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Frères et mineurs pour être des témoins de dialogue et de paix

Alessandro Caspoli
30 juin 2025
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Chrétiens et juifs prêts à offrir de l'eau et des dates pour la rupture du jeûne de Rmadan, Porte Neuve de la vieille ville de Jérusalem©Filippo De Grazia/CTS

Dans la première interview qu’il a accordée au site officiel de la Custodie, le nouveau Custode Frère Francesco Ielpo laisse entendre quelques mots clés qui pourraient marquer sa mission : fraternité, garder (à l’image de saint Joseph), synodalité, témoigner, dialoguer…


Le Frère Francesco Ielpo, nommé Custode de Terre Sainte par Sa Sainteté le Pape Léon XIV mardi 24 juin, a donné sa première interview au site officiel de la Custodie.

Dans un été qui s’annonce chargé, il a été joint par téléphone, alors qu’il était encore plongé dans ses obligations de Visiteur général des provinces franciscaines de Campanie, Basilicate et Calabre en Italie.

Il est attendu, dans la 2e quinzaine de juillet à Jérusalem pour y commencer son service à plein temps en tant que Custode de Terre Sainte.

Frère Francesco, que signifie être franciscain aujourd’hui ?

Je réponds comme saint François : lorsqu’on lui posait cette question, il indiquait les caractéristiques propres à dix frères différents. C’est comme s’il disait que le vrai frère mineur aujourd’hui est une fraternité et que seule une fraternité peut incarner pleinement le charisme franciscain.

Le mot « fraternité » me tient particulièrement à cœur. Être franciscain aujourd’hui, en Terre Sainte, c’est avant tout être une fraternité au sein de la Custodie : c’est le premier message que nous transmet saint François dans la ’Règle sans bulle’ au Chapitre XVI.

En ces premiers jours, je me rends compte de l’importance que revêt la nomination du nouveau Custode de Terre Sainte. Cependant, je suis un être humain, une personne qui a ses limites et ses fragilités, ses misères, et qui s’efforce de répondre à sa vocation.

De plus, notre mission en tant que franciscains ne s’incarne pas dans la figure du Custode, mais plutôt dans le zèle de 200 frères qui se sacrifient jour après jour, donnent leur vie et poursuivent leur mission avec dévouement, dans le silence, parfois même dans l’ombre.

C’est donc cette « fraternité » qui fait vivre la Custodie de Terre Sainte.

Que signifie aujourd’hui « garder les Lieux saints » pour un franciscain ?

Garder. C’est un verbe qui m’a beaucoup fait réfléchir au cours de toutes ces années de service comme Commissaire d’abord, puis comme Délégué du Custode.

Garder, protéger, sont des verbes importants même d’un point de vue biblique, et le premier parallèle qui me vient à l’esprit est la protection que saint Joseph assure à la Sainte Famille.

Je crois que le modèle dont nous devons nous inspirer est précisément celui de saint Joseph, lequel doit veiller sur quelque chose qui ne lui appartient pas, quelque chose qu’il n’a pas engendré. Néanmoins, il est appelé à donner sa vie, à garder, à protéger, à faire grandir, à aimer ce qu’il y a de plus précieux, l’Enfant Jésus et sa Mère, qui pourtant ne lui appartiennent pas.

Garder, c’est donner entièrement notre vie pour quelque chose qui n’est pas à nous, qui ne nous appartient pas, mais qui nous a été confié.

Mais outre la garde des Lieux saints et des pierres vivantes qui les habitent, il y a un deuxième aspect lié au verbe « garder » : je me sens fortement appelé à garder ma vocation, la vocation des frères. En effet, sans la garde de notre vocation, notre service perdrait tout son sens et toute sa signification.

Quels sont les défis les plus importants que doit relever aujourd’hui la présence franciscaine en Terre Sainte ?

Je suis en poste depuis quelques jours seulement et, si je dois répondre à chaud, sans trop y avoir réfléchi, je dirais que j’aimerais aborder et analyser les défis les plus urgents avec les frères qui vivent depuis plus longtemps dans la région et qui ont vécu directement ces moments difficiles et dramatiques.

Le premier défi consiste à aborder ces enjeux avec une grande humilité et de discerner ensemble, de lire ensemble les signes des temps pour saisir ce que le Seigneur nous demande en priorité en ce moment.

Il y a donc un défi de synodalité entre nous, qui devient aussi un premier témoignage, puis une solidarité avec les fidèles et le peuple.

Vient ensuite, le défi de la paix: être une présence pacifiée et pacificatrice, humble et silencieuse, mais capable d’exprimer une autre façon de vivre et d’affronter les conflits.

À cela viennent s’ajouter l’urgence caritative, les besoins matériels des gens, et enfin le grand défi de l’éducation auquel la Custodie a toujours été appelée à répondre.

