Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Les principaux travaux archéologiques des franciscains

Davide Biancchi, Institut d’Archéologie de Vienne (Autriche)
14 janvier 2021
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Les principaux travaux archéologiques des franciscains
Sur le mont Nébo. Dans l’abside de la chapelle de la Theotokos, un franciscain, le frère Jérôme Mihaic (portant le keffieh et l’agal noir) pose devant l’inscription grecque humidifiée au sol. Cliché de 1933 ou 1934.© Photos Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C. 20 540

Les pièces archéologiques provenant de ces sites sont aujourd’hui conservées au Terra Sancta Museum de Jérusalem, situé au couvent de la Flagellation.


L’intérêt singulier des franciscains pour l’archéologie biblique est intrinsèquement lié à la nature même de la Custodie de Terre Sainte dont la mission consiste à protéger et sauvegarder l’héritage matériel et les sanctuaires des communautés chrétiennes en Palestine.

Les fouilles archéologiques en ces territoires débutèrent conjointement avec la fondation du Studium Biblicum Franciscanum, institut scientifique conçu en 1901 et actif depuis 1924, visant à la formation biblique, topographique et archéologique de religieux avec à leurs côtés aujourd’hui des laïcs. La Terre Sainte se présente comme la patrie des épisodes bibliques ainsi que de la Bible elle-même et, pour la connaître en profondeur, le chercheur doit s’immerger dans le cadre de vie duquel a émergé le Livre sacré, en sachant recueillir les riches échos du passé et les stimuli actuels.

Les pièces archéologiques provenant de ces sites sont aujourd’hui conservées au Terra Sancta Museum de Jérusalem, situé au couvent de la Flagellation et actuellement au centre d’un ambitieux projet de renouvellement.

Commençons par Moïse

Le Mémorial de Moïse, sur le mont Nébo en Jordanie, constitua la plus importante campagne de fouilles des archéologues du SBF et le chantier où se formèrent les premières générations de professeurs et d’étudiants. Les campagnes archéologiques furent dirigées par le père Sylvester Saller de 1933 à 1937 et permirent de découvrir un vaste complexe monastique de quelques 6640m2 édifié au sommet de la montagne. La recherche fut reprise en 1963 par le père Virgilio Corbo et poursuivie de 1976 à 2008, par le père Michele Piccirillo. Dans le cadre des récents travaux de restauration et de consolidation des ruines, le père Eugenio Alliata a conduit, de 2012 à 2014, une série d’enquêtes archéologiques.

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Le sanctuaire du mont Nébo fut construit à partir du IVe siècle sur le lieu depuis lequel Moïse eut la possibilité de contempler la Terre promise juste avant sa mort (Dt 34, 6). Le complexe monastique se développa autour d’une église à trois nefs, caractérisée par la présence d’une tombe placée sous le presbyterium. Dans une deuxième phase architecturale, qui remonte à la seconde moitié du VIe siècle, le sanctuaire connut une importante restauration qui comporta la destruction des édifices préexistants et la construction d’une basilique dotée d’un narthex et d’un nouveau presbyterium à trois absides. En 597/598, au temps de l’évêque Serge de Madaba et de l’abbé Martirio, l’église
s’enrichit d’un diaconicon sur le côté nord alors qu’un nouveau baptistère, suivi quelques décennies plus tard de la chapelle de la Theotokos, fut construit sur le côté sud de l’église. Remarquable est aussi la merveilleuse mosaïque représentant des scènes de chasse identifiée par le père Michele Piccirillo dans le diaconicon-baptistère du côté nord, œuvre des mosaïstes Sœlo, Kaiomo et Élia qui la réalisèrent au mois d’août 530/31.

 

Résurrection à Béthanie

En 1949, une décennie après les recherches sur le mont Nébo, le père Sylvester Saller réalisa à Béthanie, dans le village de Lazare, les fouilles relatives à l’église paléochrétienne datée du IVe siècle. Les séquences de strates identifiées par l’archéologue permirent de connaître la phase d’agrandissement de l’édifice byzantin et sa reconstruction par les Croisés au XIIe siècle. Aux trois phases architecturales dont témoignent les traces de construction, correspondent trois niveaux de mosaïques de sol. L’église de Béthanie était reliée par un atrium et un couloir à la tombe de Lazare (Jn 11). Dans la zone sud du sanctuaire, le père Saller retrouva le monastère féminin construit là en 1138 sur ordre de la Reine Mélisande, épouse de Foulques d’Anjou.

