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Les mille et un trésors de l’apothicairerie franciscaine

Marie Marine Le Vaillant
29 mars 2015
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Le rôle des franciscains dans la médecine de Jérusalem est devenu capital à la fin du XVII siècle, lorsqu'ils ont créé la plus grande pharmacie de la ville.


Depuis leur arrivée en Terre Sainte au XIIIe siècle, les frères franciscains se sont toujours donné pour but de venir en aide à la population locale, que ce soit par le biais de l’éducation, du logement, ou de l’assistance sociale en général. Sans distinction de culture ni de religion. L’existence d’une institution dédiée à la santé au sein du couvent est donc, dès les débuts, apparue comme une priorité à la communauté religieuse. C’est pourquoi comme le montrent plusieurs archives, ce type d’établissement existait déjà dans le premier couvent situé sur le Mont Sion, avant 1551.

Mais le rôle des frères de saint François d’Assise dans la médecine de la ville sainte est devenu capital à l’aube des années 1850. Prenant conscience de la négligence des autorités face aux nombreux maux physiques dont souffraient les habitants de Jérusalem, les frères du couvent Saint-Sauveur décidèrent de mettre au service de ces derniers les compétences pharmaceutiques dont ils disposaient.

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On mit alors en culture un jardin botanique exclusivement réservé aux plantes médicinales nécessaires aux préparations les plus simples. La majeure partie des médicaments était toutefois importée d’Europe, et plus particulièrement d’Italie dont de nombreux frères étaient originaires, et où la recherche médicale était, à cette époque, en pleine expansion.

Très vite l’apothicairerie franciscaine devint l’institution médicale la plus active de la ville. En son sein se développa une bibliothèque dédiée à la préparation des médicaments. Elle était destinée à la consultation, mais également à la formation de professionnels du domaine pharmaceutique. Entre le milieu du XVIIe siècle et le début du XVIIIe, cette pharmacie centralisa les réponses aux besoins médicaux de la population ottomane de Jérusalem. Ce n’est pas pour rien que le frère allemand Elzear Horn qui lui fut contemporain la décrivait comme “l’une des meilleures de tout le monde chrétien”.

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De récentes études ont prouvé qu’une telle qualification n’avait rien d’exagéré. Les pharmaciens, religieux pour la plupart, faisaient preuve d’une grande polyvalence et s’improvisaient souvent médecins pour combler le manque de professionnels au sein de la ville. En 1913, sa dernière année d’activité, plus de 10 000 ordonnances furent préparées et distribuées gratuitement par l’apothicairerie.

Le baume de Jérusalem

Son succès, l’apothicairerie franciscaine le doit en grande partie à l’un de ses produits phares : le célèbre baume de Jérusalem. Un médicament 100 % naturel capable d’agir aussi bien pour cicatriser des plaies, hydrater la peau, désinfecter les zones sensibles, décongestionner les articulations, que sur la qualité du sommeil… C’est le moine franciscain Antonio Da Cuna qui trouva la formule de ce remède aux multiples vertus, et qui le présenta à Milan en 1721 après plus de 20 ans de recherches acharnées.

Une recette savamment dosée, et élaborée à base de plus de 40 plantes différentes, toutes issues de la région de Jérusalem. Parmi elles, la myrrhe et l’oliban, deux herbes déjà connues avant la naissance du Christ pour leurs vertus thérapeutiques. On les retrouve à plusieurs reprises dans la Bible. Notamment dans le Cantique des Cantiques du Roi Salomon, ou dans l’Exode, où elles entrent dans la composition de l’huile d’onction sainte de l’arche. Les mages apportent également de la myrrhe à Jésus pour sa naissance.

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Dans le baume de Jérusalem, on trouve aussi de l’encens, de l’alœ vera, ou encore du lentisque de pistachier (équivalent du mastic). La composition et le dosage de ce médicament miraculeux furent très longtemps tenus secrets. Mais en 2005, des chercheurs de l’université de Jérusalem ont voulu le remettre au goût du jour et sont parvenus à redécouvrir sa formule, quasiment telle qu’elle avait été énoncée par le frère Da Cuna.

Dans un compte-rendu paru la même année dans the Journal of ethnopharmacology (journal d’ethnopharmacologie), ils ont démontré que les principes actifs naturels du produit lui conféraient bel et bien de puissantes vertus anti-microbiennes, anti-oxydantes, anti-fongiques et anti-inflammatoires. Ainsi, aujourd’hui, plusieurs industries pharmaceutiques proposent des répliques de ce baume inventé il y a près de 300 ans.

Héritage et transition

Le baume de Jérusalem est loin d’être la seule trace que l’apothicairerie franciscaine laisse derrière elle. En effet, au couvent Saint-Sauveur un inventaire manuscrit de trente-sept pages dressé le 22 avril 1755 dans un idiome italien, répertorie tout l’héritage historique laissé par l’institution pharmaceutique. Celui-ci se divise en trois parties : les médicaments et leurs formules, les ouvrages présents dans la bibliothèque, et les ustensiles utilisés. La plupart des objets figurant dans cet inventaire se trouvent au musée Studium Biblicum Franciscanum de la Flagellation.

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Au sein de ce dernier, les restes de l’apothicairerie occupent en effet une place d’honneur, avec notamment une pièce entière consacrée à l’exposition des vases qu’utilisaient les anciens apothicaires pour stocker les médicaments. La plupart sont faits de céramique (les bocaux de verre ayant plus difficilement résisté à l’épreuve du temps). Importés de Vienne ou de Venise, ils sont presque tous marqués d’un lion, symbole de la ville de Jérusalem, serrant dans ses pattes la croix de la Terre Sainte.

Il reste environ 450 vases de la sorte contenant plus de 300 remèdes différents. En raison de la grande diversité de ces derniers, il est impossible de savoir avec précision quelles maladies soignaient les franciscains à l’époque de l’apothicairerie. Mais force est de constater qu’ils étaient en mesure de répondre à de très nombreux besoins.

De nos jours, les franciscains ne poursuivent pas directement cet apostolat de la santé, mais ils demeurent en lien avec des institutions comme les sœurs du Caritas Baby Hospital de Bethléem car le terrain à bâtir de leur hôpital fut mis à leur disposition par la Custodie.

Dernière mise à jour: 18/11/2023 22:03

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