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Paul Collin : un regard d’amour sur une Église de martyrs

Marie-Armelle Beaulieu
30 mai 2010
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Paul Collin : un regard d’amour sur une Église de martyrs
Quand Rosa - à gauche - est arrivée à la messe, elle venait d’apprendre que le visa pour l’Amérique était refusé à sa famille et avec lui évanouis les rêves. ©MAB/CTS

Il n’y a pas de chaldéens en Terre Sainte, - au sens restrictif du terme : Israël - Palestine - ou si peu qu’ils se sont fondus à la chrétienté arabe locale, sauf un. Peut-être parce qu’il n’était pas arabe.
Certainement parce qu’il est le représentant officiel de l’Eglise chaldéenne à Jérusalem : Paul Collin, un Français, breton et malouin ordonné prêtre en Iran dans le rite chaldéen. Rencontre.


Père Paul Collin

Au moment de rencontrer le père Paul Collin exarque patriarcal pour les Chaldéens catholiques en Terre Sainte, je résume l’état de mes connaissances sur cette Église. Si courte soit la rue des chaldéens, où se trouve sa résidence à Jérusalem, le trajet suffit amplement à l’exercice. Les Chaldéens sont les habitants de la Chaldée d’où était originaire le père des croyants Abraham à qui le Seigneur dit au livre de la Genèse « C’est moi qui t’ai fait sortir d’Ur en Chaldée. » (Gn 15, 7). Je sais aussi que Ur et la Chaldée sont situés dans l’Irak actuel et que de nos jours les chrétiens de ce pays sont persécutés.

En présentant l’objet de ma démarche, je m’ouvre au père Paul – le Monseigneur que je lui ai adressé le fait sourire – de mon ignorance aussi a-t-il la gentillesse de commencer par planter le décor historique de cette communauté.

« Depuis l’exil à Babylone (NDLR. La déportation à Babylone des Juifs de Jérusalem et du Royaume de Juda sous Nabuchodonosor II, vers 597 avant Jésus Christ.), il y avait certainement en Mésopotamie une très forte communauté juive. Or, après la mort et la résurrection de Jésus, de même qu’on voit saint Paul prêcher l’évangile aux nombreuses communautés juives d’Occident, de même voit-on une adhésion des communautés juives d’Orient au même message. Cela explique certainement que la langue de l’Église chaldéenne soit l’araméen et que la liturgie soit très proche de la liturgie synagogale.

Le berceau géographique de cette chrétienté chaldéenne c’est la Mésopotamie avec au Nord la Syrie et au Sud la Chaldée. Autrefois, on appelait cette église l’Église de Perse, du nom d’une petite province – Fars – qui fait partie de l’Iran actuel. Mais par Perse, il faut comprendre l’Empire perse qui s’étendait en face de l’Empire romain byzantin. L’Église chaldéenne, l’Église de Perse avait son noyau à Séleucide Ctésiphon (à 30 km au sud-est de la ville actuelle de Bagdad).

Des missionnaires chaldéens sont allés jusqu’en Extrême Orient, on a retrouvé des écritures chaldéennes et chinoises sur des stèles. Et il y a même eu un patriarche chaldéen Mongole. L’Église syro-malankar est née en partie de ce mouvement missionnaire.

Mais mon père, n’êtes-vous pas français ?

Je suis français et breton de Saint Malo.

Comment un breton en vient-il à représenter l’Église chaldéenne en Terre Sainte ?

Dans ma jeunesse je voulais entrer chez les Petits Frères de Jésus et aller en Inde. Je me suis retrouvé au Pakistan occidental. Les Petits Frères estimant que ce n’était pas ma vocation, je suis rentré. J’ai demandé au Seigneur de m’indiquer où il m’appelait et ayant entendu dire qu’il y avait besoin d’aide en Iran, j’y suis parti en 1968. J’ai été ordonné prêtre à Téhéran dans l’Église chaldéenne. Je suis vraiment de rite chaldéen. Je suis resté 17 ans à Téhéran d’où j’ai été expulsé en 1985. Retour difficile à Saint Malo, le plus difficile étant de se retrouver là quand là-bas l’Église passe par de si mauvais moments.

Je suis resté en France jusqu’à ce que Mgr Lustiger me demande d’aller en Israël pour les communautés hébréophones. Je suis donc arrivé en 1987. En 1990, devant remplacer l’exarque patriarcal alors vietnamien, le patriarche chaldéen m’a demandé de lui succéder.

Mais pour quelle communauté ? Y a-t-il des chaldéens en Terre Sainte ?

Qu’entendez-vous par Terre Sainte ?

En l’occurrence le territoire de la Custodie : Israël, Palestine, Jordanie, Liban, Égypte, Syrie. Est-ce votre juridiction ?

