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Francesco Ielpo: « “Être proche” est peut-être le plus grand travail »

Propos recueillis par Giuseppe Caffulli
15 septembre 2025
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Le sceau. Lors de la célébration qui a suivi son entrée solennelle dans Jérusalem, le nouveau custode s'est vu remis par le custode sortant Francesco Patton, le sceau de gardien du Mont-Sion et du Saint-Sépulcre ©Francesco Guaraldi/CTS

Début juillet, Giuseppe Caffulli a pu s’entretenir avec Francesco Ielpo (55 ans), nouveau custode de Terre Sainte. Dans cet entretien, il évoque ses liens déjà forts avec la géographie de l’Évangile et avec les nombreux peuples qui l’habitent.


Frère Francesco, vous avez été choisi pour devenir le nouveau custode de Terre Sainte, pourtant, vous n’êtes pas de la province de la Custodie. Quel est votre lien personnel avec la Terre Sainte ?

À dire vrai, dans le passé, je n’ai jamais ressenti d’attirance particulière pour la Terre Sainte, même si je savais que les frères y étaient présents depuis les origines de notre Ordre. J’avais plutôt un désir missionnaire. Je suis entré au couvent alors que j’étais étudiant en médecine à l’université de Milan.

Pendant les années de profession temporaire, le provincial m’a envoyé trois mois en Afrique pour une expérience dans un contexte hospitalier avec un de nos confrères médecin, d’abord au Kenya, puis en Ouganda et en Tanzanie. Il était alors envisagé, qu’après la théologie, je poursuive mes études de médecine. Mais finalement, ma vie s’est orientée vers le monde de l’école et de l’éducation pendant seize ans, à Brescia, dans un établissement dirigé par les frères mineurs.

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Une fois cette expérience terminée, j’ai été curé pendant trois ans à Varèse. À la fin de ce triennat, après une expérience de quelques mois à Djibouti avec l’évêque franciscain Mgr Giorgio Bertin, j’ai demandé à être envoyé pour l’aider dans son apostolat de la charité et de l’enseignement. La réponse du ministre provincial de l’époque ne fut pas négative… Mais tout en m’accordant la possibilité de partir en mission, il me proposa d’assumer la charge de Commissaire de Terre Sainte pour la Lombardie.

Il me semble que c’était en 2013

Oui. J’ai toujours pensé que, dans la vie religieuse, ce qui t’est proposé est plus intéressant, ou peut-être plus conforme à la volonté de Dieu, que ce que toi tu as en tête. Malgré le feu vert pour partir en Afrique, j’ai jugé plus opportun et plus conforme à ma vocation d’accepter la proposition du Commissariat. C’est alors que s’est ouvert un monde que je ne connaissais pas.

Nouveaux martyrs de Damas. Durant son premier voyage en Syrie, le nouveau custode a voulu visiter le site de l’attentat du 22 juin et les familles endeuillées de la paroisse orthodoxe Saint-Élie. ©Katia Razzouk

L’imprévu a surgi dans ma vie et m’a fait découvrir un aspect de notre charisme de frères mineurs vraiment intéressant ; cela m’a profondément fait grandir, car la Terre Sainte m’a fait retomber amoureux de l’Évangile. Un Évangile que j’avais étudié, que je prêchais, que j’annonçais, mais là, c’était comme si cet Évangile devenait vivant, prenant la forme d’une géographie.

C’est une expérience commune à beaucoup de pèlerins…

En effet, je me suis toujours senti pèlerin parmi les pèlerins, tandis que grandissait en moi la passion pour ce Jésus, vrai homme. Un épisode m’a marqué : lors de la procession quotidienne que les frères conduisent chaque midi à Bethléem, dans la basilique de la Nativité, on arrive à la grotte et il y a un hymne à Marie qui a donné naissance à Jésus. Ici, Marie le soignait, ici elle l’allaitait, dit l’hymne. Puis il y a une phrase, en latin bien sûr, qui dit : “C’est ici même qu’elle lui changeait les langes…”

Tous les dix mètres en Terre Sainte, on se heurte à l’humanité de Jésus, à un Dieu qui s’est fait chair. C’est le plus grand gain de mon expérience spirituelle. Et puis un lien profond s’est créé avec de nombreux frères de la Custodie et avec beaucoup de chrétiens de Terre Sainte.

