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George Al Lama ou la passion de l’art palestinien

Paul Turban
30 mars 2018
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George Al Lama ou la passion de l’art palestinien
Jean-Louis Baille, orientaliste français, fait partie de ces peintres qui ont laissé un témoignage des couleurs chatoyantes des costumes traditionnels palestiniens du XIXe siècle, que les photos en noir et blanc ont occultées.

Une âme de collectionneur, la passion de son pays et une solide connaissance de l’histoire de l’art. L’alchimie de ces trois éléments s’est incarnée dans George Al Lama. Visite d’une fascinante collection, si ce n’est la plus grande de Palestine,
la plus spécialisée, encore qu’incroyablement variée.


Quand George Al Lama ouvre la porte de son antre, il est comme transfiguré. Le visiteur qui l’accompagne, lui, ne sait où donner de la tête. Dans un appartement de Bethléem, son appartement, ce collectionneur entrepose méticuleusement son trésor, éclectique mais pourtant nourri d’une seule intention. Ici, une maquette de l’église du Saint-Sépulcre en bois, nacre, ivoire : il n’en reste qu’une trentaine de modèles dans le monde. “C’est le plus ancien prototype connu”, met en avant le collectionneur. Là, un ensemble de croix de tailles et matériaux différents : “Un voyage dans le temps qui va de la plus ancienne, datée de 1581, en passant par le XVIIe, le XVIIIe jusqu’au XIXe siècle”. Dans un coin, une copie du penseur de Rodin en bois d’olivier. Sur un présentoir, un coffret ancien en nacre représentant des scènes de la vie quotidienne au XIXe siècle. Au mur, là où ne se déploie pas l’impressionnante bibliothèque, plusieurs tableaux contemporains. La cuisine est, elle, inaccessible, encombrée d’icônes, de tableaux et autres œuvres palestiniennes. Ce qui frappe donc, à première vue, c’est le joyeux mélange au sol, dans les vitrines, sur les meubles et les murs.
Pourtant, George n’est pas un acheteur compulsif. Rien n’est laissé au hasard. Le collectionneur connaît chacune de ses pièces comme un berger ses brebis. Les livres dans la bibliothèque ne sont pas là pour donner un semblant de sérieux à ce qui pourrait ressembler à un entrepôt en désordre. Dans chacun de ces ouvrages, George sait trouver en quelques secondes la page qui traite de telle pièce de sa collection. Et il connaît également son contenu, car il n’ouvre un livre que pour confirmer l’explication qu’il a fournie. Les a-t-il tous lus ? “Bien-sûr, il y en a 4200” répond-il ingénument. Consultant en art et culture pour la Banque de Palestine, il n’a de cesse d’étudier son sujet. “Mon parcours universitaire est compliqué. J’ai commencé à étudier en business et administration à l’Université de Bethléem, et j’ai fini par étudier l’anglais, pour devenir professeur, dans cette université. J’ai ensuite pris beaucoup de cours équivalents à un master en histoire de l’art et iconologie chrétienne à Amsterdam. Et finalement, j’ai fait un master en archéologie à l’université Al-Quds d’Abu Dhis”. Aujourd’hui, à 36 ans, il prépare à l’Université hébraïque (Jérusalem) un doctorat sur l’archéologie byzantine en Palestine. La Palestine, voilà le cœur de la passion de George : sa collection n’est constituée que d’œuvres d’art ayant trait à ce pays, sa patrie.

 

 

Un amour d’enfance

La passion de la collection a été précoce chez George : à cinq ans, il commence une collection de timbres, bientôt élargie aux pièces et aux billets. Une passion qui l’occupera dix ans durant. Tout change, de son propre aveu, le jour où il “tombe amoureux” des icônes russes arrivées dans le magasin de souvenirs de son père au début des années 1990. Non seulement il se met à les collectionner, mais aussi à les étudier : il n’a qu’une quinzaine d’années. Il admire alors la relation particulière des Russes à leurs œuvres d’art. “J’ai commencé à voir les motivations patriotiques dans le cœur des Russes qui voulaient récupérer leur héritage culturel perdu. Ces icônes ont été pillées durant la Révolution et écoulées sur le marché noir. Ils les ont alors rachetées (dans les années 1990, NDLR) sans argent ni connaissance juste pour rapatrier leur héritage. J’ai envié ce qu’ils faisaient pour la Russie, leur maison, leur patrie.” Pour le collectionneur qui veut faire de même, c’est “un nouveau départ” : George va consacrer sa vie à l’art palestinien.

