La prĂ©sence franciscaine en Terre Sainte plonge ses racines dans le Chapitre des Nattes de 1217, lorsque François dâAssise, rĂ©unissant les frĂšres prĂšs de la Portioncule, institua les premiĂšres provinces de lâOrdre, parmi lesquelles la Province dâOutre-Mer, connue par la suite sous le nom de Province de la Grande Syrie.
AprĂšs la chute de JĂ©rusalem en 1187, conquise par Saladin, les croisĂ©s se repliĂšrent le long de la cĂŽte palestinienne, Ă©tablissant leur nouvelle capitale Ă Saint-Jean-dâAcre. Câest prĂ©cisĂ©ment dans ce contexte que les premiers FrĂšres mineurs firent leur entrĂ©e en Terre Sainte marquant le dĂ©but de leur prĂ©sence et de leur mission dans ces rĂ©gions.
Fr. Eduardo Masseo â Historien, Custodie de Terre Sainte
Curieusement, lors de la fondation de la Province dâOutre-Mer en 1217, François dâAssise dĂ©signa comme premier Ministre provincial frĂšre Ălie de Cortone, figure marquante de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration franciscaine, appelĂ© quelques annĂ©es plus tard Ă superviser la construction de la Basilique Saint-François Ă Assise, qui abrite encore aujourdâhui les reliques du Saint. FrĂšre Ălie fut ainsi le premier Ă diriger la prĂ©sence institutionnelle des FrĂšres mineurs en Terre Sainte, accompagnĂ© de quelques confrĂšres, envoyĂ©s pour poursuivre la mission Ă©vangĂ©lique dans les Lieux Saints.
Câest dans le contexte de la cinquiĂšme Croisade que Saint François dâAssise entreprit son unique voyage en Terre Sainte, se rendant Ă©galement Ă Damiette, en Ăgypte, en 1219. Ce fut Ă cette occasion quâeut lieu la cĂ©lĂšbre rencontre avec le Sultan al-Malik al-KÄmil, un Ă©vĂ©nement dâune portĂ©e historique et symbolique exceptionnelle, tĂ©moignant de lâesprit de dialogue et de paix qui caractĂ©risa, dĂšs ses origines, la mission franciscaine.
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Dâun point de vue historique, aucune source fiable ne permet dâattester avec certitude la prĂ©sence de saint François dans des villes telles que JĂ©rusalem ou BethlĂ©em. Il est toutefois largement reconnu quâen 1219, il dĂ©barqua bel et bien au port des Pisans de Saint-Jean-dâAcre.
Dans la ville dâAcre, qui servait alors de capitale au Second Royaume croisĂ©, les principales rĂ©publiques maritimes italiennes Ă©taient prĂ©sentes, chacune disposant de ses propres Ă©glises, de son clergĂ© et de structures ecclĂ©siastiques autonomes. Dans ce contexte complexe, les FrĂšres mineurs Ă©prouvĂšrent de grandes difficultĂ©s Ă sâintĂ©grer, nâĂ©tant guĂšre bien accueillis, ni par le clergĂ© local ni par les croisĂ©s eux-mĂȘmes. Pour soutenir leur mission, le Pape GrĂ©goire IX intervint le 1er fĂ©vrier 1230, adressant la bulle Si Ordinis Fratrum Minorum aux Patriarches latins dâOrient afin quâils accueillent les frĂšres avec bienveillance, reconnaissant ainsi officiellement leur droit dâagir dans les territoires dâOutre-Mer.
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Lâune des premiĂšres activitĂ©s entreprises par les FrĂšres mineurs dans la ville de Saint-Jean-dâAcre fut lâannonce de lâĂvangile aux non-chrĂ©tiens, notamment aux musulmans.
Dans le cadre juridique du Royaume latin de JĂ©rusalem sâappliquaient les consuetudines terrae, un ensemble de rĂšgles coutumiĂšres Ă valeur lĂ©gislative rĂ©gissant divers aspects de la vie sociale, Ă©conomique et juridique du Royaume croisĂ©. Parmi ces dispositions, lâune revĂȘtait une importance particuliĂšre pour lâorganisation sociale de lâĂ©poque : elle stipulait que les serviteurs â majoritairement de confession musulmane â devenaient immĂ©diatement des hommes libres (ipso facto), dĂšs lors quâils choisissaient librement de se convertir Ă la foi chrĂ©tienne. Cette rĂšgle se montrait en rĂ©alitĂ© problĂ©matique pour les Seigneurs croisĂ©s, dont lâintĂ©rĂȘt Ă©vident Ă©tait de prĂ©server leur main-dâĆuvre servile.
