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 « Nous ne sommes pas des passants » : à Taybeh, les chefs des Églises dénoncent les attaques des colons

Rédaction
14 juillet 2025
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Après les déclarations dans le hall de la municipalité de Taybeh, les chefs des Eglises ont partagé un temps de prière œcuménique dans l’église de Saint-Georges al-Khader ©Francesco Guaraldi/CTS

Les chefs des Eglises de Jérusalem ont fait le déplacement à Taybeh en Cisjordanie occupée dans un signe fort de solidarité avec la population du village. Depuis fin juin, elle subit les attaques répétées des colons. Des diplomates les ont accompagnés pour entendre un message fort et un appel à l'action.


Une mobilisation rare et solennelle. Lundi 14 juillet, les chefs d’Églises de six confessions chrétiennes, accompagnés de diplomates représentants près de 30 pays [1], se sont rendus dans le village palestinien de Taybeh. Ensemble, ils répondaient à l’appel des trois curés de Taybeh lancé quelques jours plus tôt après plusieurs attaques consécutives de colons sur leurs terres et à proximité des maisons du village. Le roi Abdallah II de Jordanie se manifesta lui aussi en faisant lire un message de solidarité.

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« Taybeh, la ville où Jésus se retira dans ses derniers jours, est devenue un lieu où la sécurité est refusée et les lieux saints sont incendiés », a déclaré le père Bashar Fawadleh au nom des trois prêtres du village. Des colons ont en effet mis le feu à des champs à proximité des habitations, du cimetière, et de l’église byzantine Saint-Georges, datant du Ve siècle. D’autres incidents ont visé des maisons et des terres agricoles, avec des slogans menaçants à l’adresse de la population : « Il n’y a pas d’avenir pour vous ici ».

Dans une déclaration [texte intégral], lue par le patriarche grec-orthodoxe Théophilos III, les chefs des Églises ont dénoncé une tendance « systémique et ciblée » des populations des villages, et appellent à l’action urgente de la communauté internationale.

Dans le hall de la municipalité de Taybeh, le père Bashar Fawadleh, curé latin, prononce le premier un discours pour dénoncer les attaques répétées subies par la population sur ses terres. ©Francesco Guaraldi/CTS

Face à ces attaques, les responsables religieux ont tenu à faire corps avec les habitants du village chrétien. « Le plus grand acte de courage est de continuer à considérer Taybeh comme sa patrie », affirment-ils. « Nous ne sommes pas des passants, ni des migrants, ni des étrangers », insistait de son côté le père Fawadleh. « Nous sommes la présence enracinée, le patrimoine profond dans le sol de l’histoire et de la foi – la plantation du Seigneur dans sa vigne. » poursuivait-il.

Le ton des Églises est sans ambiguïté. Elles dénoncent la responsabilité des autorités israéliennes dans « la facilitation et la tolérance » des actes commis par des colons autour de Taybeh. « Même en temps de guerre, les lieux saints doivent être protégés », rappelle le communiqué. Les chefs d’Églises exigent une enquête transparente sur l’absence d’intervention des forces de sécurité israéliennes lors des récents incidents. « Les attaques menées par les colons contre notre communauté, qui vit en paix, doivent cesser, tant ici à Taybeh qu’ailleurs en Cisjordanie », ont-ils affirmé avec force.

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Les trois prêtres du village, dans le message lu par le père Fawadleh, appellent aussi à des mesures concrètes : démantèlement des avant-postes illégaux sur les terres de Taybeh, accès garanti aux champs d’oliviers, et protection effective des agriculteurs. « Ce que nous demandons n’est pas un privilège, mais un engagement en faveur de la vérité et de la justice ».

 « Si nous ne faisons rien aujourd’hui, poursuivait le texte, nous pourrions nous réveiller demain face à des églises sans fidèles, des écoles sans élèves, et une terre sans ceux qui la cultivent et y prient. » Le patriarche latin de Jérusalem, Pierbattista Pizzaballa, disait à son tour : « La tentation d’émigrer est grande. Contrairement aux conflits précédents, aucune issue ne semble en vue. »

Une partie de la délégation des chefs des Eglises, dont le franciscain Ibrahim Faltas, vicaire de la Custodie de Terre Sainte ©Francesco Guaraldi

Le message des Églises s’adresse aussi aux États garants des Lieux saints. Ils sont appelés à agir, non plus par des paroles, mais par des « pressions diplomatiques réelles » dans les forums internationaux. « La présence chrétienne ici n’est pas accidentelle — elle est ancienne et constitutive de l’identité de cette terre », rappelait dans son discours le père Fawadleh.

« Il ne s’agit pas de protéger les chrétiens », a tenu à préciser le patriarche Pizzaballa, « nous n’avons pas besoin de protection mais que nos droits soient reconnus. »

L’inquiétude des villageois de Taybeh n’est pas sans fondement. Fin juin, trois Palestiniens ont été tués à Kafr Malik, suite à une attaque de colons juifs. Et 48 heures avant cette rencontre, deux jeunes hommes, dont l’un avait la double nationalité palestinienne et américaine, ont été tués à Al-Mazraa al-Scharkija. Ces deux localités sont situées à moins de quatre kilomètres à vol d’oiseau de Taybeh.

« Vous êtes le sel de la terre… la lumière du monde », a dit le Christ. C’est avec ces mots que le père Fawadleh concluait son adresse, rappelant que l’espérance et la foi demeurent, même au milieu du feu et de la peur. « Nous ne sommes pas effrayés, parce que nous croyons. Nous croyons, parce que nous aimons. Nous aimons, parce que nous sommes les enfants de cette Terre Sainte — et nous y resterons, quelle que soit la durée de la nuit. »

Après voir prié, les chefs des Eglises et les journalistes se sont rendus au chevet de l’église de Saint-Georges al-Khader où des villageois et les curés expliquaient les attaques dont ils ont été les témoins. ©MAB/CTS

[1] UE, Jordanie, Russie, Chine, Japon, Royaume-Uni, Grèce, France, Allemagne, Italie, Autriche, Pologne, Équateur, Australie, Suisse, Mexique, Espagne, République tchèque, Suède, Canada, Turquie, Hongrie, Chypre, Brésil, Finlande, Pays-Bas, Chili

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