Dans un entretien à l’agence Sir, l’ambassadeur d’Israël près le St-Siège a appelé les deux états à « lutter contre l’intolérance religieuse » et a surtout commenté les 25 ans de leurs rapports diplomatiques. Diagnostic.
« Il est certain qu’Israël et le Saint-Siège peuvent faire beaucoup pour lutter contre l’intolérance religieuse afin de dissiper des prétextes au terrorisme fondamentaliste », a affirmé l’ambassadeur d’Israël près le Saint-Siège dans une interview à l’agence de presse italienne Sir le 8 avril dernier.
L’entretien d’Oren David s’inscrivait dans le cadre des 25 ans de l’établissement des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et Israël. En effet, si c’est le 30 décembre 1993 qu’un « Accord fondamental » historique a été signé à Jérusalem, la convention diplomatique ne fut paraphée que le 15 juin 1994.
L’ambassadeur d’Israël près le Saint-Siège voit cet accord conclu sous le pontificat de Jean-Paul II (1978-2005) comme « un tournant ». D’ailleurs, l’ambassade d’Israël près le Saint-Siège a rappelé, dans un tweet, le décès de Jean-Paul II (le 2 avril 2005) le saluant comme « une pierre angulaire » des relations diplomatiques entre les deux états. Pour le représentant d’Israël au Vatican, les relations entre les deux états sont « bonnes et basées sur le dialogue et la confiance mutuelle. » Soulignant la réalité d’une « diplomatie des gestes, une diplomatie qui dépasse les mots et (…) donc hautement symbolique » qui s’est vue lors des voyages des trois derniers papes en Terre Sainte. Celui du pape Jean-Paul II en 2000, du pape Benoît XVI en 2019 et du pape François en 2014. Les trois voyages s’inscrivant à la suite de celui du pape Paul VI (1963-1978) en janvier 1964, un an avant la déclaration de Nostra Aetate sur les relations de l’Eglise catholique avec les religions non chrétiennes.
L’ambassadeur d’Israël voudrait que le « jubilé d’argent » de ces relations, « uniques » parce que « les questions politiques sont étroitement liées aux questions religieuses », et même si Israël ne reconnaît pas la position du Vatican qui demande des garanties internationales pour Jérusalem, soit l’occasion de « renforcer » la coopération Israël/Saint-Siège « par exemple dans les domaines universitaire et culturel, dans la promotion des pèlerinages vers les lieux saints d’Israël, dans la lutte contre l’antisémitisme et contre le négationnisme, des phénomènes qui apparaissent malheureusement de plus en plus fort. »
C’est dans ce sens que le diplomate israélien s’est dit convaincu que le Vatican et Israël devaient « approfondir » encore leur lutte commune contre l’antisémitisme, pour lequel le pape François a exprimé sa « grande préoccupation ». De fait, le 8 mars dernier, a rappelé le diplomate, le Pape a reçu en audience privée le Jewish American Committee. Pour un chrétien, avait-il alors déclaré, « toute forme d’antisémitisme représente un déni de ses origines, une contradiction absolue. »
Des négociations qui traînent…
Mais cela fait déjà plus de 20 ans que le Vatican et Israël négocient sur le statut juridico-fiscal de l’Eglise catholique à Jérusalem et en Israël. Des questions qui auraient dues être résolues dans le sillage de l’Accord fondamental sur la base de l’article 10 §2. Il est stipulé « le Saint-Siège et l’Etat d’Israël négocieront de bonne foi un accord global, apportant des solutions, acceptables pour les deux parties, aux problèmes en suspens, non résolus ou qui font l’objet d’un contentieux, et qui portent sur des problèmes de propriété et des questions économiques et fiscales concernant l’Eglise catholique en général, ou des institutions ou communautés catholiques particulières. »
A la question de savoir si une signature d’un document final pouvait être envisagée cette année dans le cadre du « jubilé d’argent », Oren David ne répond pas à l’agence Sir mais assure que « quand il sera signé, cela marquera une nouvelle étape. » Certes. Et d’expliquer d’autre part que les « questions [sont] très complexes (…) car certains sites sont sensibles parce qu’ils sont sacrés pour plus d’une religion. » Il fait allusion à demi-mot au Cénacle qui se trouve depuis 1948 entre les mains de l’Etat d’Israël. Les franciscains en revendiquent la propriété (ou du moins, aujourd’hui, un droit d’usage) dont ils ont joui à partir de 1333 avant d’en avoir être expulsés en 1552 par les musulmans. « Le principe directeur, se veut rassurant l’ambassadeur d’Israël au Vatican, est de garantir la liberté de culte pour toutes les religions, ce qui est un principe fondamental de notre démocratie. »
… et quelques courts-circuits
En outre, l’article 10 §2 de l’Accord fondamental dit que « pendant la période de ces négociations, les actions incompatibles avec [les] engagements [pris] seront évitées. » Or, on a vu ces deux dernières années que des tentatives de « court-circuitage » – pour l’heure suspendues et qui ont valu la fermeture du Saint-Sépulcre pendant trois jours en février 2018 de la part des Eglises – faisaient toujours planer une incertitude et donc une insécurité sur les Eglises.