La tombe de Lazare. Le village de Béthanie entre 1898 et 1946. Au centre la mosquée Al Uzair, construite à la fin de l’empire ottoman. Les francicains firent l’acquisition des maisons mitoyennes en contrebas de la mosquée en 1950.© Photos Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C. 20 540

Sur la pente ouest du mont des Oliviers, les pères Bellarmino Bagatti et Sylvester Saller menèrent des fouilles de 1953 à 1955, découvrant un monastère byzantin et une vaste zone de la nécropole de Jérusalem située en face du sanctuaire du Dominus Flevit (Lc 19, 41-44). Les études du père Saller sur les mobiliers funéraires des tombes, pouvant remonter à la période allant de l’âge du Bronze moyen au Bronze tardif (XVe-XIVe siècle av. J.-C.), ont apporté de nouvelles connaissances sur la culture matérielle de la colonie des Jébuséens et sur leurs rapports commerciaux avec l’Égypte et le monde mycénien.

L’analyse des noms d’origine néotestamentaire et des décorations gravées sur les ossuaires fournit aux archéologues franciscains un important témoignage sur la vie quotidienne et les pratiques funéraires de la première communauté chrétienne de Jérusalem.

La nécropole du mont des Oliviers, qui demeura en usage même au cours des périodes hellénistique, romaine et byzantine, a restitué de nombreux sarcophages et ossuaires portant de riches décorations. Certains d’entre eux – datant des IIe-IIIe siècles ap. J.-C. – portaient gravés en langue grecque, en araméen et en hébreu les noms des défunts accompagnés de divers signes, de croix et, dans un cas, du monogramme du Christ. L’analyse des noms d’origine néotestamentaire et des décorations gravées sur les ossuaires fournit aux archéologues franciscains un important témoignage sur la vie quotidienne et les pratiques funéraires de la première communauté chrétienne de Jérusalem.

 

La Galilée en pleine lumière

Nazareth, le village de Galilée où Jésus passa sa jeunesse avant de commencer sa prédication (Mt 13, 55), fit l’objet de recherches systématiques dans le cadre de plusieurs campagnes archéologiques menées sous la direction du père Prosper Viaud en 1909 et par la suite par les pères Bellarmino Bagatti et Emanuele Testa au cours des années 1956-1970. Les recherches se sont concentrées sur la vaste basilique croisée (longue de 75m et large de 33) construite en 1099 par la volonté du Prince de Galilée, Tancrède, sur les restes d’un complexe byzantin connu grâce aux chroniques des pèlerins et qui comprenait ce qu’il est convenu d’appeler la grotte de l’Annonciation. De l’église médiévale, sont conservés les merveilleux chapiteaux sculptés de représentations du Christ et des Apôtres.

Les activités de fouilles, poursuivies sous les mosaïques de l’église et du monastère byzantin, ont permis d’identifier de nombreux éléments architecturaux peints – appartenant à un édifice précédent – portant une série de graffiti chrétiens gravés dont le bien connu salut à la Vierge : Kaire Maria (de l’original grec XE MAPIA).

À une cinquantaine de kilomètres de Nazareth se trouve Capharnaüm, le village situé sur les rives du lac de Galilée où Jésus alla habiter lorsqu’il débuta son ministère (Mt 4, 13-14). Les ruines de la ville firent l’objet de recherches extensives de la part des archéologues franciscains au cours de nombreuses missions de fouilles : de 1905 à 1914 de la part du père Wendelin von Benden, de 1921 à 1926 sous la direction du père Gaudenzio Orfali. De 1968 à 1982, les pères Virgilio Corbo et Stanislao Loffreda conduisirent 19 campagnes sur le site. Le père Loffreda revint y travailler de 2000 à 2003 et en particulier sur les phases arabes et byzantines du quartier d’habitation se trouvant à l’est de la Maison de Pierre.

Quand ils achetèrent le terrain de Capharnaüm en 1890, les franciscains achetaient quelques ruines antiques qui affleuraient. L‘église octogonale de la période byzantine fut mise en évidence en 1921 par le père Gaudenzio Orfali mais c’est en 1968 qu’elle est identifiée pour être construite au-dessus de ce qui fut la maison de l’apôtre Pierre.    © Archives du SBF