AprĂšs le retour en Italie du frĂšre Elie et de son successeur, frĂšre Luca, la direction de la Province dâOutre-Mer fut confiĂ©e Ă une figure marquante, bien que peu connue aujourdâhui : le Bienheureux frĂšre Benedetto Sinigardi dâArezzo. Son Ćuvre sâavĂ©ra dĂ©terminante pour la diffusion de lâOrdre franciscain dans les territoires occupĂ©s par les croisĂ©s, ainsi que dans les rĂ©gions de lâEmpire Byzantin alors sous domination latine. Benedetto contribua de maniĂšre significative Ă structurer et consolider la prĂ©sence franciscaine en Terre sainte, dans un contexte Ă la fois complexe et instable.
Cependant, avec la chute du second Royaume latin en 1291 et la prise de Saint-Jean-dâAcre par la premiĂšre des deux dynasties mameloukes, les FrĂšres mineurs furent contraints dâabandonner la ville. Aux cĂŽtĂ©s des autres exilĂ©s chrĂ©tiens, ils se rĂ©fugiĂšrent sur lâĂźle de Chypre, qui reprĂ©sentait alors le bastion le plus proche et le plus sĂ»r du monde chrĂ©tien. Le siĂšge de la Province dâOutre-Mer fut donc transfĂ©rĂ© sur cette Ăźle, oĂč les franciscains poursuivirent leur mission durant plusieurs annĂ©es, tout en nourrissant lâardent dĂ©sir de revenir sur les Lieux Saints et de rĂ©tablir une prĂ©sence stable en Terre sainte.
Fr. Eduardo Masseo â Historien, Custodie de Terre Sainte
Une premiĂšre possibilitĂ© de retour stable des FrĂšres mineurs en Terre sainte se concrĂ©tisa grĂące Ă lâintervention diplomatique de Jacques II dâAragon, souverain particuliĂšrement attentif aux questions religieuses et orientales, et Ă©galement pĂšre de Sancia de Majorque. Dans le cadre de sa politique Ă©trangĂšre, Jacques II entreprit de nombreuses dĂ©marches diplomatiques visant Ă rĂ©tablir des relations avec les autoritĂ©s musulmanes de la rĂ©gion. En particulier, lors de lâune des six ambassades envoyĂ©es auprĂšs du sultan mamelouk dâĂgypte, le roi formula explicitement la demande que les FrĂšres mineurs obtiennent la permission de sâinstaller durablement au sein de lâenceinte du Saint-SĂ©pulcre.
Un dĂ©veloppement significatif eut lieu dans les annĂ©es qui suivirent, grĂące Ă lâaction diplomatique de Sancia de Majorque, fille de Jacques II. La souveraine obtint du sultan al-NÄáčŁir Muáž„ammad lâautorisation dâacquĂ©rir le complexe du Saint-CĂ©nacle, Ă JĂ©rusalem. ParallĂšlement, elle adressa au Pape ClĂ©ment VI une requĂȘte visant Ă confier officiellement aux FrĂšres mineurs la garde permanente du site, jetant ainsi les fondations institutionnelles de ce qui allait devenir la future Custodie de Terre Sainte.
Fr. Eduardo Masseo â Historien, Custodie de Terre Sainte
Câest grĂące Ă lâintercession dĂ©terminante de Sancia de Majorque, fille de Jacques II dâAragon et fervente protectrice de lâOrdre des FrĂšres mineurs, quâune avancĂ©e majeure fut accomplie dans le processus dâinstitutionnalisation de la prĂ©sence franciscaine dans les Lieux Saints. Ă la suite de ses insistantes dĂ©marches, le Pape ClĂ©ment VI promulgua, le 21 novembre 1342, deux bulles pontificales â Nuper carissimae et Gratiam agimus â visant Ă dĂ©finir et Ă encadrer officiellement la mission des FrĂšres mineurs en Terre Sainte.
Ces deux documents, promulguĂ©s simultanĂ©ment, constituent lâacte juridique fondateur de la Custodie de Terre sainte et consacrent officiellement la mission confiĂ©e aux franciscains : veiller Ă la garde et au service liturgique des principaux lieux saints de la chrĂ©tientĂ© en Orient. DĂšs lors, les frĂšres mineurs furent reconnus comme les reprĂ©sentants lĂ©gitimes du Pape dans les Lieux Saints et les gardiens institutionnels des sanctuaires chrĂ©tiens, mandatĂ©s jusquâĂ ce jour, sans interruption, en dĂ©pit des profonds bouleversements politiques, religieux et culturels survenus au fil des siĂšcles.