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Être chrétien maronite et ancien soldat libanais

Fanny Houvenaeghel
30 janvier 2013
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Saed est un chrétien maronite, il est né au Liban mais il est citoyen israélien. Une identité difficile à vivre pour cet ancien soldat de l’Armée du Liban Sud alliée aux Israéliens durant la guerre du Liban.


Saed fait partie des 10 000 chrétiens maronites qui vivent en Israël 1. Mais plus précisément, Saed est originaire du Liban, et cette caractéristique le démarque fortement du reste de la communauté maronite d’Israël 2.
Car si la présence de chrétiens maronites en Terre Sainte est ancestrale, la présence de Libanais maronites ayant pris la citoyenneté israélienne est une exception de l’Histoire.
Afin de faire comprendre la situation complexe dans laquelle se trouvent les Israéliens chrétiens maronites libanais, Saed partage sa vision des choses. Selon lui, la présence des chrétiens maronites libanais en Israël est l’aboutissement de plusieurs décennies d’Histoire ponctuées par des conflits, des alliances, des compromis.
En 1948, la guerre d’indépendance d’Israël entraina l’afflux de milliers de réfugiés palestiniens au Liban, notamment au sud du pays. Peu à peu, les tensions montèrent entre les Palestiniens et les chrétiens maronites, et elles éclatèrent au grand jour pendant la guerre civile libanaise, de 1975 à 1990.

Formation de l’ALS

Les maronites étaient notamment accusés d’avoir perpétré des attentats contre les Palestiniens et de faire peser sur eux leur hégémonie. Dans le même temps, les Palestiniens furent accusés de mener des actions de terreurs contre les maronites. En 1976, afin de protéger les maronites au sud du pays et de sécuriser leurs allées et venues d’une partie à l’autre du Liban, le Président libanais Elias Sarkis demanda au général Saad Haddad de prendre la tête d’une milice libanaise, connue sous le nom d’Armée du Liban Sud (ALS). Celle-ci était principalement composée de chrétiens maronites.
En 1982, l’armée israélienne Tsahal envahit le Liban et poussa les Palestiniens jusqu’à hauteur de Beyrouth. Pendant cette opération, l’Armée du Liban Sud agit main dans la main avec l’armée israélienne. C’est à cette date que se déroula le tristement célèbre massacre des camps de Sabra et Chatila, durant lequel les phalangistes (une milice chrétienne libanaise) et certains membres de l’Armée du Liban Sud se seraient livrés au massacre de Palestiniens (entre 500 et 5 000 selon les estimations), avec la collaboration dite indirecte des Israéliens. Ces derniers sont accusés d’avoir laisser entrer les criminels dans les camps dont ils avaient la garde, et d’avoir illuminé le ciel de fusées éclairantes pour leur faciliter la tâche.
Jusqu’en 2000, les soldats de Tsahal et de l’ALS contrôlèrent le Sud Liban, appelé « zone de sécurité ». À cette date, le premier ministre israélien Ehoud Barak ordonna le retrait de ses troupes du Liban. L’Armée du Liban Sud s’effondra aussitôt, et le Hezbollah prit rapidement le contrôle des positions précédemment tenues par ses ennemis. C’est alors que plus de 2 500 membres de l’ALS émigrèrent en Israël afin d’échapper à la justice libanaise qui les aurait jugés pour collaboration avec l’ennemi. Ils furent accompagnés de leurs familles, élevant le nombre de nouveaux arrivants maronites à environ 7 500. La plupart d’entre eux s’installèrent en Haute-Galilée, aidés par les services sociaux israéliens.
Saed est l’un de ces anciens soldats de l’ALS, dont le regard à lui seul dispense de toute parole. Un silence gênant fait suite à l’évocation de Sabra et Chatila, qui en dit beaucoup sur le passé de cet homme.

Désir d’exil

Aujourd’hui, Saed est, comme tous ses semblables, relativement bien intégré au sein de la société israélienne. Il travaille dans le bâtiment et mène une vie paisible avec sa famille. Cependant, l’homme ne cache pas ses états d’âme. Selon lui, la situation des chrétiens maronites libanais est triplement délicate : tandis que les juifs voient en eux des arabes, les musulmans voient en eux des chrétiens et les Palestiniens les identifient à des traitres…
« J’aimerais partir en Europe ou dans un pays chrétien, cesser d’être une minorité dans la minorité et critiqué de tous les côtés », confie-t-il.
En 2006 le comité des finances de la Knesset avait approuvé le paiement, dans les sept années qui suivaient, de 40 000 shekels pour chaque famille des vétérans de l’ALS. Cependant, actuellement, Israël mène une politique d’aide au départ monnayée de ces Libanais, qui représentent un fardeau pour le gouvernement. Il ne reste aujourd’hui que quelque 2 500 maronites originaires du Liban sur le territoire israélien. Beaucoup ont émigré en Europe ou en Australie, et de nombreux civils sont retournés au Liban. Ce n’est pas le cas des anciens militaires, qui risquent gros à leur retour : Saed ne prendra jamais le risque de revenir au pays, où il serait immédiatement jugé pour collaboration avec l’ennemi.
Alors il continue sa vie, pensant à son pays et vivant dans un autre, en attendant peut-être un nouveau sursaut de l’Histoire, qui changerait le cours des choses. n

1. Estimation de Monseigneur Nabil Sayah, archevêque de l’Eglise maronite en Terre Sainte.
2. Pour plus de détails sur la communauté chrétienne maronite en Terre Sainte, lire La Terre Sainte le numéro de mars-avril 2010.

Dernière mise à jour: 30/12/2023 10:55

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