Le village de Capharnaüm, caractérisé au niveau topographique par un plan orthogonal régulier, était divisé en insulae à l’intérieur desquelles furent construits des logements avec des murs à sec en basalte. La plus importante découverte sur le site intervint au centre de l’insula sacra, où se trouvait une église octogonale d’époque byzantine qui fut construite au-dessus de ce qu’il est convenu d’appeler la domus-ecclesia, lieu de réunion religieuse de la communauté dont les premières phases remontent au Ier siècle ap. J.-C. Ce lieu, agrandi au IVe siècle, fut l’objet de la vénération des pèlerins chrétiens qui l’identifièrent comme étant la “Maison de Pierre”, dans laquelle Jésus séjourna et de laquelle fait mention l’Évangile selon saint Marc (Mc 1, 27-2, 12). Les nombreux fragments de plâtre peint et décoré à l’aide de motifs géométriques et floraux se rapportant aux murs de la domus ecclesia portaient près de 185 graffitis gravés par les dévots et semblent confirmer la description que fit la pèlerine Égérie dans son itinéraire, à la fin du IVe siècle : “À Capharnaüm, la maison du Prince des Apôtres est devenue une église mais les murs de la maison sont encore conservés”. À quelques mètres de l’église byzantine se dressent les ruines d’une synagogue grandiose, en pierre blanche, construite presque au même moment que l’édifice chrétien. Les recherches archéologiques ont permis d’identifier une phase précédente du monument, se rapportant à la phase hellénistique et romaine du village.

 

Jérusalem et la Judée au cœur

Une attention non moindre a été accordée à l’étude des sanctuaires chrétiens de Judée, en particulier à la basilique du Saint-Sépulcre de Jérusalem. De 1960 à 1973, en parallèle avec la restauration de l’édifice, le père Virgilio Corbo dirigea une série de recherches archéologiques et d’études sur l’architecture du complexe ecclésiastique dont les résultats furent publiés avec une méticulosité indiscutable. L’étude du père Corbo a produit une analyse diachronique des phases architecturales du complexe constantinien du Saint-Sépulcre, fournissant en outre de nouvelles précisions sur les restaurations successives promues par l’évêque Modeste, par l’empereur Constantin Monomaque et sur la restructuration d’époque croisée. Les résultats de ces fouilles constituent à ce jour le préalable aux récentes recherches sur l’édicule effectuées en 2016.

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D’autres recherches furent menées à Jérusalem, en particulier au mont-Sion, à Aïn Karem, près du sanctuaire de l’Ascension sur le mont des Oliviers et dans ce qu’il est convenu d’appeler la Tombe de la Vierge, dans la vallée de Josaphat. Non loin de là, dans le jardin de Gethsémani, le père Gaudenzio Orfali dirigea, en 1919, des fouilles qui permirent de ramener à la lumière les ruines de la basilique croisée du Très-Saint-Sauveur, édifiée sur le lieu de la prière solitaire de Jésus (Lc 22, 39-46). Les recherches permirent en outre d’identifier les restes d’une église élégante vue par la pèlerine Égérie à la fin du IVe siècle, église qui fut ensuite englobée dans l’actuelle basilique de l’Agonie, construite par l’architecte Antonio Barluzzi.

Vers 1919, les fouilles de Gethsémani commencent. Elles aboutiront à la découverte des traces d’une église du IVe siècle et de celles de l’église médiévale.© École biblique, pères dominicains, Jérusalem

L’un des thèmes privilégiés de la recherche historique et archéologique du Studium Biblicum Franciscanum a concerné l’étude des complexes monastiques construits dans le désert de Juda, mettant surtout en évidence les aspects liés à la vie quotidienne des communautés de moines. Au nombre des monastères fouillés par le père Virgilio Corbo doivent être mentionnés les sites de Siyar el-Ghanam, Khirbet Abu Ghunneim, Khirbet Luqa, Khirbet Mazmuriya, Khirbet Deir el-’Amud, Khirbet Makhrum, Khirbet Juhdhom et de Bir el-Qutt où a été découverte une mosaïque de sol portant l’une des plus antiques inscriptions en langue géorgienne.

 

Retour en Jordanie

En dressant un panorama conclusif des découvertes réalisées par les franciscains en Jordanie, une attention particulière doit être réservée aux merveilleuses mosaïques byzantines retrouvées par le père Piccirillo sur le site d’Umm er-Rasas. Les sols réalisés avec grande expertise par les mosaïstes, témoignent de la grande floraison de cette technique à l’époque de l’antiquité tardive et s’insèrent dans le riche patrimoine de mosaïques de la région, dont celle, très connue, retrouvée dans l’église de Saint-Georges à Madaba, qui comporte une représentation topographique détaillée de la Terre Sainte comprenant la ville de Jérusalem.

Les pièces archéologiques provenant de ces sites sont aujourd’hui conservées au Terra Sancta Museum de Jérusalem, situé au couvent de la Flagellation et actuellement au centre d’un ambitieux projet de renouvellement. À cette institution est aujourd’hui confiée la mission non seulement de protéger et de rendre accessibles les témoignages matériels de la terre de Jésus mais aussi de raconter au pèlerin et au touriste l’œuvre des archéologues du Studium et leur contribution déterminante à la connaissance et à la valorisation d’un patrimoine artistique, historique et religieux de premier ordre.

Dernière mise à jour: 14/03/2024 09:19

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