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Quand la musique classique fusionne avec le folklore palestinien

Cécile Lemoine
22 juillet 2022
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Quand la musique classique fusionne avec le folklore palestinien
Ahmed Abu Abed, compositeur palestinien, auteur de "Suite pour la Palestine" ©DR

Avec sa "Suite Palestinienne", le compositeur palestinien Ahmed Abu Abed fusionne la musique traditionnelle de la région à des ensembles orchestraux classique. Une réadaptation originale qui lui a valu de remporter la compétition internationale de composition musicale qui se tenait aux Etats-Unis en juin dernier.


Le son pinçant de l’arghoul, et ceux, percutants et profonds du tablah et du riq, se joignent soudain aux violons et aux symbales, dans un mélange aussi riche que surprenant. Lier les deux univers que sont le folklore palestinien et la musique classique, c’est le tour de force qu’a réussi le compositeur Ahmed Abu Abed, dans sa « Suite Palestinienne ».

Une ode à sa terre d’origine grâce à laquelle il a remporté la première place au concours international de composition musicale organisé en juin aux États-Unis. Le jury, qui devait départager 110 candidats, a notamment souligné l’originalité de la réadaptation de l’héritage musical palestinien.

Originaire du camp de réfugiés de Tulkarem, en Cisjordanie, Ahmed, 33 ans, vit aujourd’hui en Jordanie, où il s’est installé afin de poursuivre ses études en composition musicale à l’Université de Jordanie, à Amman. Il lui aura fallu un an et quatre mois pour finaliser cette suite, longue de 10 minutes, qui est en fait le résultat de son projet de fin d’étude.

« Composer une musique qui représente l’héritage d’une personne est un travail long qui nécessite beaucoup de dévouement », expose le musicien, qui dédie son morceau « à la Palestine et à son peuple », en citant le poète Mahmoud Darwish : « Qu’est ce son pays ? Ce n’est pas une question à laquelle on répond avant de passer à autre chose. C’est vous et votre vie à la fois. »

« Avant que je parte pour la Jordanie, mon ami m’a dit : « Fait quelque chose pour notre pays », se souvient Ahmed. J’ai gardé cette phrase en tête. Et puis j’ai commencé mon master de composition. Je voulais faire quelque chose en lien avec mon héritage culturel, alors je me suis basé sur nos musiques les plus célèbres. J’ai renoté les mélodies, et je les ai distribuées dans une composition orchestrale. Cela n’a pas été facile, car il a fallu adapter des morceaux monophoniques en musique polyphonique. »

Musique fusion

Après avoir composé le thème principal pour les 50 instruments à corde, à vent et à percussions qui composent les grands orchestres, Ahmed a ajouté des éléments propres à la musique populaire palestinienne : voix, instruments locaux comme le ney, l’arghoul, et des percussions (tablah, riq)… Une fusion harmonieuse, forte et fière. « On reconnaît bien plusieurs mélodies folkloriques », abonde Suhail Khoury, le directeur général du Conservatoire national de musique Edward Said à Birzeit. Ahmed Abu Abed explique :

« La musique est porteuse d’héritages, c’est l’identité d’un peuple. Je voulais que tout le monde voit combien notre folklore est riche et beau, et qu’il peut l’être encore plus quand il est transposé dans des ensembles orchestraux. »

Peu de compositeurs se sont essayé à ce genre de mélange. L’un des plus connus est peut-être Yousef Khasho. Né à Jérusalem en 1927, ce compositeur (décédé en 1997) a participé à la fondation du Conservatoire National de musique à Amman, dans les années 1960. Il a composé « Jérusalem », une symphonie en quatre mouvements. « Le premier est un portrait de la nature de cette ville unique telle qu’elle était au début du vingtième siècle. Il a utilisé un thème grégorien (Kyrie) ainsi que l’appel à la prière musulman (Allahu Akbar) et les a combinés d’une manière unique et remarquable », expliquait Dr. Saleem Zougbi, de l’Académie de musique de Bethléem, dans un numéro de This Week in Palestine paru en 2007.

Ahmed Abu Ahed, les yeux lumineux malgré les écrans interposés de la réunion Zoom, parle de Yousef Khasho comme d’un « modèle », même s’il estime que sa symphonie est restée dans les « sonorités de la musique classique ».

Le difficile accès à une éducation musicale

D’aussi loin qu’il se souvienne, Ahmed a toujours eu la composition dans la peau. « Quand j’avais 9 ou 10 ans, notre professeur de musique nous apprenait des morceaux sur un melodica (l’équivalent d’un gros harmonica, ndlr). Je me souviens que dès cette époque, je ne reproduisais pas les notes, mais j’inventais les miennes », rit-il.

 

Mozart’s Motive.?
From #ammmabaccalaureaschool

Publiée par Ahmed Abu Abed sur Dimanche 26 juin 2022

En plus d’être associé à une forme d’élitisme, l’accès à une éducation musicale de qualité est complexe à cette époque en territoires Palestiniens. « J’ai commencé à étudier tard la musique, parce que ce n’est pas dans la culture arabe de mettre leurs enfants dans des écoles de musique privées, et il y en avait peu », explique Ahmed.

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La premier conservatoire palestinien a été fondé à Birzeit, près de Ramallah, en 1993. Après des débuts modestes, le Conservatoire national de musique Edward Said (ESNCM) dispense aujourd’hui « un enseignement musical à environ 2 000 étudiants qui étudient dans sept succursales à travers la Palestine, ainsi que dans le cadre de ses programmes de sensibilisation dans les camps de réfugiés, les écoles gérées par les Nations unies et d’autres zones défavorisées », détaille son directeur général, Suhail Khoury, également compositeur et joueur de ney, dans les colonnes de This Week in Palestine.

Autre école qui contribue aujourd’hui à rendre plus accessible l’univers de la musique classique : l’Institut Magnificat, fondé en 1996 à Jérusalem, par le frère franciscain Armando Pierucci. Convaincu que la « musique joue un rôle fondamental dans le processus visant à faire de nos sociétés un endroit meilleur et un espace que les gens peuvent partager en « harmonie », cet organiste de formation a créé une école où environ 200 « Chrétiens, musulmans et juifs étudient et travaillent ensemble, unis par la passion de la musique et des arts. »

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Aujourd’hui professeur de musique à la Modern American School d’Amman, Ahmed se dit heureux d’aider ces enfants dans leur parcours académique musical, lui qui a expérimenté de « nombreux défis » tout au long du sien. Il espère à présent réunir assez d’argent pour enregistrer sa suite dans un studio en Jordanie et devrait se rendre aux Etats-Unis début 2023 pour la jouer en direct. Plus que jamais attaché à sa terre d’origine, il promet : « Je reviendrai. »

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