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Les Eglises décidées à vivre la célébration du Saint feu sans restriction

Marie-Armelle Beaulieu
13 avril 2023
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Les Eglises décidées à vivre la célébration du Saint feu sans restriction
Le père Matheos Siopis en charge du Statu Quo pour l’Eglise grecque-orthodoxe lisant le communiqué commun des Eglises au sujet des restrictions israéliennes prévues pour la fête du Saint Feu samedi 15 avril ©MAB/CTS

Les Eglises, gardiennes de la basilique de la résurrection, opposent une fin de non recevoir aux restrictions du nombre de fidèles décidées par la police israélienne à l'occasion de la célébration du Saint Feu le 15 avril prochain, alors que les mesures sécuritaires sont vécues comme un acharnement contre elle par la communauté chrétienne.


L’image était unique. Les trois Eglises gardiennes du Saint-Sépulcre, réunies sur le toit du patriarcat grec-orthodoxe, à l’ombre du dôme de l’Anastasis, pour s’opposer frontalement à la décision israélienne de limiter le nombre de participants à la cérémonie du Saint Feu.

Les Grecs-orthodoxes, entourés des Franciscains pour l’Eglise catholique et des Arméniens apostoliques, unis dans le sentiment que les droits de la communauté chrétienne sont rognés de toutes parts jusque dans la célébration de la fête la plus importante de l’orthodoxie. La fête du Saint feu lance en effet le cycle des célébrations de la résurrection de Jésus. Chaque année, ce sont des milliers de fidèles qui viennent du monde entier pour assister à la fête et c’est toute la communauté chrétienne de Terre sainte qui se réjouit de cette nouvelle fête de Pâques puisque les calendriers grégorien et julien, en différant, les multiplient.

La décision de la Police était tombée la veille. Le nombre de personnes autorisées à entrer dans la basilique pour le « shabbat de la lumière » serait de 2000 dont 200 policiers. Ce chiffre, d’après la police, est le fruit du calcul « d’un consultant externe », « en fonction de la superficie, de la densité, des issues de secours et de l’occupation maximale » et tenant compte de la nature de l’évènement lui-même.

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Pour rappel, lors de la cérémonie – et selon la tradition – un miracle se produit. Le feu jaillit spontanément dans la tombe vide de Jésus. Le patriarche grec-orthodoxe allume alors à cette flamme des chandelles et ce feu divin est distribué aux milliers de pèlerins présents. Les images sont saisissantes, chacun se presse de recevoir la Sainte Lumière et à mesure que les cierges s’allument, on a l’impression que la basilique s’embrase. Les plus dubitatifs sur la réalité du miracle s’accordent à dire que dans ce divin chaos, le miracle c’est qu’il n’y ait pas d’accident. [1]

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A propos d’accidents, depuis celui du Mont Méron en Galilée qui avait fait 45 victimes parmi des pèlerins juifs dans un mouvement de foule en avril 2021, la police israélienne a revu à la hausse les mesures de sécurité qui entourent les rassemblements. L’année dernière, la jauge prévue pour les participants à la célébration du Saint Feu avait été initialement de 1000, revue à la hausse à 4000 par jugement de la Cour suprême, et limitée de force par un cadrillage systématique de barrières dans tout le quartier chrétien et des interventions musclées des forces de l’ordre à chaque barricade qu’elles tenaient.

Au final, ce sont moins de 1000 personnes qui avaient pu prendre place autour du Tombeau de Jésus au lieu des 2000 autour de l’édicule sans compter les près de 2000 autres massés dans le catholicon (chœur des grecs) et autres espaces de la basilique.

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Cette année, les réunions de coordination entre les Eglises et la police ont une nouvelle fois créé davantage de frustration du côté chrétien. D’un air ferme et désolé, le père Matheos Siopis en charge du Statu Quo pour l’Eglise grecque-orthodoxe, a lu le communiqué : « Après de nombreuses tentatives faites de bonne volonté, nous ne sommes pas en mesure de nous coordonner avec les autorités israéliennes, car elles appliquent des restrictions déraisonnables et sans précédent à l’accès au Saint Sépulcre – plus encore que l’année dernière. »