Non ma juridiction c’est Israël, les Territoires palestiniens, la Jordanie. La Jordanie accueille un grand nombre de réfugiés chaldéens d’Irak. Et vous touchez un point crucial pour moi. Depuis des années, je dis au Patriarche chaldéen que je ne suis pas la personne ad hoc pour s’occuper de ces chaldéens qui sont sous ma juridiction de fait. Pour deux raisons : d’abord parce que je suis pris à Beersheva comme curé de la paroisse d’expression hébraïque ensuite et surtout je ne connais pas l’arabe. En Iran, j’ai appris le persan or ces fidèles en Jordanie parlent tous arabe. Si je demeure ici c’est que le synode chaldéen désire qu’une présence, ou représentation, demeure à Jérusalem. Je sais que le père Raymond Moussalli s’occupe de cette communauté. Vous devriez aller le visiter car au Moyen Orient, en dehors de l’Irak, l’essentiel de notre communauté est en Jordanie. Ici, il y a bien quelques chaldéens à Haïfa, mais vraiment quelques unités. Autrefois l’évêque latin de Nazareth s’appelait Kaldani, signe de ses origines chaldéennes. Mais à vrai dire, il y a eu au début du XXe siècle, une succession de vicaires patriarcaux puis une vacance du poste très préjudiciable et les chaldéens se sont alors assimilés à une autre Église orientale, l’Église syriaque pour la plupart.

Au moment du synode diocésain de Jérusalem dans les années 2000, il y a des gens qui sont venus me dire « Nous sommes chaldéens ».

Partout où elle est,
à Istanbul sur la photo,
la communauté chaldéenne fait preuve d’un dynamisme que l’Eglise d’Occident pourrait lui envier.

Cela vous arrive-t-il encore de célébrer en rite chaldéen ?

Oui bien sûr, j’aime beaucoup. Je trouve le rite latin trop intellectuel, tellement rationnel que quelque chose me manque. Alors que dans le rite chaldéen, on chante du commencement à la fin et c’est tellement beau, c’est magnifique.

Par ailleurs la liturgie chaldéenne, et moi cela me touche beaucoup, est très proche du rite synagogal. Par exemple la prière eucharistique en chaldéen cela se dit Koudasha. Les orientalistes traduisent cela par consécration, mais ce n’est pas cela, c’est Qoudashat HaSchem, la sanctification du Nom, parce que la prière eucharistique commence par le Kadish juif, « qu’il soit exalté, glorifié, béni, honoré le Nom – ha Shem ». C’est le socle sur laquelle la prière eucharistique se développe – « Le Nom de la Trinité bienheureuse », et pour que ce soit encore plus clair, « Père, Fils et saint Esprit. » C’est vraiment très proche et on sent les racines juives de la prière et de la foi.

La structure du temps liturgique chaldéen est aussi très proche de celle du judaïsme. Prenons par exemple le jeûne des Ninivites chez les chaldéens. Trois jours de jeûne de pénitence etc. c’est exactement le Yom Kippour, le Grand pardon. Et comme à Yom Kippour on lit le livre de Jonas, chez les Chaldéens le jeûne des Ninivites c’est le livre de Jonas car ils vivent à Ninive – aujourd’hui Ninwa dans les faubourgs de Mossoul en Irak.

De même nous faisons une distinction très nette entre Pasha, Pâque, le jeudi saint, et Qiamta, le jour de la Résurrection.

Les chrétiens d’Irak estimés à 636 000 en 2005, dont les 9/10e sont chaldéens, étaient encore un million en 1980 ; leur survie est compromise. Famille irakienne exilée en Turquie.

 

On vous sent passionné de cette Église…

C’est la mienne. Et elle a une caractéristique toute particulière. Dans cette région du monde, il n’y a jamais eu d’ère constantinienne, de paix romaine, de moment où l’Église a pu bénéficier d’une reconnaissance du pouvoir civil. En fait cela n’existe pas dans l’Église d’Orient. Les Églises orientales ont continuellement vécu dans l’adversité, avec une alternance de périodes de calme et de persécution. Il y a eu des persécutions terribles du temps des Sassanides quand le zoroastrisme était leur religion (NDLR. Les Sassanides régnèrent sur l’Iran de 224 jusqu’à l’invasion musulmane des Arabes en 651), et depuis la naissance de l’Islam.

C’est une Église de confesseurs, dans le sens de confesseurs de la foi et on le sent dans l’expression de la foi de l’Église chaldéenne.

C’est une Église encore une fois de confesseurs.

En Israël, on critique le gouvernement. Mais du moins est-on libre de le faire et on devrait au moins le lui reconnaitre car en Iran et en Irak, vous ne pouvez rien dire, vous êtes vraiment sous la pression de l’islam. Je ne nie pas qu’il y ait des problèmes en Israël et avec l’État d’Israël, mais la situation des chrétiens ici, aussi dure soit-elle, n’est pas comparable à la situation des chrétiens d’Irak et d’Iran.

Le père Paul se tait d’un silence plein d’amour et de douleurs.

Bon, ajoute-t-il, je vais mettre la soutane pour la photo, pas besoin du chapeau hein ?

Mais vraiment allez voir la situation en Jordanie, la communauté là-bas est nombreuse et a besoin d’aide. Je regrette de ne pas être à la hauteur pour les aider. Il faut que j’en reparle au Patriarche.

Dernière mise à jour: 20/11/2023 11:37

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