Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Banyas dans la région de Césarée de Philippe

Par Claire Burkel, Enseignante à l’École Cathédrale-Paris
30 septembre 2019
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Banyas dans la région de Césarée de Philippe
Largement ouverte cette grotte de calcaire laissait échapper une source abondante. Il n’en fallait pas plus pour en faire un site à mystère.

Ici se superposent plusieurs époques, de l’Antiquité païenne à la Révélation du Christ et à la mission de Pierre. Mettons-nous à l’écoute de l’Évangile dans ce jardin où l’eau abonde.


Dans l’extrême nord du pays, les pèlerinages effectuent souvent deux visites l’une à la suite de l’autre : Dan et Banyas. Si Dan est une des sources principales du fleuve Jourdain 100m3/s, Banyas en est une fort abondante 20m3/s. Dan est un lieu fortement rattaché à l’Ancien Testament, Banias, sa voisine, 3km les séparent, intéressera surtout le lecteur du Nouveau Testament. Pourtant le site n’est jamais clairement nommé dans les Évangiles. Matthieu et Marc nous parlent de “la région de Césarée de Philippe”. Faute de précisions, c’est là cependant, que le pèlerin peut lire une des pages les plus décisives du ministère de Jésus.
Nous sommes proches d’une triple frontière – Liban, Syrie et Israël – ce dernier n’ayant conquis le territoire que lors de la guerre des Six jours (5-10 juin 1967). Pour les tribus israélites, selon le livre de Josué, c’est le territoire de Dan établi en Gaulanitide, le Golan actuel, au pied du mont Hermon. La ville de Panias fut fondée en 198 av. J.-C., en pleine période hellénistique, auprès d’un sanctuaire dédié au Dieu Pan, protecteur des sources, des troupeaux et des bergers. Le nom fut déformé en Banias, et même Belinas par les Croisés. Éloignée de Jérusalem, elle était un point stratégique sur la route de Damas à Tyr. Auguste (27 av. J.-C. à 14 ap. J.-C.) avait offert la cité et toute sa région à Hérode le Grand. Pour plaire à l’empereur le tétrarque Philippe qui, à la mort de son père Hérode le Grand, s’était vu attribuées les terres les plus septentrionales, Hauran, Gaulan, Trachonitide, Batanée et le district de Panias, la baptisa Césarée de Philippe. Son père le grand bâtisseur, avait édifié un temple à Auguste, tout paré de marbre blanc, dont seules 5 niches et quelques inscriptions dédicatoires, sans le marbre qui en a été retiré, témoignent encore des cultes adressés à Zeus, Athéna, Aphrodite, et aux nymphes Némésis et Écho. Et comme les traditions festives sont tenaces, Eusèbe au IVe siècle, mentionne qu’on y célèbre encore certaines fêtes. A cette époque byzantine la communauté chrétienne est assez importante pour avoir un évêque, Philocalos, qui participe au concile de Nicée en 326.

L’ampleur du site de Banyas
Facilement accessible le domaine est un beau lieu de promenade, tout autant que de méditation avec l’Évangile.

