Professeur et agriculteur, Nidal Abdel Jabbar Mahmoud Kittani cultive l’amour du savoir et les terrains hérités de son père à Nazla El Gharbiyye, près de Tulkarem. En espérant réussir l’examen que lui prépare le Maître…
Ici, c’est la Palestine. Citronniers, orangers, oliviers ornent cette terre fertile où défile l’heureux cortège des saisons, avec leur lot de soleils et de pluies qui ont rythmé la vie de générations d’agriculteurs. La pimpante Netanya, cette ville israélienne de plages et de business, n’est qu’à vingt kilomètres, mais comme elle semble loin. Un checkpoint a été passé… Ici, les routes sinueuses sont creusées par les nids de poule et les gamins jouent au ballon devant des maisons toutes blanches dont les cours sont soigneusement cachées.
C’est dans ce coin du nord de la Cisjordanie encore préservé des colons et de l’armée israéliennes que vit Nidal Abdel Jabbar Mahmoud Kittani. Un homme doux et modeste qui sourit timidement dans sa moustache en racontant les deux passions de sa vie : planter les semences dans la terre, et le savoir dans les esprits. Proviseur dans un collège de 300 garçons et propriétaire de huit kilomètres carrés de terrain, ce cinquantenaire a vécu toute son existence à Nazla Al Gharbiyye. Un hameau d’un millier d’âmes où chaque voisin est… un cousin. « Notre arrière-grand-père a fondé trois villages : Nazla Al Gharbiyye, Nazla Al Wasta et Nazla Al Sharqiyye. Il en a ensuite attribué équitablement les terres à ses fils. Notre héritage est sous nos pieds », raconte Nidal en parquant sa vieille voiture devant chez lui. Ce sol fertile aide les descendants du patriarche à assurer une vie décente à leurs familles, car les salaires sont maigres dans cette Cisjordanie étranglée économiquement. Père de six enfants, Nidal gagne moins du tiers du salaire moyen israélien pour un poste à responsabilités, et Dieu sait si le coût de la vie est élevé ici.
De cette lutte quotidienne, le visiteur ne verra rien. C’est qu’il faut accueillir, réjouir, nourrir, honorer, celle qui a osé s’aventurer ici – depuis Israël ! . Venues tout exprès, pas moins de dix matrones palestiniennes majestueusement drapées de leurs voiles devisent gaiement autour d’un verre de café brûlant dans le salon glacial de la demeure familiale. Elles ne manqueront pas une miette de l’interview du maître des lieux, y mêlant anecdotes et bons mots avec goguenardise. Et comme on ne travaille pas le ventre vide, un énorme maqloubeh, ce plat traditionnel de riz, légumes et viande, a été concocté par Afaf, l’épouse de Nidal. Une femme généreuse aux doigts noueux, qui glissera au détour de la conversation être titulaire d’une maîtrise universitaire en mathématiques. Faute d’avoir trouvé un emploi correspondant à ses compétences, elle gère aujourd’hui un petit magasin, « mais ça ne fait rien. Avoir découvert la beauté de l’algèbre, de la géométrie, suffit à mon bonheur ». Une soif de connaissance partagée par Nidal lui aussi diplômé d’université, et par une immense majorité de Palestiniens conscients de l’indestructibilité de ce trésor : le savoir.
Que représente Dieu pour vous ?
Il est le Sanctuaire, Celui qui facilite nos vies en toutes situations. Cela, je l’ai compris après avoir été emprisonné deux ans pour avoir lancé des pierres lors de la Première Intifada. Pour instruire l’adolescent que j’étais, mes codétenus se sont transformés en enseignants, les murs en tableaux noirs : entre les barreaux, j’ai vu la lumière. Un mois après ma libération, j’ai passé le bac haut la main, et j’étais devenu un homme meilleur. La punition était un cadeau…
Vous n’avez donc jamais éprouvé de colère envers Lui ?
Non, car Sa Toute-Puissance n’enlève rien à la responsabilité des humains. Imaginez Dieu comme un professeur. Il connaît ses élèves : il sait à l’avance qui échouera et qui réussira à l’examen, parce qu’il connaît parfaitement le niveau de préparation de chacun. Quand nous passons le grand test de la vie avec Dieu, Il ne nous dit pas comment répondre, car c’est notre responsabilité, mais Il connaît déjà le résultat. Et Il est Celui qui punit et qui récompense.
Comment vous adressez-vous à Lui ?
Outre les cinq prières quotidiennes, je Le remercie toujours pour les cadeaux dont Il m’a béni. Et lorsque je traverse une crise, je Lui demande de me guider juste avant de dormir. Pendant la nuit, Dieu trouve les solutions. Il répond toujours. Parfois, plus tard ou de façon différente que ce que j’espérais, mais Il ne m’a jamais abandonné.
Où en êtes-vous aujourd’hui dans votre vie spirituelle ?
Mes études en sciences islamiques m’ont permis de transformer ma prière. Hier, elle était une habitude ; aujourd’hui, elle est grâce et joie car j’ai touché la grandeur de Dieu. Cette sublime rencontre nourrit abondamment mon élan vers le bien.