Mgr Giacinto-Boulos Marcuzzo est un prêtre comme on n’en fait plus. Né en Italie en 1945, il a 15 ans quand il arrive en 1960 à Beit Jala, alors sous domination jordanienne. Entré en Italie au petit séminaire de l’Institut missionnaire saint Pie X d’Oderzo, son départ précoce a pour but de se familiariser avec la culture du pays de mission auquel il est destiné, s’il poursuit jusqu’au sacerdoce. Le Credo de l’Institut, inspiré par l’encyclique Maximum illud de Benoît XV, est de “décoloniser les missions” et favoriser l’inculturation des missionnaires.
Ainsi le jeune Giacinto apprend-il très jeune les us et coutumes du pays de Jésus mais surtout ses langues : l’arabe – qu’il maîtrisera au point d’en devenir professeur – et l’hébreu, avec en prime l’allemand, l’anglais et le français.
Si ce n’est les deux années qu’il passe à Rome pour se spécialiser en théologie dogmatique (ecclésiologie), Mgr Marcuzzo a vécu sans discontinuer en Terre Sainte.
Désagréger le mur
Consacré évêque en 1993, il prend pour devise deux mots tirés de la lettre de Paul aux Ephésiens (Ep 2, 14) “Solvens parietem”, littéralement “désagréger le mur”, extraits du verset “C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine.” Un choix qui traduit une vocation et une histoire : 65 ans de vie en Terre Sainte comme témoin privilégié et acteur du dialogue interreligieux en Israël et Palestine.
À Beit Jala, en 1965, la Déclaration Nostra Ætate est une surprise mais aussi une joie. Elle pose de nouvelles bases pour le dialogue avec l’islam. Une autre spécialité de Mgr Marcuzzo qui a un doctorat de littérature arabe chrétienne obtenu avec une thèse portant sur les relations entre chrétiens et musulmans au début du IXe siècle.
Pourtant, se rappelle Mgr Marcuzzo, “Quand la déclaration de Nostra Ætate a été rendue publique, le dimanche suivant, des chrétiens de Beit Jala ont fermé la porte de l’église en signe de protestation.” La raison ? “La déclaration innocente les juifs d’avoir commis la mort de Jésus”.
Et Mgr Marcuzzo de commenter “la politique se mêle de tout, ils étaient poussés par l’air du temps”. Or l’air du temps pour les chrétiens de Palestine, c’est que 17 ans plus tôt, l’État d’Israël s’est autoproclamé sur leur terre, quand bien même les juifs ont en quelque sorte perdu les promesses divines en raison de ce que toute la tradition chrétienne répète, spécialement en Orient, le déicide.
“Les prêtres et les évêques, nous avions compris et nous nous réjouissions aussi de ce dialogue avec le judaïsme. Cela faisait des années que nous suivions les efforts conjugués du Saint-Siège avec des rabbins, ils avaient déjà abouti, six ans plus tôt, à la suppression par le pape Jean XXIII des mots “juifs perfides” dans la prière du Vendredi saint. Mais pour les chrétiens, dans le contexte politique, cela ne passait pas.”
De nombreux évènements politiques, plusieurs guerres jusqu’à nos jours, rendent difficile à la plupart des chrétiens arabes de nourrir le désir même d’entretenir un dialogue avec le judaïsme. Plus encore aujourd’hui, quand les courants israéliens les plus radicaux prétendent fonder leur supériorité sur les promesses bibliques.
Chercher les convergences
Malgré tout, Nostra Ætate fit son chemin dans “la formation des prêtres, des fidèles, dans l’éducation des jeunes”.
“Dans les relations avec l’islam, le Discours de Ratisbonne du pape Benoît XVI en 2006, a été un moment difficile à passer. Les musulmans n’ont pas saisi ce que le pape voulait dire. Malgré toutes les explications du Saint-Siège, c’est avec la Déclaration d’Abou Dhabi, signée par l’imam d’Al-Azhar Ahmed el-Tayeb et le pape François en 2019, que le monde musulman reprit confiance.”
Une déclaration dont Mgr Marcuzzo estime qu’elle aurait pu être plus théologique quand bien même, il en convient, ce n’est pas la théologie qui sous-tend le dialogue avec l’islam dans la région mais la fraternité – comme avec le judaïsme d’ailleurs – apprendre à vivre ensemble en se voulant du bien mutuellement.
Après 60 ans de dialogue, Mgr Marcuzzo retient un axe de progrès : “Pour dialoguer, il faut se mettre dans la peau de l’autre, apprendre à regarder les choses comme il les voit. Après toutes ces années, c’est moins dans la connaissance de la religion de l’autre qu’il faut investir nos efforts que dans notre capacité à voir les choses de sa perspective. Par pour adopter complètement sa position, mais pour chercher les points de convergences avec la nôtre et les axes de rapprochement. Et puis, il faut aimer l’autre. Et quand nous rencontrons des difficultés, il faut pardonner.” Comme quoi ce n’est pas sorcier.