Pour mémoire, la municipalité israélienne de Jérusalem avait manifesté il y a plus d’un an son désir d’imposer les activités commerciales des Eglises pour renflouer ses caisses. Mais les Eglises ont vivement défendu leur droit d’être exemptées (comme c’est le cas depuis l’époque ottomane) au nom de leur contribution dans le financement d’écoles, d’hôpitaux ou de maisons de retraites, estimant dans un communiqué du 14 février 2018 « qu’une telle mesure [saperait] à la fois le caractère sacré de Jérusalem et [mettrait] en péril la capacité de l’Eglise à mener son ministère sur cette terre au nom de ses communautés et de l’Eglise présente dans le monde entier. » Une commission ministérielle pour négocier ces questions a donc été mise en place. La question est de savoir si et comment elle sera reconduite sous le nouveau gouvernement en formation.
D’autre part, la dernière Knesset a vu réapparaître plusieurs fois un projet de loi israélien dont la dernière version était intitulée « les terres louées qui ont été vendues » Le texte vise, d’après ses parrains, à protéger les résidents qui vivent sur ces terrains situés à Jérusalem-Ouest qui ont la particularité d’être vendus en étant loués sous forme de baux emphytéotiques signés entre Israël et les Eglises. Or, quand les terrains sont vendus, les résidents ignorent – à l’heure où les baux arriveront à leur terme – à quelle sauce ils seront mangés : renouvellement, hausse des loyers, expulsion, destruction du bâti pour des opérations immobilières plus rentables ? D’où la volonté d’autoriser l’Etat hébreu à saisir ces biens au moment où ils seront vendus et d’offrir des compensations financières aux investisseurs privés. Les responsables des Eglises grecque-orthodoxe, franciscaine (catholique) et arménienne à Jérusalem qui partagent la garde du Saint-Sépulcre ont plusieurs fois dit craindre qu’un tel projet de loi revienne à nationaliser les terres qu’elles vendent et porte atteinte à leurs droits de vente et donc de propriété. En juin 2018, elles avaient dénoncé un texte capable de violer « les droits les plus élémentaires » et de saper « le délicat tissu de relations » construit il y a des décennies entre les communautés chrétiennes locales et l’Etat hébreu.
Pour l’heure, les Eglises ont reçu des garanties du la part du président d’Israël lors des derniers vœux de Noël et du Nouvel An. Pourtant, il s’en était fallu de peu pour qu’un nouveau texte sur la question ne fut débattu à la Knesset, le 23 décembre 2018. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu avait dû intervenir mais il avait pourtant assuré à déjà deux reprises qu’un tel projet serait retiré… Malgré les assurances du président israélien, le patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem, Theophilos III n’a pas caché les craintes des Eglises de voir se poursuivre à nouveau « les tentatives visant à introduire ce projet de loi. » La configuration de la nouvelle Knesset dont la majorité est clairement à droite peut confirmer ses craintes.
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