
Après plus d'un an et demi de quasi absence du sujet, la crise humanitaire et la faim à Gaza ont gagné en visibilité dans les médias israéliens ces dernières semaines. Si une prise de conscience s'amorce, la majorité des Israéliens restent toutefois sceptiques ou indifférents face à ces images, et considère le Hamas comme responsable.
Il aura fallu une photo, celle d’un garçon squelettique dans les bras de sa mère, pour que les médias israéliens commencent à montrer la famine à Gaza. Cette image déchirante, publiée à la une d’une dizaine de journaux internationaux à partir du 23 juillet, illustrait des articles évoquant les conséquences de la famine orchestrée par Israël dans l’enclave. Sa viralité s’est accompagnée d’un tollé : la communauté internationale a fait pression pour qu’Israël augmente la quantité d’aide humanitaire.

Mohammed Zakaria al-Mutawaq, 18 mois, à la une du Daily Express le 23 juillet 2025. Une enquête a montré plus tard que l’enfant souffrait d’une maladie génétique en plus de malnutrition.
Ce spasme mondial s’est ressenti dans les médias israéliens, toujours inquiets de la manière dont l’État hébreu est perçu à l’international. Le sujet de la vie quotidienne des Gazaouis y est habituellement absent : après avoir analysé 700 reportages aléatoires parus au cours des six premiers mois de la guerre sur la chaîne 12, Ayala Panievsky, spécialiste des médias israéliens, a montré que seuls quatre mentionnaient les civils tués dans la bande de Gaza, dont seulement deux avec des images.
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“Ce mur d’aveuglement a perduré tout au long de la guerre, créant un décalage avec le reste du monde : des scènes diffusées partout l’étaient à peine sur la plus grande chaîne israélienne”, détaille la chercheuse israélienne, membre de l’Université de Londres.
Cette fois, presse, télés et radio citent les articles du New York Times, des reportages de CNN, de Fox News ou de la BBC sur la “famine massive”. “C’est l’intérêt du monde pour le sujet qui a contribué à la pénétration d’images de la famine dans les médias israéliens, explique Ayala Panievsky. Il y en a eu peu et les journalistes qui l’ont fait ont été critiqués.”
Scepticisme et indifférence
La chercheuse constate surtout que, si ces images sont diffusées, elles sont “toujours présentées comme faisant partie de la propagande du Hamas” : “Cette manière de tourner les choses absout les Israéliens de leurs responsabilités. Ils pensent qu’ils ne font rien de mal.”
Contrairement à la France, les chaînes de télé israéliennes ont une grande influence sur l’opinion publique, et contribue à la façonner. La très à droite Channel 14 (l’équivalent de Fox News) est accusée par des avocats israéliens de diffuser des émissions dans lesquelles des experts et des invités ont appelé à des crimes de guerre, y compris le génocide, contre les Palestiniens. Cette chaîne est la deuxième la plus regardée en Israël.
Selon une enquête menée en mai 2025 par le Centre aChord de l’Université hébraïque, 64 % des Israéliens estiment que les reportages de leurs médias sur Gaza sont équilibrés et qu’il n’est pas nécessaire de présenter une image plus complète de la situation des civils de Gaza.
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“Les Israéliens restent très majoritairement sceptiques ou indifférents face aux images de Gaza, abonde Tamar Hermann, directrice du centre Viterbi, spécialiste de l’opinion publique israélienne. C’est notamment le cas chez les électeurs des partis du centre et de la droite, qui ont aussi tendance à voir les médias étrangers comme anti-israéliens. »
Alors quand une enquête a montré que l’enfant décharné de la photo virale, Mohammed Zakaria al-Mutawaq, souffrait d’une maladie génétique, toute la séquence s’est transformée en une “campagne orchestrée par le Hamas”, éclipsant l’absence de nourriture dans l’enclave, et ses conséquences sur des porteurs de telles maladies.
Les voix qui s’élèvent sont minoritaires
“Les Israéliens ressentent très peu d’empathie pour Gaza et ses habitants, détaille Tamar Hermann. Des années de haine ont créé une sorte d’aveuglement cognitif qui les empêche de s’identifier à leurs souffrances.” Le dernier sondage auquel elle a contribué révèle que 79% des juifs Israéliens se disent peu ou pas troublés par les nouvelles de famine à Gaza. Les citoyens palestiniens et les juifs israéliens de gauche font exception.

Le Hamas est quasiment toujours présenté comme le responsable de la famine à Gaza et accusé de piller l’aide humanitaire. Une analyse de l’USAID dévoilée par Reuters le 25 juillet n’a pourtant trouvé aucune preuve de vol massif d’aide de l’ONU par le groupe. “La capacité de la société israélienne à déformer et à nier la vérité est l’une des choses les plus effrayantes. Cela absout l’Israélien moyen de toute réalité et de toute responsabilité”, déplore Mairav Zonszein, analyste de la politique israélienne pour l’International Crisis Group.
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Face aux rhétoriques populistes et à l’intenabilité de la situation à Gaza, des voix s’élèvent toutefois. Souvent les mêmes. Toujours minoritaires. Les ONG israéliennes de gauche B’Tselem et Physician for Human Rights ont ainsi brisé un tabou en accusant leur pays de commettre un génocide contre les Gazaouis dans des rapports publiés le 28 juillet. Le 2 août, quelque 200 activistes ont brandi des portraits d’enfants gazaouis, le long de la plage à Tel-Aviv, “le lieu qui symbolise le mieux le déni dans lequel la société israélienne vit”, estime le photojournaliste Oren Ziv, qui a couvert l’événement.
L’échelon sécuritaire est également monté au créneau ce lundi, avec un appel adressé à Donald Trump et signé par 550 anciens espions, généraux, policiers et diplomates : “Arrêtez la guerre à Gaza”. “Nous avons le devoir de nous lever, soutient Ami Ayalon, ancien directeur du Shin Bet dans une vidéo accompagnant la publication de la lettre. Cette guerre a cessé d’être juste et conduit l’Etat d’Israël à perdre son identité.”