général du département d’organiser cette exposition.

Tandis que les uns travaillent sur les objets, Jean Vittet, archiviste paléographe, spécialiste des commandes royales sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV travaille sur les archives. On vient de trouver la lettre originale de Louis XIII mentionnant un cadeau qu’il fait envoyer en Terre Sainte. L’archiviste franciscain profite de sa présence pour lui confier un manuscrit de 1561 qu’il déchiffre et traduit tout à son aise. Respect.

Ce que les franciscains n’ont pas localisé encore, c’est un Titien. Un tableau qui, à en croire les archives, aurait été peint par le peintre italien Tiziano Vecellio (1490-1576) et offert pour les Lieux Saints. Pour l’occasion, on fait venir en renfort, Antoine Tarentino, spécialiste de la peinture napolitaine et vénitienne des XVIIe et XVIIIe siècles. De Titien point, mais un tableau de l’école Véronèse, s’il n’était de Paolo Caliari (1528-1588), dit Véronèse, lui-même.

Un trésor vivant

Le ballet des experts s’étalera sur six mois et la finalisation d’un accord pour concrétiser l’exposition sur plus de deux ans. C’est en définitive grâce à une collaboration entre le Conseil général des Hauts-de-Seine et le Château de Versailles, que l’exposition se tiendra du 16 avril au 14 juillet 2013 au Château.

C’est la dernière ligne droite. En septembre dernier, certains des experts sont revenus pour boucler la liste des quelque deux cents objets qui partiront pour la France dans les mois prochains. Certains partiront après Pâques car le plus extraordinaire du patrimoine de la Custodie est que s’il ne s’expose pas dans un musée mais qu’il est encore en usage.

Bien sûr, la plupart des vêtements liturgiques ne peuvent plus être portés et les lampes à huile ont cédé la place à l’électricité, mais les croix, encensoirs, tabernacles, calices et patènes, plateaux et aiguières etc. participent toujours à la splendeur des célébrations solennelles.

Ainsi, le trésor du Saint Sépulcre n’a-t-il jamais été caché. Au contraire, il a été exposé tout au long des siècles aux yeux de tous mais dans son contexte, liturgique.

Cependant lors des célébrations solennelles au Saint Sépulcre, ce n’est pas tel ou tel calice ou vêtement liturgique qui marque le plus les pèlerins qui participent aux offices. Décontenancés ou fascinés par un office dans la basilique de la Résurrection, ce n’est pas ce qu’ils ont vu qui retiendra le plus leur attention mais ce qu’ils ont expérimenté durant les heures passées dans la basilique. C’est parce qu’il est en usage que le trésor du Saint-Sépulcre est demeuré comme effacé par un mystère plus grand.

Reste qu’il est magnifique en soi. La plupart des cours royales catholiques de l’Europe du XVIIe sont représentées dans le trésor de la Custodie.

Toutes se sont donné rendez-vous en Terre Sainte, rivalisant de présents afin de glorifier Dieu et la religion catholique sans oublier de faire valoir la suprématie diplomatique du donateur dans la région…

Les donateurs ont passé, les dons sont restés et ont encore de nos jours l’usage pour lequel ils ont été offerts.

Dernière ligne droite

Les royaumes d’Espagne, du Portugal, de Gênes, de Naples, de France, le Saint Empire seront représentés à Versailles.

D’ici là, à Jérusalem, on mesure, photographie, prépare des emballages sur mesure. À Paris, à Rome on peaufine les notices expliquant chaque objet. Un travail qui n’avait jamais été fait avec ce degré de précision et de compétences. À Versailles, on met en scène, travaille à la communication de l’événement.

Les outils modernes permettent de se tenir informé au fur et à mesure de l’état d’avancée des travaux de chacun. Encore 6 mois ? Non. Tout doit être prêt bien en amont, notamment le catalogue qui promet d’être passionnant et dont tous les éléments doivent être prêts pour le 15 décembre.

Par le passé déjà, certaines de ces pièces ont été exposées en Italie, et six d’entre elles étaient déjà parties à Versailles il y a deux ans à l’occasion de l’exposition « Une chapelle pour le Roi » célébrant le tricentenaire de la chapelle royale du Château. Mais c’est la première fois qu’un si grand nombre sera réuni en France.

Sans nul doute c’est un événement.

Pour ceux qui ne pourront se rendre à Versailles, ils pourront toujours revenir en Terre Sainte où – si Dieu veut – un musée devrait voir le jour en 2015 pour les exposer tous.

Et régulièrement, les plus beaux calices quitteront les vitrines pour reprendre vie et accomplir leur mission lors de quelque célébration.

Mais qu’on se le dise, le plus beau  trésor du Saint-Sépulcre c’est la possibilité d’y célébrer chaque jour la résurrection du Christ et le Salut que sa Passion a obtenu à l’humanité tout entière.

 

(1). Alvar González-Palacios, Il gusto dei Principi, arte di Corte del XVII e del XVIII secolo, Milan 1993

Dernière mise à jour: 30/12/2023 11:35

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