La ville n’est pas reconnue comme lieu de pèlerinage car aucun fait de la vie de Jésus n’y est attesté, et le pèlerin d’aujourd’hui ne verra plus rien de la grande cité grecque, puis romaine, lieu de villégiature pour les armées impériales, forteresse croisée en 1129. Les fouilles archéologiques n’ont commencé qu’en 1988 pour découvrir des colonnes qui encadraient l’entrée de l’immense grotte d’où jaillissait la source et dégager les fondations d’une basilique civile romaine. En 2000 apparurent le cardo, toujours l’axe nord-sud d’une cité grecque, et un palais ; on mit au jour plusieurs monnaies aux effigies de Philippe (environ 25 av. J.-C. à 34 ap. J.-C.) et d’Agrippa II son petit-neveu (27-93). Celui-ci voulut honorer Néron en renommant sa capitale Néronias, mais la concurrence de Pan était trop fortement ancrée.
Quand on aura admiré l’ampleur du site, la grotte et plusieurs escaliers qui la contournent, on ira profiter des ombrages des saules du bord de l’eau et des peupliers, des térébinthes et des figuiers odorants dans les aires de pique-nique et les petits amphithéâtres aménagés pour les visiteurs, pour retrouver Jésus et ses disciples. Il les interroge sur ce que l’on dit de lui : “Au dire des gens qui suis-je ?” Mt 16, 13. Il lui est nécessaire de faire le point après plusieurs mois de ministère en Galilée. La question rejoint d’ailleurs les interrogations de ceux qui venaient auprès de Jean Baptiste Jn 1, 21. Et c’est encore le prophète Élie qui est évoqué en premier, car selon la tradition cette grande figure prophétique du VIIIe siècle viendra précéder le Messie. Et l’attente est forte en ces temps d’occupation étrangère et de troubles populaires à répétition. Jésus a pourtant révélé que Jean était l’Élie précurseur Mt 11, 14, mais les réponses de ses disciples montrent que nul n’en a tenu compte. Alors il demande plus avant “Vous, que dites-vous que je suis ?” C’est Pierre qui donne en Mt 16, 16 la formulation de foi la plus aboutie “Tu es le Messie, le fils du Dieu vivant !” Alors Jésus est fixé, voilà le signal que Jésus, enfin reconnu comme Christ, attendait du Père pour la poursuite de sa mission. C’est ce que nous indique Mt 16, 21 “À dater de ce jour Jésus commença de montrer à ses disciples qu’il lui fallait monter à Jérusalem…”

Vestiges de l’époque gréco-romaine
À proximité de la source la piété populaire avait fait édifier quantité d’autels au panthéon maître des lieux.

 

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La suite n’est pas très favorable à Pierre l’audacieux, pourtant bien inspiré et docile à la Révélation de Dieu un instant auparavant, car ce qu’il croit savoir du messie ne s’accorde pas avec ce qu’annonce Jésus : de la souffrance, la mort décidée par les autorités religieuses, même si Jésus a dit qu’il “serait réveillé” – le mot de Résurrection n’est pas encore entré dans le vocabulaire et encore moins dans une conception théologique.
Qu’en est-il donc de Pierre ? Il lui est dit “Tu es heureux Simon fils de Iona”. La béatitude est-elle destinée à nous informer de son ascendance ? Un passage de l’Ecclésiastique, le livre du Siracide, va nous éclairer, car Jésus, si familier de l’Écriture, parle avec ses mots. “C’est Simon fils de Iona le grand-prêtre qui pendant sa vie répara le temple et durant ses jours fortifia le sanctuaire… soucieux d’éviter à son peuple la ruine, il fortifia la ville pour les cas de siège” Si 50, 1-4. Entendu avec Is 22, 22 “Je mettrai la clé de la maison de David sur son épaule, s’il ouvre, personne ne fermera, s’il ferme, personne n’ouvrira”, et Is 28, 16 “Je vais poser en Sion une pierre, pierre de granit, pierre angulaire, précieuse, pierre de fondation bien assise”, voilà qui explicite le nouveau nom et la mission de Pierre en résonance avec les paroles de Jésus : parce qu’il a été à l’écoute du Père, qu’il a prêté sa bouche à la Révélation, il sera chargé de la maison du peuple que le Christ appelle “mon Église” ; à lui de la réparer, la fortifier, la protéger des vents mauvais qui ne vont pas manquer de l’assaillir.

Les archéologues cherchent encore à dégager et éclairer ce site de vénération antique en avancée de sa roche béante spectaculaire.

