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Les familles de France reprennent des couleurs à Saint-Louis

Marie-Armelle Beaulieu
17 janvier 2024
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Les familles de France reprennent des couleurs à Saint-Louis
Marc Alibert, pinceau en main, ravive les couleurs des blasons qui ornent ce couloir de l'hôpital. ©MAB/CTS

C’est un lieu que l’on ne souhaite pas aux pèlerins de visiter durant leur séjour en Terre Sainte. L’hôpital français Saint-Louis, situé à deux pas de la Porte neuve de la Vieille ville de Jérusalem, offre pourtant une curiosité : il est décoré aux couleurs des armes des chevaliers croisés qui prirent Jérusalem. Et c’est un chevalier du Saint-Sépulcre qui est venu en rafraîchir les couleurs. Rencontre.


Àl’heure de notre rendez-vous, je trouve Monsieur Alibert au travail à un bon mètre au-dessus du sol. D’une main il tient une palette de couleurs, de l’autre un pinceau, et est en train de réaliser un trompe-l’œil de faux bois, pour le pied de la statue de saint Joseph. Il s’agit de s’annoncer avec prudence pour ne pas rompre ce qui semble être un équilibre fragile sur un escabeau qui ne l’est pas moins, pour un artiste qui, à 78 ans, pourrait ne plus avoir l’agilité de sa jeunesse.

Un jeune hôpital de 158 ans

Nous sommes à Saint-Louis. Quatre spécificités font la réputation de l’Hôpital français comme il est aussi appelé : c’est la première unité de soins palliatifs de Jérusalem agréée en Israël ; il s’y vit quelque chose d’intense entre les patients juifs, chrétiens et musulmans et leurs familles respectives ; c’est un hôpital catholique rigoureusement casher et, ce qui est moins connu, c’est que l’inspiration de sa décoration, imaginée au XIXe siècle, est l’univers chevaleresque des croisades.

Le couloir au premier étage de l’hopital Saint-Louis à Jérusalem ©MAB/CTS

Comment en aurait-il été autrement ? Le comte Marie Paul Amédée de Piellat a fait, en 1876, l’acquisition à prix d’or de cette parcelle de terrain, précisément parce que c’est ici que les Croisés, sous le commandement de Tancrède, auraient stationné lors de la première croisade tandis qu’ils faisaient le siège des remparts de la ville. Le comte est le bienfaiteur de l’hôpital. Il finance la construction de son rez-de-chaussée et de son premier étage sur ses fonds propres, tandis que la congrégation des sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition, à qui il est confié, collectera l’argent pour le deuxième.
Piellat a décidé de la décoration et y aurait participé en personne. “Sur les murs de la chapelle, explique l’historien israélien Zvi Shilony (1), il appose les armoiries de toutes les villes croisées de Palestine. Puis, débutant en 1885, il peint une représentation de la Jérusalem croisée sur les murs du corridor de l’étage supérieur, les cottes d’armes des chevaliers croisés français et des représentations, grandeur nature, d’un chevalier de Saint-Jean et d’un Templier. Enfin, il décore les murs et le plafond de la grande chapelle de l’hôpital de croix et fleurs de lys stylisées – symboles séculaires de la royauté et de l’État français.”
Marc Alibert vient de passer une semaine à l’hôpital au sommet de son escabeau – “au début c’était une échelle, c’était vraiment difficile” – en vue de rafraîchir les couleurs des blasons.
En 1925 ils avaient déjà dû être restaurés après que les Turcs eurent recouvert toutes les croix de peinture noire. C’est le comte de Piellat lui-même qui s’en chargea, lui qui mourut la même année précisément dans cet hôpital.
Mais depuis, l’humidité a écaillé les plâtres quand elle ne les a pas fait tomber, et le temps a fait le reste.

Un chevalier de qualités

“Ce sont les chevaliers du Saint-Sépulcre qui m’ont envoyé, la Lieutenance de France. Elle concourt généreusement au financement de l’hôpital, d’autant qu’il a été construit par des Français, est encore aux mains d’une congrégation française et surtout parce que c’est une belle œuvre.”
La mission était prévue pour durer une semaine. “Ce n’est pas assez, je reviendrai, et je serai mieux équipé. Je pense par ailleurs, qu’on pourrait aller bien plus rapidement en utilisant des feutres, des pastels. Un mélange des deux, je vois bien ce qui est possible. Je regrette aussi de ne pas avoir apporté de pastels gras.” Marc Alibert sait de quoi il parle, diplômé des Beaux-Arts, architecte honoraire des Bâtiments de France, il est aussi le talentueux auteur d’un recueil d’aquarelles intitulé “Lumières de Terre Sainte” où le pinceau a tour à tour donné vie aux paysages évangéliques et modernes.

Pour un artiste comme lui, le rafraîchissement de blasons pourrait passer pour un simple coloriage. Mais il s’y donne de tout son cœur, ajoutant toute la palette de ses compétences professionnelles et physiologique puisqu’en plus d’être doté d’une santé toujours robuste, il est parfaitement ambidextre. “Il faut composer un jaune qui se rapproche le plus possible de l’or, explique-t-il, puisque c’est de l’héraldique”. Ça n’est pas fait pour déplaire à celui dont la chevalière représente trois coqs sur fond d’azur. “Je reconnais les armes de familles que je connais”, dit-il avec plaisir et amusement. Serait-ce que tous les blasons ont vraiment existé ? “Je ne crois pas qu’il y ait eu d’étude systématique” dit celui qui serait bien tenté de la mener. “J’ai quelques notions en héraldique. Ici, ce sont principalement des familles de France, mais il y en a aussi quelques-unes d’Allemagne et d’Angleterre.”
Quand ce travail sera terminé, il pourrait être intéressant de trouver les fonds pour financer une petite étude. En effet, en 2009, une rupture de canalisation, avait fait apparaître, autour de la statue de saint Joseph, que d’autres décorations du XIXe siècle avaient été recouvertes de peinture. Selon toute vraisemblance, toute la cage d’escalier serait décorée… Mais le joyau de l’hôpital, restera la chapelle néo-gothique du rez-de-chaussée. Les couleurs sont un peu défraichies, mais la décoration, du sol au plafond, vitraux compris, est celle qu’a fait réaliser le comte de Piellat, dans le plus pur style Viollet-le-Duc.
On a beau ne pas souhaiter aux pèlerins d’avoir à passer par l’hôpital Saint-Louis, il n’en reste pas moins que sa décoration vaudrait le détour si les sœurs se laissaient plier. Peut-être au moins pour une célébration eucharistique ? ♦

1. Un mécène catholique : le comte de Piellat et les communautés françaises de Terre Sainte, in Ran Aaronsohn, Dominique Trimbur (dir.), De Bonaparte à Balfour,
CNRS Éditions, 2008.


 

Dernière mise à jour: 17/01/2024 15:27