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Aussi, les icônes n’ont-elles pas disparu. Mais celle montrant Elisée et Elie sur son char de feu et toutes les autres sont maintenant des icônes palestiniennes. C’est en effet avec les souvenirs que George a débuté sa nouvelle collection : “Mon père était vendeur de souvenirs, donc c’était mon univers”. À une époque où la photographie n’existait pas et où les pèlerinages en Terre Sainte prenaient plusieurs mois, les voyageurs repartaient volontiers avec une preuve de leur réussite. Il s’agissait, pour les plus aisés, de nacres sculptées, que George possède par dizaines. Elles sont à l’abri de la lumière et des insectes, rangées soigneusement dans une armoire, dont l’accès est volontairement encombré par une dizaine de tableaux. “Sinon je l’ouvrirais tous les jours, explique amusé le collectionneur, et ce n’est pas bon.” Une des pièces les plus importantes, que George est fier de présenter, est une nacre d’une vingtaine de centimètres. Au centre, la Nativité. Autour, l’adoration des mages, le massacre des Saints-Innocents et autres récits de l’enfance du Christ. Le tout taillé dans un seul coquillage. Une autre impressionne par sa dentelle, un travail très fin de poinçonnage de la matière précieuse, d’une finesse proche de celle d’un fil de soie.

 

Quand il présente sa collection, qu’il montre volontiers aux spécialistes de l’art palestinien et aux journalistes, George ne range pas les pièces immédiatement. Non, il les pose soigneusement sur un canapé brun, une manière pour lui de les contempler quelques minutes de plus lors du rangement : “Je ne les sors pas tous les jours, c’est agréable de les voir”. Sur ce canapé, un mille-feuille de papier de soie blanc, à travers lequel transparaissent des tissus colorés. Une à une, George les ôte soigneusement. Un arc-en-ciel se révèle alors et transporte le spectateur dans une autre époque : une veste chatoyante, vêtement traditionnel des Palestiniennes d’il y a un siècle et demi. À côté, il pose un tableau de l’orientaliste français Jean-Louis Baille. Réalisé à la fin du XIXe siècle, la Bethléemite représentée porte un costume traditionnel. “Vous voyez, c’est exactement le même” montre malicieusement le collectionneur. En effet, il s’est appliqué à reconstituer la tenue du personnage : il a la robe, le chapeau, le voile toujours décoré, fait unique au monde, de sa parure de pièces métalliques. La vallée qui sert d’arrière-plan est elle aussi bien réelle et située non loin de Bethléem.
Pour montrer ce tableau, il y a tous ceux, contemporains, que George a dû déplacer.
Ils sont maintenant exposés tout autour de ce salon reconverti en réserve, climatisée, aux volets clos. Il y a les tableaux d’artistes plus connus, comme Sliman Mansour. George possède plusieurs œuvres de cet artiste palestinien. Une pièce dont il est particulièrement fier est un tableau peint en 2015, durant l’Intifada des couteaux, qui a opposé une partie des Israéliens et des Palestiniens suite à une déclaration malheureuse de la ministre des Affaires étrangères israélienne. Ce tableau a été exposé par le très réputé artiste de rue Banksy lors de l’exposition Dismaland. En Grande-Bretagne, cette exposition était un parc d’attractions temporaire lugubre (dismal), détournement de Disneyland, présentant des œuvres d’artistes contemporains.

Un passionné professionnel

Mais la vie de collectionneur coûte cher : “Il faut être super-riche ! Et je ne le suis pas.” George confie avoir quelques dettes, auprès de la banque, d’amis et de parents. Aussi, pour acheter, il est obligé de vendre. Il y a quelques années, quand il a fallu commencer à rembourser, il a débuté la création d’un véritable marché de l’art en Palestine en vendant des pièces modernes et contemporaines de sa collection pour rembourser ses crédits, payer les pièces anciennes qu’il continue de collectionner et pouvoir garder une collection personnelle d’œuvres récentes. Ses ventes sont uniquement conclues avec des collectionneurs palestiniens et des institutions arabes qui promeuvent l’art palestinien. Car la collection de George n’est pas seulement tournée vers sa propre satisfaction : il veut faire connaître l’art de sa patrie. Si son appartement regorge de centaines d’objets, près de la moitié de sa collection est exposée à la Banque de Palestine de Bethléem, et à ce titre accessible à tous, aux horaires d’ouverture de cette dernière. Il prête aussi des pièces dans le monde entier, du Palestinian Museum de Birzeit en Cisjordanie au British Museum de Londres, avec qui il coopère. “Si Dieu me donne vie et m’en donne la possibilité, mon rêve, conclut George, est d’ouvrir mon propre musée où j’exposerai mes pièces d’artisanat palestinien”. Un moyen de rendre leurs lettres de noblesse à des générations d’artisans oubliés.♦

Dernière mise à jour: 05/02/2024 12:42

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