Il sera donc essentiel de commencer par une lecture commune, plutôt que de partir du principe que nous connaissons déjà les priorités.

De votre vie et de votre expérience en tant que frère mineur, quel bagage apportez-vous au rôle que vous vous apprêtez à assumer en tant que Custode ?

En repensant chronologiquement à ma vocation et à ce que l’obéissance m’a exigé, je me sens certainement redevable à mon histoire.

J’emporte avec moi un bagage important issu de mes années d’enseignement, du contact avec le monde des jeunes et le monde scolaire.

J’y ai appris que dans tout ce que l’on entreprend, tant du point de vue pastoral que social, il doit toujours y avoir un objectif pédagogique, une intention formatrice.

Mon expérience de curé m’a appris à aimer l’Église. Lorsque je suis devenu curé, je me suis dit que, même si j’avais étudié la théologie et travaillé dans le domaine de l’éducation, je n’avais pas encore une vision claire de l’Église.

J’ai appris que nous devons toujours nous demander quelle idée nous nous faisons de l’Église, du peuple de Dieu, de la communauté, et de la place que nous y occupons.

Frère Francesco, en 2023, à Paris, en réunion autour du projet du Terra Sancta Museum ©Terra Sancta Museum

Ce service dans la Custodie a été inattendu. À deux reprises, j’ai demandé à partir en mission en Afrique. J’aurais pu partir en 2013, mais, au même moment, on m’a proposé d’être Commissaire de Terre Sainte pour la Lombardie.

Je n’y avais jamais pensé et je n’avais jamais souhaité travailler pour la Terre Sainte… J’ai accepté la proposition du Commissariat parce que je partais du principe que ce qui m’est proposé est toujours mieux que ce que j’ai en tête.

C’est ainsi que j’ai découvert le monde de la Terre Sainte, de la Custodie et des frères.

Qu’est-ce que cela m’a appris ? La plus grande leçon de ma vie personnelle et de ma vie de frère franciscain a été de retomber amoureux de Jésus, de retomber amoureux de l’Évangile et surtout de l’humanité du Christ.

La Terre Sainte m’a appris que le Verbe s’est fait chair, qu’Il est une présence réelle, concrète, qu’Il a pleuré dans ce berceau, qu’Il s’est sali, que Marie lui a changé ses couches, comme nous le rappelle l’hymne que nous chantons lors de la procession de midi à Bethléem.

Cette expérience m’a ouvert l’esprit, m’a ouvert à la communauté internationale et interculturelle. Notamment au cours de ces années passées à Rome.

À table, je suis le seul Italien, et je regarde les visages de ces frères de différentes nationalités : Chine, États-Unis, Pologne, Pérou, Vietnam et autres… Je les regarde et je me rends compte que ce qui nous unit, c’est que nous avons tous été appelés par le même Seigneur et que nous professons tous la même Règle franciscaine : c’est l’essence même de notre vie.

Dans ce monde déchiré par les guerres, quel peut être le message de Saint François d’Assise et de ses disciples ?

Je suis conscient que quand on se trouve en difficulté, quand on vit sous les bombes, quand on voit les injustices, quand on a le cœur brisé en voyant des enfants mourir de faim, quand on est témoin des atrocités commises par les terroristes, il y a une différence entre ce que l’on dit et la réalité de tous les jours.

Ceci dit, nous sommes tous appelés à garder (ce mot revient encore une fois !) un cœur capable de regarder la réalité comme le Christ la regarde, c’est-à-dire sans ennemis.

Et ce n’est pas facile !

Sans prendre parti, mais avec un cœur qui ne renonce pas à l’idée que l’on peut être frères, que l’on peut entrer en dialogue les uns avec les autres.

Il doit y avoir une possibilité pour chacun !

Et en disant cela, je me rends compte que ce ne sont peut-être que de belles paroles, de belles théories, mais que la réalité quotidienne est tout autre.

Nous devons nous aider mutuellement à cultiver la vision de saint François, celle qu’il avait lorsqu’il s’est présenté devant le Sultan ou devant le Cardinal délégué à qui il demandait la permission de quitter le campement.

Un regard désarmant, parce qu’il se souciait du bien de l’autre, du salut de l’autre, même de celui qui, à ce moment-là, semblait être l’ennemi.

Y a-t-il des mots clés que vous aimeriez faire vôtres pour vous adresser aux frères et à ceux qui aiment la Terre Sainte ?

Je fais miennes les paroles de la tradition franciscaine et de la présence des frères en Terre Sainte : frères et mineurs pour être des témoins de dialogue et de paix.

Et pour conclure, je voudrais inviter tout le monde à ne jamais oublier de prier et de mendier la paix, non seulement pour la Terre Sainte, mais aussi pour les plus de 50 conflits qui sévissent dans le monde aujourd’hui.

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