
Trente ans après l’assassinat d’Yitzhak Rabin, Tel-Aviv a replongé, l’espace d’une soirée, dans le rêve blessé d’une paix possible.
Après cinq ans d’interruption, une grande commémoration faisant mémoire du Premier Ministre Yitzhak Rabin, assassiné il y a 30 ans le 4 novembre 1995, s’est tenue à Tel Aviv aux abords de la place qui porte désormais son nom. Les organisateurs ont revendiqué plus de 80 000 participants — certains allant jusqu’à 150 000 — massés bien au-delà de l’esplanade, écrans géants pour soutenir leur participation.
Une foule qui crie « paix »
La cérémonie s’est ouverte sur des images d’archives de Rabin promettant « a chance for peace », une chance pour la paix, et s’est close sur Shir LaShalom (Un chant pour la paix) repris par la foule — le même chant que le Premier ministre interpréta quelques minutes avant d’être abattu en 1995.
Au pupitre, l’opposition a donné le ton. Yair Lapid : « Un homme a été assassiné ; notre tâche est de faire vivre son idée », a-t-il lancé avant d’étriller les extrémismes : « Ils transforment le judaïsme en violence, meurtre, haine fraternelle… Ceux qui le déforment et en font une politique de haine et de violence… ces gens siègent aujourd’hui au gouvernement. » Il poursuivait : « Yigal Amir n’est pas le judaïsme. Le racisme violent d’Itamar Ben-Gvir n’est pas le judaïsme. » Ces phrases ont déclenché de longs applaudissements.
Yair Golan, chef du parti Les Démocrates, a relié le présent au passé : « L’écho de ces trois coups de feu ne s’est pas éteint ». « Chaque fois que des patriotes sont traités de ‘traîtres’… ces mêmes coups résonnent encore. »
Lire aussi →Avi Dabush, rabbin et survivant du 7-Octobre: « Je crois »
Gadi Eisenkot, ancien chef d’état-major, a des on côté prévenu : « L’assassinat de Rabin fut la conséquence directe de la polarisation et de l’incitation à la haine… le même signal d’alarme clignote encore aujourd’hui devant nous » et il a appelé à une commission d’enquête d’État sur le 7 octobre ainsi qu’à une loi de conscription universelle : « Les soldats ont accompli et continuent d’accomplir leur devoir. À présent, c’est à nous de remplir le nôtre. »
Moments d’émotion avec Gadi Mozes, ex-otage de Nir Oz : « Si Yitzhak Rabin était Premier ministre aujourd’hui, personne n’aurait été laissé pour compte… Il n’aurait pas dormi tant que tout le monde n’aurait pas été ramené chez soi. » Et d’ajouter : « Nous pouvons au moins tenter de parvenir à un accord avec les Palestiniens, la Syrie et le Liban. Il est bon de vivre pour notre terre, et nous ne devons ménager aucun effort pour que nos enfants et petits-enfants ne connaissent pas la guerre. »
Des absences qui parlent
Aucun membre du gouvernement n’est monté sur scène. Benjamin Netanyahu a refusé de venir et le Président de la Knesset, Amir Ohana, a annulé sa participation.
Alors, reste-t-il une place pour la paix ? Les slogans, les chants, les dizaines de milliers de participants et les mots prononcés disent qu’une demande sociétale de paix existe, tenace, malgré la polarisation et l’usure de la guerre. Lapid l’a formulé en termes moraux (refus de la haine au nom du judaïsme) ; Eisenkot, en termes institutionnels (responsabilité, enquête, service partagé) ; Golan, en termes démocratiques (refus de l’intimidation) ; Mozes, en termes humains et diplomatiques (vivre, négocier, ramener les siens).
Trente ans après Rabin, la paix n’a plus de majorité politique, mais elle a encore un certain nombre de consciences prêtes à se rassembler et à nommer les dérives. Cette soirée à Tel-Aviv n’a pas refermé les plaies. Surtout pas chez les Palestiniens qui n’ont pas entendu les discours qu’ils attendent.
Mais dans le contexte, c’est en Israël qu’elle elle a ré-ouvert l’horizon pour quelques-uns. Et après deux ans de déchaînement d’expression de la haine, une foule a chanté « Shir LaShalom » sans baisser la tête. Il reste une place — fragile, disputée, mais réelle — pour la paix en Israël.
—-
Sources clés : The Times of Israel, « ‘The shots still resonate’: 80,000 mourn at protest rally 30 years after Rabin’s murder » et « Ahead of Rabin memorial rally, son says Israeli leaders reignite hatred and division »


