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Terra sancta Museum : le projet prend corps

Marie-Armelle Beaulieu
30 juillet 2015
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Au printemps 2013 la Custodie de Terre Sainte dévoilait son projet : ouvrir à Jérusalem le Terrasancta Museum, “le seul musée au monde consacré aux racines du christianisme et à la conservation des Lieux Saints”. Les travaux sur les bâtiments, ainsi que ceux sur les pièces à exposer, ont commencé.


Au château de Versailles en 2013, une exposition rassemblant quelque 300 pièces du “Trésor du Saint-Sépulcre” avait émerveillé les visiteurs. Cette collection unique, qui s’expose par bribes de la Chine aux États-Unis en passant par l’Europe, sera en partie visible à Jérusalem dans les prochaines années. C’est du moins le projet auquel s’est attelée la Custodie.

Mais c’est moins l’abondance des biens, que les franciscains de Terre Sainte veulent montrer, que le lien indéfectible qui existe entre la présence chrétienne et la Terre Sainte. A l’heure où d’aucuns voudraient l’effacer pour des raisons politiques ou religieuses, la présence chrétienne fait de la résistance en s’affichant. Elle entend aussi devenir un pont entre les habitants, juifs, chrétiens et musulmans dans la relecture de ce passé qu’ils partagent avec amour de cette région du monde.

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Précédant l’événement que représentera l’ouverture d’un tel musée, les préparatifs vont bon train. Tandis que les travaux du Terra sancta Museum ont commencé dans les lieux destinés à l’accueillir, frère Sergey Loktionov, archiviste de la Custodie, s’emploie à préparer ceux des documents d’archives qui seront exposés.

Car il est bien impossible de retracer l’histoire de la présence chrétienne à Jérusalem sans exposer des firmans. Le terme firman provient étymologiquement du persan farman. Il peut signifier ordre, autorité, volonté, désir, autorisation. Avec le temps, le mot farman en viendra à désigner l’écrit en tant que tel, le document par lequel était donné un ordre. Le terme a d’abord été utilisé pour tout type de document, et ce n’est qu’à une époque tardive qu’il commença à faire partie du langage administratif.

Firmans dorés

Le fond des firmans de la Custodie est d’une richesse exceptionnelle tant par son nombre – “2644 firmans allant du 31 juillet 1247 au 5 mai 1902 sont catalogués, d’autres le seront prochainement. Une équipe arrivera cet été pour poursuivre l’inventaire”, précise frère Sergey – que par la qualité de sa conservation, mais aussi parce que certaines pièces – en plus d’être des documents juridiques toujours en vigueur – sont, dans leur facture même, de véritables œuvres d’art.

C’est une des plus belles pièces de la collection des franciscains qui sera présentée dans le musée. Elle appartient à la collection gold, les firmans dorés car enluminés à la feuille d’or. Pour être exposé, un tel document exige des précautions particulières. À vrai dire, ce n’est pas un, mais trois ou quatre firmans qui, à tour de rôle par mesure de conservation, seront montrés. Le cadre les renfermant est très spécifique : hermétique, de structure métallique et anti-corrosion, il assure la stabilité hygrométrique quelles que soient les variations extérieures.

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Avant de mettre sous verre le firman 365(i) – ainsi référencé dans le catalogue – il a fallu le restaurer. “Ce firman traite de certains droits accordés aux franciscains au Saint-Sépulcre. À force de manipulations au long des siècles, il est fragilisé. On a pu constater ici ou là des taches, voire des déchirures tant sur le papier que sur le tissu sur lequel il est collé. Par ailleurs, le mode de conservation, en rouleau du fait de sa taille (167 x 66cm), et le fait qu’il ait été déployé à de multiples reprises puis roulé de nouveau nécessite une intervention”, poursuit frère Sergey. Précisons que le document date de 1755. Il a été émis par la Sublime Porte, nom consacré pour désigner le gouvernement du sultan de l’Empire ottoman.