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Au fil de nombreux voyages, dans tous mes déplacements, nous sommes devenus proches. En somme, en Terre Sainte il y a l’aspect biblique, spirituel, la valeur des Lieux saints, cela est incontournable… Mais aussi la valeur de ces rencontres qui nous rappellent un Dieu qui se fait chair dans une histoire humaine. Aujourd’hui, on porte une grande attention aux souffrances du peuple palestinien à Gaza.

Mais il ne faut pas oublier le Liban, la Syrie…

Je ressens fortement cette attention. Je perçois une attente qui, pour nous franciscains, se traduit avant tout, plus encore que par des paroles, par une présence. Ce qui m’a toujours frappé dans la Custodie de Terre Sainte au fil de ces années de service — qui coïncident aussi avec des années de guerre, depuis la guerre en Syrie jusqu’aux conflits récents — c’est que dans chaque circonstance et dans chaque situation, les frères sont restés. En ce sens, nous sommes une voix qui crie, qui hurle, qui se tient aux côtés des gens.

Nous n’avons pas toujours les solutions, en réalité nous ne les avons presque jamais. Mais le simple “être aux côtés” est peut-être l’œuvre la plus grande.

Lors d’un voyage au Liban, il y a quelques années, je suis allé voir une famille de réfugiés chrétiens de Terre Sainte et de syriens qui avait fui sa terre. Elle avait trouvé refuge près du couvent que nous avons à Harissa. Le plus jeune fils avait alors quatre ans mais ne parlait plus ; il était en grande détresse psychologique, traumatisé par les bombardements. Avant de quitter cette famille, j’ai voulu prier avec eux. À ce moment-là, l’enfant a laissé ses jeux et s’est joint à nous en silence. J’ai été profondément ému.

Rencontre. Les fidèles à Alep se pressent pour saluer le custode et lui dire la reconnaissance qu’ils ont pour l’œuvre des franciscains en Syrie. Paroisse Saint-François – Alep/CTS

Face à une douleur si grande, face aux scènes que nous voyons aujourd’hui venir de Gaza des enfants sans nourriture ni avenir face à la douleur des familles qui ont perdu des proches lors de l’attentat du 7-Octobre, ou qui attendent encore la libération des otages aux mains des terroristes… Face à tout cela, à cette spirale de haine, que pouvons-nous faire ? Pour reprendre les mots de l’Évangile : pleurer avec ceux qui pleurent.

Ces dernières années, tant mon prédécesseur, frère Francesco Patton, que le vicaire custodial, frère Ibrahim Faltas, n’ont jamais cessé d’invoquer et de travailler pour la paix, devenant un point de référence pour nous les frères, mais aussi pour les toutes les régions du monde. Je les en remercie du fond du cœur.

L’engagement de la Custodie dans les œuvres sociales est impressionnant : les écoles, l’assistance aux plus vulnérables, le soutien aux familles, la formation…

La question éducative a toujours accompagné ma vocation et ma sensibilité. L’avenir se joue principalement dans les écoles, dans la formation, dans l’éducation, qui pour nous en Terre Sainte s’exprime à travers les écoles, mais aussi les paroisses. Ces deux grandes institutions sont vraiment le cadre dans lequel peut se construire un avenir différent.

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Cela dit, d’après ce que je sais, ce que je vois, ce que je devine, il y a un grand risque auquel il faut être particulièrement attentif : que notre cœur reste pris dans le filet de l’identification d’un ennemi. Quand des injustices et des actes d’inhumanité se produisent d’un côté comme de l’autre, il devient difficile de garder un cœur pacifié et donc pacifiant. Je vois là le plus grand défi.

En Terre Sainte, on trouve pratiquement toutes les confessions chrétiennes. Comment percevez-vous aujourd’hui le cheminement œcuménique ?

