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Aux Etats-Unis, les Abu Akleh continuent à demander justice

Cécile Lemoine
27 juillet 2022
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Aux Etats-Unis, les Abu Akleh continuent à demander justice
Lina Abu Akleh, lors d'une conférence de presse à l'hôpital Saint-Joseph à Jérusalem, 13 mai 2022 ©MAB/CTS

La famille de la journaliste Shireen Abu Akleh, tuée par l'armée israélienne en mai dernier, poursuit son combat pour que les responsables soient reconnus coupables. Aux Etats-Unis jusque fin juillet, ils plaident pour l'ouverture d'une nouvelle enquête.


Vêtue de noir, ses longs cheveux sombres tombant en cascade autour d’un visage aux traits fins, Lina Abu Akleh, répond, sans se lasser, aux questions du journaliste de la chaîne américaine MSNBC, en cette soirée du 26 juillet. Sur sa poitrine, un pins, à l’effigie de sa tante, la journaliste Shireen Abu Akleh tuée le 11 mai dernier par une balle israélienne alors qu’elle était en reportage dans le camp de réfugiés de Jénine.

La jeune fille et son père, Anton Abu Akleh (le frère de la journaliste), sortent tout juste d’un entretien avec Antony Blinken le secrétaire d’Etat américain. Une première étape dans ce voyage, qui, ils l’espèrent, les mènera à rencontrer le président Joe Biden. Objectif : demander « une nouvelle enquête américaine, approfondie, crédible, indépendante et transparente » sur les circonstances de la mort de Shireen, qui disposait également de la citoyenneté américaine.

Au journaliste de MSNBC qui lui demande comment la rencontre avec Antony Blinken s’est déroulée, celle qui est devenue le visage de la famille en deuil dans les médias, répond, dans un anglais impeccable : « Il n’y a eu ni promesses, ni engagement de leur part. À ce stade, nous attendons des actions fortes. Nous avons demandé à ce que l’administration mène une enquête qui désigne vraiment un coupable. C’est la moindre des choses quand une citoyenne américaine est impliquée. »

Les Abu Akleh ont voulu profiter de la venue de Joe Biden en Israël et en Palestine à la mi-juillet pour organiser une rencontre sur place. Celle-ci n’a pas eu lieu, faute d’espace dans le planning. « Puisque le président n’est pas venu nous voir à Jérusalem pour entendre directement notre chagrin, notre indignation et nos préoccupations concernant l’absence de réaction de son administration à l’assassinat extrajudiciaire de Shireen, nous avons décidé de venir à lui« , écrivent-ils le 26 juillet.

Aucun coupable désigné

Un peu plus de deux mois après le décès de la journaliste, aucun coupable n’a été désigné. « Il faut que cette impunité cesse« , réclame cette famille chrétienne (grecque-catholique) de Jérusalem, dont les traits tirés et les visages fermés lors de leurs apparitions médiatiques, témoignent de la douleur d’un deuil marqué par des violences physiques et symboliques. Lina était particulièrement proche de sa tante. « C’était ma confidente, mon mentor, et ma meilleure amie« , écrit-elle dans les colonnes du site d’al-Jazeera.

Les hommages à cette journaliste renommée d’al-Jazzera se sont multipliés dans les territoires palestiniens, comme ici dans le camp d’Aïda à Bethléem ©Wisam Hashlamoun/FLASH90

Le 4 juillet dernier, la famille est restée « incrédule » à l’annonce des résultats de l’enquête balistique menée par le département d’Etat américain, sur lesquels elle avait fondé de gros espoirs.

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L’analyse de la balle meurtrière, que l’Autorité palestinienne (AP) avait accepté de confier après de longues semaines de tergiversations, ne s’est pas révélée concluante. « Trop endommagée« , estime le département d’Etat, qui conclut que si « des tirs provenant d’une position de l’armée israélienne étaient vraisemblablement responsables de la mort de Shireen Abu Akleh », il n’a trouvé « aucune raison de croire que cela était intentionnel, mais bien plutôt le résultat de circonstances tragiques ».

L’enquête américaine n’entre pas dans les détails de ce qui fonde cette conclusion. Seuls sont mentionnés les éléments fournis par Israël : une opaque enquête interne réalisée par l’armée, et dirigée par la propre hiérarchie de l’unité mise en cause.

62 palestiniens tués depuis le début de l’année

Les récits des témoins oculaires, ainsi que des enquêtes menées par de nombreux médias (Mediapart, CNN…), des organisations de défense des droits humains (B’Tselem), et par les Nations Unies, concordent tous : c’est un soldat israélien qui a tiré le coup fatal, il n’y avait pas d’autres personnes armées dans cette partie du camp au moment où la journaliste d’Al Jazeera a été tuée.

Mémorial improvisé au pied de l’arbre où Shireen Abu Akleh a reçu une balle mortelle, dans le camp de réfugiés de Jénine. Les impacts de balles, à hauteur d’homme, sont visibles sur le tronc, 24 juillet 2022 ©Cécile Lemoine/TSM

À Jénine, les habitants du camp de réfugiés rencontrés par terresainte.net en sont convaincus : le tir était intentionnel. « Les éclats laissés par les balles sur le tronc de l’arbre auprès duquel Shireen se tenait ne laissent aucun doute : ils sont à hauteur d’homme, et la balle a été tirée dans le cou, pile entre le casque et le gilet pare-balle« , affirme Ahmad Tubasi, ancien de la résistance armée à Jénine, et actuel directeur artistique du Théâtre de la liberté, influente institution culturelle du camp.

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« La vérité est que l’armée israélienne a tué Shireen suivant une politique qui considère tous les Palestiniens (civils, journalistes, etc) comme des cibles légitimes. Nous attendions d’une enquête américaine qu’elle cherche à découvrir les responsables et à les tenir comptables, non à parcourir des détails à peine significatifs, puis à présumer de la bonne foi d’une puissance occupante », dénonce la famille Abu Akleh dans un communiqué publié dans la foulée du rapport américain.

Depuis le début de l’année, au moins 62 Palestiniens ont été tués par l’armée en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza, selon le décompte du ministère de la santé palestinien publié au mois de juin. C’est 46 % de plus qu’au premier semestre de l’année dernière. Lorsqu’elles sont ouvertes, la majorité des enquêtes militaires sur la responsabilité des soldats finissent classées, ou n’aboutissent qu’à des peines mineures.

« Il n’y a rien que l’administration Biden puisse faire pour ramener ma tante, reconnaît Lina Abu Akleh dans sa tribune pour al-Jazeera. Mais nous aimerions que Biden fasse dans le cas de Shireen ce que son administration et les précédentes ont échouer à faire lorsque d’autres citoyens américains ont été tués par Israël : tenir les tueurs pour responsables. »

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