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Orna Akad, anticonformiste sur scène et dans la vie

Manuela Borraccino
15 mai 2025
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Orna Akad et son mari. Il est arabe, elle est juive, ils sont mariés. Et cela va de moins en moins de soit dans la société israélienne. ©Victorine Alisse

Écrivaine et metteuse en scène israélienne, elle est mariée depuis 32 ans à un Palestinien et lutte depuis des décennies contre l’Occupation des Territoires. “Être militant pour la paix n’a jamais été aussi difficile, et pourtant je reste confiante”, dit-elle dans cette interview.


Militante, dramaturge avec des œuvres en hébreu et en arabe, metteuse en scène de théâtre, autrice de deux romans, l’écrivaine israélienne Orna Akad, 63 ans, incarne dans sa propre vie le rêve de coexistence entre arabes et juifs en Israël.

Fille d’un magistrat et d’une agronome juive d’origine bulgare ayant fait leur aliyah en 1953, Orna est née en 1962 à Rehovot, à moins d’une heure de Tel Aviv. Après quelques années à Londres pour étudier le théâtre, elle est retournée en Israël et, en 1986, a rejoint le mouvement de jeunesse Sadaka-Reut, fondé en 1983 qui promeut une société inclusive basée sur l’égalité entre juifs et arabes, la solidarité et la justice. C’est là qu’elle a rencontré le biologiste palestinien Fouad Akad, originaire du village de Jatt, dans le district de Haïfa, l’un de ceux appelés en Israël “Arabes de 1948”.

Le couple s’est marié en 1993 à Chypre, puisque l’État ne reconnaît pas les mariages entre personnes de confessions différentes, bien qu’il reconnaisse les unions civiles célébrées à l’étranger. “Être un couple mixte n’a pas été facile. Pourtant, mon mari et moi avons lutté toute notre vie contre le racisme et, aujourd’hui plus que jamais, dans cette période historique si sombre, nous ressentons le devoir de continuer”, confie Orna.

Droit des minorités

Orna et Fouad vivent à Tel Aviv, la ville la plus cosmopolite d’Israël, précisément pour échapper aux jugements de ceux qui voient d’un mauvais œil les unions entre juifs et arabes et l’activisme de citoyens israéliens refusant de se résigner à la guerre. “Quand j’ai connu mon mari et commencé à visiter son village et le district à majorité arabe au nord de Haïfa, j’ai été choquée par la grande disparité, même urbanistique, par rapport aux villes juives israéliennes : dans ces villages, il n’y avait même pas une aire de jeux pour enfants.”

C’est ainsi qu’est née sa volonté de consacrer son travail aux droits des minorités, au regard porté sur l’autre, à la relation avec la différence. “La société juive israélienne en général, explique la dramaturge, est très ignorante des conditions dans les zones à majorité arabe. Sans parler de la Cisjordanie et des implications de l’Occupation… Ces 30 dernières années, j’ai essayé de faire connaître, à travers le théâtre, la culture arabe, les conditions de vie des arabes, leur quotidien et leur point de vue sur notre histoire.

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Qu’ils soient appelés “Palestiniens“ ou “Arabes de 1948“, ce qui compte, c’est qu’ils sont citoyens d’Israël. Et les juifs israéliens en savent très peu sur eux. De plus, il n’y a pas de réciprocité : les arabes israéliens parlent hébreu, mais les juifs ne parlent pas arabe… Pas même la grande majorité des militants de gauche. C’est cet écart de connaissance que j’ai essayé de combler.”

Le couple a deux enfants : Maï, 30 ans, graphiste, et Adam, 24 ans, diplômé en sciences politiques et manager de l’organisation binationale Standing Together (debout ensemble), qui observe les transformations de la société civile israélienne depuis le 7-Octobre 2023.

S’opposer sans armes

“Mon mari et moi, rappelle Orna, appartenons à la génération qui a vécu l’essor et le déclin du processus d’Oslo (avec les Accords de 1993 entre l’Organisation de libération de la Palestine et Israël, qui semblaient annoncer la naissance d’un État palestinien). Nous sommes profondément attristés par la régression qu’a connue la société israélienne ces vingt dernières années en général et ces dix-huit derniers mois en particulier. Notre fille a déménagé en Europe. Notre fils dit que, pour ceux qui choisissent de rester en Israël, la seule voie possible est celle de l’activisme et de l’engagement, pour affirmer la non-violence et le dialogue en vue d’une solution au conflit. »

« Depuis des mois, nous voyons des signes croissants d’une militarisation de la société ainsi qu’une intolérance grandissante envers ceux qui refusent d’accepter passivement le récit dominant sur l’inévitabilité de cette guerre : beaucoup de gens ont perdu leur emploi, parfois juste pour un post Facebook contre le massacre en cours à Gaza.”

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Orna raconte aussi l’impact de ces tensions sur leur propre vie. “Il y a deux mois, mon mari, qui est chercheur dans un laboratoire d’analyses du système de santé publique à Tel Aviv, a été suspendu après avoir mal répondu à un vigile qui, soudainement, a commencé à lui demander sa carte d’identité chaque matin, comme s’il n’avait pas travaillé là depuis des années. Le 31 décembre 2024, nos voisins de Jatt nous ont appelés pour nous dire que la police avait fait irruption dans notre maison de campagne en quête d’armes… Ils n’avaient pas le droit de perquisitionner en notre absence, mais ils ont défoncé la porte et ravagé l’appartement sans raison. »

« Et le mois dernier, j’ai été licenciée de l’association où j’animais des ateliers de théâtre-thérapie parce que, en réponse à une demande de commentaire, je m’étais exprimée contre le massacre à Gaza. Tout cela pour dire qu’il y a un climat paroxystique en Israël : être contre la guerre n’est plus seulement impopulaire ; c’est devenu dangereux. Nous ne nous sentons plus en sécurité ici. Plus que jamais, nous envisageons d’émigrer.”

Son espoir, dit-elle, vient de l’engagement de leur fils Adam à lutter contre ce climat et à ne pas céder à la polarisation extrême qui règne dans le pays. “Nous traversons une période très difficile, conclut Orna, mais nous devons continuer à croire qu’un changement est possible, que ce cycle négatif prendra fin et qu’il faut donner raison à notre espoir que cela ne durera pas toujours. Si nous décidons de rester en Israël, nous devons travailler pour le changement social et politique, car si nous ne portons pas nous-mêmes ces valeurs, qui le fera à notre place ?”

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