À l’occasion de ma nomination, j’ai reçu les félicitations du patriarche arménien de Jérusalem, Nourhan Manougian, qui a eu des paroles empreintes d’une véritable paternité évangélique. Dans son message, il a mis en lumière un aspect que je partage pleinement : en ce moment historique, la communion entre nous, chrétiens, est la première source d’espérance.

La Custodie a toujours avancé aux côtés des autres confessions chrétiennes, et en particulier de celles avec lesquelles elle partage la garde et la préservation du Saint-Sépulcre et de la basilique de la Nativité à Bethléem. Les gestes et signes d’unité entre nous, de fraternité, sont plus que jamais indispensables. Sans cela, au-delà des différences qui nous caractérisent, ce serait un témoignage contraire à l’Évangile.

La Custodie mène un travail important lié aux disciplines bibliques, à l’archéologie, à l’apostolat culturel, ce qui permet des relations avec des institutions du monde entier… Je crois que cest un engagement très important dans l’histoire récente de la Custodie. La recherche scientifique et archéologique menée par d’illustres professears qui ont marqué l’histoire de l’archéologie biblique en Terre Sainte devient un facteur de rencontre, et donc de dialogue, avec le monde et la culture juive, mais pas seulement.

Premiers pas. L’entrée dans Jérusalem, accueilli par les franciscains et le clergé des différentes Églises présentes dans la ville sainte marque la prise de fonction du nouveau custode ©Francesco Guaraldi/CTS

Cette terre a toujours été un carrefour de cultures, d’arts, de religions. Les trois grandes religions monothéistes ont toujours dû se rencontrer et se confronter… Un exemple que je trouve particulièrement parlant : le Mosaic Center de Jéricho, voulu par le frère Michele Piccirillo. Les mosaïques traversent toute l’histoire de cette terre et elles sont communes aux cultures romaine, juive, hellénistique, byzantine et islamique….

Dans l’étude et la préservation des mosaïques, on découvre une beauté qui devient un dénominateur commun entre les peuples, les religions et les cultures. La Custodie est aujourd’hui composée de frères venant de nombreux pays..

La Custodie est aujourd’hui composée de frères venant de nombreux pays… Un vrai défi.

Un grand défi ! Celui de la fraternité. Mais c’est aussi une occasion d’annonce et de témoignage. Dans la communauté de la Délégation de la Custodie, à Rome, où j’ai vécu jusqu’à il y a quelques jours, j’étais le seul Italien. Avec moi, il y avait un Congolais, un Polonais, un Syrien, un Irakien, un Chinois, un Philippin, un Vietnamien, un Péruvien, un Colombien… Qu’avons-nous en commun ? Nous avons tous été appelés par le même Seigneur à cette forme de vie et nous avons tous professé la règle de saint François. Cela nous pousse à aller à l’essentiel.

Dans d’autres contextes, où il y a une homogénéité culturelle, il peut y avoir le risque d’identifier le charisme avec la tradition. Dans l’expérience de la Custodie, au contraire, nous devons travailler sur ce qui est essentiel et qui nous unit.

Il y a aussi la responsabilité de garder les Lieux saints...

En Terre Sainte, notre charisme se traduit par une mission spécifique, celle précisément de garder des Lieux saints dans un contexte tout à fait particulier. Cette mission implique de “demeurer”.

Il y a un exemple concret qui m’a toujours frappé : depuis que le mur de séparation entre Israël et la Palestine a été construit (au début des années 2000), notre sanctuaire d’Emmaüs a été pratiquement coupé des circuits de pèlerinages, car il est difficile d’y accéder. En pratique, cela fait vingt ans qu’aucun pèlerin ne s’est rendu en ce lieu. Et pourtant, deux confrères y “demeurent” de façon permanente.

Dans une perspective de foi, il n’existe pas le temps de l’homme moderne, qui doit voir une réalisation immédiate. Nous demeurons en ce lieu pour garder une mémoire, parce qu’un jour viendra où les pèlerins reviendront. Le temps de Dieu n’est pas le temps des hommes.

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