Et d’ajouter : « La police impose injustement et de manière inappropriée aux Églises la charge d’émettre des invitations, tout en leur liant les mains par des restrictions déraisonnables qui empêcheront les fidèles d’assister à la cérémonie, en particulier les membres de notre communauté locale. »

Les Eglises invitent tous les chrétiens à la célébration

Car dans l’organisation du filtrage, la police réserve l’entrée des pèlerins étrangers à la Porte de Jaffa, tandis que les chrétiens palestiniens doivent se présenter uniquement à la Porte Neuve et que le quartier chrétien est bouclé de part en part y compris à ses habitants. Par ailleurs, les centaines de policiers venus pour l’occasion de tout le pays et sans formation suffisante pour comprendre l’enjeu de la journée, ont tendance à réprimer les attentes et frustrations de la population locale sans ménagement voire avec violence.

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Pour Yousef Daher, responsable du Jerusalem Inter-Church Center, le communiqué a omis de dire que la revendication première des chrétiens locaux n’est pas d’entrer dans la basilique : « Il s’agit d’une tradition vieille de 800 à 900 ans [2]. Les chrétiens locaux sont invités sur le toit du patriarcat grec. La tradition veut aussi qu’ils prennent place sur le parvis de la basilique. Il peut accueillir 4 000 à 5 000 personnes comme le montrent de nombreuses photos prises dans les années avant 1967. Le problème, c’est que la police s’approprie la place. Elle n’autorise que quelques centaines de personnes, si tant est qu’elle le fasse. Et l’accès au toit est limité du fait de la multiplication de barrages policiers. Il peut y en avoir quatre ou cinq entre la Porte Neuve ou la Porte de Jaffa jusqu’au parvis. C’est là le problème. »

Les responsables des Eglises n’ignorent pas que l’on ne peut pas tout permettre et qu’il faut réguler les accès par mesure de sécurité mais elles n’entendent pas pour autant se voir priver de la participation des fidèles, dans et en dehors de la basilique, sous prétexte sécuritaire. Pour marquer leur désapprobation devant des mesures jugées trop restrictives, elles ont donc décidé, plutôt que de se limiter à convier quelques privilégiés, à inviter largement tous les chrétiens qui souhaitent s’unir à la célébration. « Nous laissons les autorités agir comme elles l’entendent. Les Églises pratiqueront librement leur culte et le feront en paix. » ajoutait le communiqué.

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Yousef Daher, qui note que des restrictions aussi drastiques n’existent ni pour les fêtes juives ni pour les fêtes musulmanes, constate: « Moins il y a de personnes aux points de contrôle plus elles sont empêchées de passer, tandis que devant une masse, on a déjà vu les restrictions se lever ».

« C’est nous qui serons maltraités aux barrages »

Cette invitation, interprétée comme une forme de désobéissance pacifique, a remporté un vif succès sur les réseaux sociaux où l’invitation à venir en nombre s’est répandue comme une trainée de poudre. Dans le contexte des attentats anti-chrétiens qui se sont multipliés depuis le début de l’année et le sentiment d’incurie des autorités à lutter contre, les chrétiens entendent ne pas « baisser la tête ».

«Nous sommes fatigués des humiliations que les autorités nous infligent », commentait Tony. Tandis que la page Facebook « Jérusalem au cœur » reproche que les droits de la communauté chrétienne soient continuellement bafoués au contraire de ceux des autres religions. Mais certains ne masquent pas leur inquiétude des violences policières : « Les Eglises ne règlent rien avec pareille invitation, c’est nous qui serons maltraités aux barrages.»

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La vue des milliers de barrières amoncelées par la police à la Porte de Jaffa en vue de boucler le quartier chrétien est impresionnante. Israël pour éviter une catastrophe possible mais hypothétique va hausser d’un nouveau cran les sentiments de frustration et probablement donner à l’international une image qu’elle ne maîtrise pas. Le changement avec la nouvelle majorité israélienne au pouvoir c’est qu’elle ne s’en soucie pas le moins du monde.

[1] Le livre Jérusalem Biographie de Simon Sebag Montefiore rapporte un grave accident survenu en 1834, quand une bousculade fit plusieurs dizaines de morts. Editions Calmann-Lévy, page 396

[2] “Le patriarcat grec la fait remonter à l’année 328. Soit juste après la mise en Valeur du tombeau au centre de la première basilique constantinienne.

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