 

Le tournant chronologique est encore renforcé par l’épisode suivant qui comporte, lui aussi, une mention de date : “Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène sur une haute montagne” Mt 17, 1. Est-ce l’Hermon lui-même qui culmine à 2814m, ou l’une des hauteurs de son vaste massif ? Le groupe est sans doute resté dans les confins nord d’Israël, situation choisie par Jésus pour se tenir à l’écart de la juridiction d’Hérode Antipas qui gouverne la Galilée et l’a déjà inquiété Mt 14, 1-3. La scène de la Transfiguration se déroule probablement lors de la fête automnale de Sukkot – fête des cabanes ou des tentes – Pierre proposant tout naturellement à Jésus de monter pour lui, Élie et Moïse qui l’accompagnent, trois tentes afin de demeurer pour ces jours de joie en leur présence. La fête est justement précédée d’une semaine par le Jour du Pardon, Yom Kippour, seul jour de l’année où le grand-prêtre entre solennellement dans le Saint des saints du temple de Jérusalem, encense la pièce vide et prononce pour le bien du peuple le saint nom du Seigneur Dieu. C’est exactement ce qui s’est passé six jours avant lorsque Pierre, à proximité d’un autre sanctuaire, a révélé le nom de Jésus.
Ce que veut nous faire comprendre l’évangéliste Matthieu dans la composition très fine de ce passage, c’est que Pierre est intimement lié à Jésus dans la mission, chacun révélant l’autre, dans un jeu de questionnements sur leur identité profonde. Pierre est maintenant reconnu comme le pontife du peuple que Jésus va bientôt baptiser dans sa mort et sa Résurrection ; il devient l’égal du grand-prêtre en exercice à Jérusalem, comme de Simon l’ancien cité par le Siracide. Tant qu’il sera fidèle à la Parole du Père, obéissant à l’Esprit, joyeux dans ses initiatives, il fortifiera l’Église. S’il fait obstacle au dessein de Dieu, par incompréhension ou ambition personnelle, il sera comme un satan, un aveugle qui guide d’autres aveugles, et le peuple se trouvera sans berger. Mais Pierre est “posé” par Jésus qui lui donne à cet instant le nom de sa vocation, toujours en référence à l’Écriture. Le Fils est tout obéissant au Père, il ne reçoit sa mission que du Père.
C’est à Banyas que nous pouvons passer cette heure délicieuse à méditer les textes de fondation de l’Église et de la lumineuse Transfiguration. Tout pèlerin du peuple de Dieu entend ici la Révélation de son histoire. Un lieu à l’écart qui, même s’il n’est pas authentifié comme tel, invite à la relecture de la trajectoire de Pierre et de la décision de Jésus de conclure le ministère galiléen afin de se tourner résolument vers Jérusalem Lc 9, 51. ♦

Les archéologues cherchent encore à dégager et éclairer ce site de vénération antique en avancée de sa roche béante spectaculaire.

 


Pour suivre dans les textes

Mt 16, 13 Arrivé dans la région de Césarée de Philippe…
Mc 8, 27 Jésus s’en alla avec ses disciples vers les villages de Césarée de Philippe…
Jos 19, 40-48 décrit la répartition de la tribu de Dan
Lc 3, 1-2 Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère, tétrarque du pays d’Iturée et de Trachonitide…
Mt 11, 14 Si vous voulez m’en croire, il est cet Élie qui doit revenir.
et Jésus redira Élie est déjà venu et ils ne l’ont pas reconnu. Mt 17, 12.
Jn 1, 21 Qui es-tu donc ? Es-tu Élie ? questions posées au Baptiste sur les rives du Jourdain.
Is 22, 15-22 est un reproche fait par Dieu à un intendant corrompu, Shebna, qui sera remplacé par un honnête homme, Elyaqim, à qui seront conférés de vrais pouvoirs : Il sera un père pour l’habitant de Jérusalem et pour la maison de Juda.
La Transfiguration, décrite par les 3 synoptiques : Mt 17, 1-9 ; Mc 9, 2-8 et Lc 9, 28-36, vient à chaque fois après la Révélation du nom de Jésus par Pierre et une première annonce de la Passion.
Mt 14, 1-3 La renommée de Jésus vint aux oreilles d’Hérode le tétrarque, qui dit à ses serviteurs ‘Celui-là est Jean le Baptiste ! Le voilà ressuscité des morts, d’où les pouvoirs miraculeux qui se déploient en sa personne.’
C’est qu’en effet Hérode avait fait arrêter, enchaîner et emprisonner Jean.

Pour le site de Tell Dan, voir TSM 653

Dernière mise à jour: 08/04/2024 11:04

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