Frère Sergey a fait appel à deux restauratrices du laboratoire Consorzio Indaco à Brescia en Italie, spécialistes l’une de papier, Chiara Lancini, l’autre de tissu, Ilaria Mensi. Du 9 au 21 avril, elles ont séjourné à Jérusalem pour intervenir sur divers documents dont le précieux firman.

Dans une salle du couvent Saint-Sauveur, le firman est posé sur une table, le papier d’un côté, le tissu de l’autre. On se croirait dans une salle d’opération, scalpels, ciseaux, pinces, gants blancs et même un bout d’os sont au rendez-vous. Les blouses blanches de Chiara et Ilaria ajoutent à l’ambiance.

Chiara peaufine son travail sur les contours du papier. Elle a dû reconstituer de la matière, lorsqu’elle était manquante ici ou là. Pour ce faire, elle avait apporté des papiers de différents grammages pour approcher au plus près du papier original. Au final, son travail ne se devine qu’en mettant le document à contre-jour. Car même la couleur de la pièce ajoutée a été travaillée pour se fondre à celle du firman.

Interventions soignées

Et si le trou était au milieu du texte ?” “S’il devait manquer du texte, explique Chiara, il est évident que nous ne sommes pas en mesure de le restituer. En italien ou latin, cela nous arrive de le faire, mais ici non car ce sont des caractères arabes”. En réalité le texte en question est écrit en osmanli, du turc écrit avec des caractères arabes.

De son côté, Ilaria travaille sur le tissu sur lequel était collé le papier. Était collé, car Ilaria et Chiara les ont séparés l’un de l’autre. Une opération délicate car si le papier est d’un grammage léger, il a été collé sur une étoffe elle aussi très légère.

Ilaria aussi est arrivée à Jérusalem avec son matériel, dont des étoffes, “achetées à une entreprise française.” La trame de l’étoffe doit être la plus proche possible de la trame du tissu original. Mais Ilaria fait elle-même ses propres teintures pour arriver à obtenir la bonne teinte. “Les teintures elles aussi doivent répondre à des critères spécifiques, être naturelles et ne contenir aucun métaux. De sorte qu’elles ne dégraderont la fibre ni du voile ni du papier au moment de les réunir.”

Elle doit intervenir sur les lacunes de l’étoffe, et ce sont les bords qui ont le plus souffert ou qui s’effilochent. C’est en présentant un compte-fil et en pointant du doigt telle ou telle partie du tissu qu’elle propose de vérifier son travail. À l’œil nu en effet, il est difficile de trouver les endroits où elle est intervenue. L’étoffe est comme neuve, propre et repassée.

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Pour l’une comme pour l’autre des restauratrices, le travail, malgré la minutie exigée, est facilité par la qualité des matériaux utilisés dans les siècles derniers.

Habituées toutes deux à voir passer entre leurs mains expertes des œuvres d’art, elles expliquent que leur enthousiasme ne naît pas de l’âge du document à restaurer, mais de la beauté à restituer. Ilaria utilise une analogie intéressante. “Le rapport que nous avons à l’œuvre et au commanditaire est semblable à celui du médecin avec son patient alors que la famille l’interroge sur son état et ses chances de guérisons. Nous établissons un diagnostic et nous mettons en œuvre un protocole pour le soigner.”

La famille de la Custodie, représentée par le frère Sergey, après l’intervention est heureuse. Non seulement le firman se porte bien, mais il a retrouvé une nouvelle jeunesse.

Qu’en est-il des 2643 autres ? “Il faudrait nettoyer tous les firmans”, explique Frère Sergey. D’un geste de la main, il fait comprendre que l’opération vaudrait son pesant d’or. “En attendant, des mesures conservatoires nouvelles sont prises pour toute la collection. En effet, les archives sont de plus en plus sollicitées par des chercheurs et des étudiants. Quelques pièces seront mises sous verre pour pouvoir être présentées y compris lors d’expositions temporaires, poursuit-il. Nous venons d’en restaurer trois en profondeur, mais c’est une centaine de firmans qui auraient besoin des mêmes soins.”Une mission qui devra trouver des financements extérieurs pour être menée à bien.

Dernière mise à jour: 19/11/2023 21:53

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